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Intervention de Henri Bourguinat

Réunion du 15 septembre 2010 à 17h00
Commission d'enquête sur les mécanismes de spéculation affectant le fonctionnement des économies

Henri Bourguinat, professeur à l'université de Bordeaux-IV :

Votre proposition, monsieur Cousin, est intéressante et généreuse. Elle est fondée en équité. Toutefois, vous connaissez suffisamment les comportements des milieux financiers pour savoir que la mesure serait très difficile à mettre en oeuvre alors même qu'on arrive à peine à faire juger par un tribunal international les crimes de sang. Du reste, qui verriez-vous comme juges ? Ils risqueraient d'être très liés à ceux qui ont déclenché les événements.

Ceux-là même qui élaborent actuellement la réglementation de Bâle sont en très grand nombre d'anciens banquiers, certains liés à Goldman Sachs, ce qui se conçoit très bien en raison du caractère technique des mesures à édicter. Je ne me risquerai pas non plus à prévoir un jury populaire car cette même technicité le décrédibiliserait très vite.

Madame Karamanli, vous avez eu raison d'évoquer la taille des établissements : c'est un des problèmes majeurs, que j'ai étudié en détail dans le dernier livre qu'Éric Briys et moi-même avons signé, Marchés de dupes : pourquoi la crise se prolonge. La règle too big too fail – « trop gros pour faire faillite » – est omniprésente dans le débat actuel.

Ce sont principalement les grandes banques d'affaires qui ont été à l'origine de la crise. Mais comme la finance a horreur du vide, elles ont été reprises – je nommerai simplement Merrill Lynch à l'initiative de Bank of America, ou Wachovia qui a été reprise par Wells Fargo. La crise a renforcé la concentration des banques et l'exigence de développer les fonds propres est une incitation considérable à poursuivre la concentration. Or celle-ci est une des causes de la crise. Le remède me paraît donc loin d'être adéquat.

Paul Volcker, qui connaît bien le milieu de la finance, a compris que la seule façon de dégonfler la bulle spéculative était de casser l'oligopole bancaire et donc de séparer les activités de financement et celles de dépôt. Or la loi américaine Dodd-Frank du 15 juillet dernier réformant Wall Street n'a presque rien prévu en la matière. La proposition dite « Volcker », de scinder les deux régimes, empêchait, dit-on, les banquiers américains de dormir : eh bien, pour finir, la loi interdit aux banques de faire des opérations pour compte propre, sauf si elles le font en relation avec un client. On comprend dès lors la mine réjouie des banquiers américains sortant des auditions : il m'étonnerait qu'on ne trouvât pas aux États-Unis un certain nombre de clients prêts à apparaître dans ces opérations ! C'est donc un coup pour rien et j'attends de voir les décisions que prendra Bruxelles en la matière, car elles ne me semblent pas encore très claires. Si on veut écarter le risque de nouvelles dérives, il faut, en premier lieu, interdire la titrisation et en, deuxième lieu, renoncer au principe du too big too fail, en empêchant la concentration bancaire.

En ce qui concerne la France, vous avez entendu parler, comme moi, de projets de fusion de grandes banques françaises : de tels projets ressurgiront dans les mois à venir. L'Assemblée nationale aura alors un rôle de prudence à jouer car il s'agit-là de procédés antiéconomiques.

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