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Intervention de Henri Bourguinat

Réunion du 15 septembre 2010 à 17h00
Commission d'enquête sur les mécanismes de spéculation affectant le fonctionnement des économies

Henri Bourguinat, professeur à l'université de Bordeaux-IV :

La crise a bien montré qu'à partir d'un moment donné le processus de spéculation n'est plus contrôlable. La réaction de bon sens serait d'éviter l'enclenchement de tels processus, c'est-à-dire de conduire une politique de prévention, en mettant au point un système robuste. Il conviendrait de sérier les causes de la crise véritablement « extra-ordinaire » que nous avons subie afin de proposer des remèdes qui leur correspondent.

Ces causes, nous les connaissons. Les Anglo-saxons ne sont pas les seuls responsables : nous avons également participé au déclenchement de la crise. Selon l'image de la Semeuse, des crédits ont été transformés en titres, ce qui, reconnaissons-le, est tout de même une pratique assez étonnante ! Comment un banquier peut-il ouvrir un crédit à des représentants du secteur immobilier ou à des ménages et transférer le risque, c'est-à-dire, en quelque sorte, « passer le mistigri » à d'autres ? Cela met en cause le processus de titrisation, lequel revient, pour le banquier, à changer la psychologie qui était encore celle de la banque au début des années 1980. La perte de traçabilité de ces dérivés du crédit et de ces montages proliférants que personne ne contrôlait plus est la première origine de la crise. Dans un livre précédent, L'Arrogance de la finance, Éric Briys, ancien professeur d'HEC et opérateur durant dix ans sur la place de Londres, et moi-même avons souligné que la scientificité de la théorie financière n'était peut-être pas aussi avérée qu'on aimait bien le dire. Il ne faut certes pas jeter le bébé avec l'eau du bain : toute théorie financière n'est pas à écarter, toutefois ses présupposés et ses conclusions ne se révèlent pas toujours exacts.

Un modèle d'activité – un business model – qui consiste à faire émerger des crédits et à distribuer le risque est un modèle dangereux. L'idée de faire porter le risque à d'autres que des banquiers ou des assureurs était en soi intéressant. Toutefois, en projetant trop loin le risque, on en a perdu complètement le contrôle. Il conviendrait donc de réfléchir tout d'abord à la titrisation.

Or la loi financière américaine de juillet dernier prévoit que 5 % seulement du risque devraient être conservés par les banques : c'est dérisoire. Il aurait fallu aller plus loin. Les dérivés de crédit sont utiles pour permettre à une banque de se protéger en partie lorsqu'elle ouvre un crédit. Ce faisant, elle étend la base du financement. Les banques devraient toutefois retrouver une partie du contrôle du risque qu'elles ont elles-mêmes ouvert. Je ne discerne non plus aucun progrès sensible du côté de l'Union européenne en la matière.

J'appelle votre attention sur le fait qu'on savait que le processus de titrisation était potentiellement très dangereux : la crise grecque a permis d'en vérifier de nouveau la capacité déstabilisatrice du fait que les crédits sur la dette souveraine grecque étaient négociés naked, c'est-à-dire « nus », sans que même les spéculateurs possèdent les obligations de la dette grecque, ce qui a pu mettre en question jusqu'à la monnaie européenne. Même si la croissance a effectivement besoin d'une finance dynamique, celle-ci n'a pas lieu pour autant de transférer 70 % à 80 % du risque créé. La titrisation étant une des origines de la crise, il conviendrait, je le répète, de la contrôler.

En ce qui concerne la haute fréquence, le fait qu'en quelques millisecondes des opérations se développent sur la base de programmes automatiques, loin d'aller dans le sens d'une appréciation diversifiée des tendances des marchés, va dans celui de la concentration des anticipations. De ce point de vue, la « haute fréquence » est dangereuse. Il est toutefois difficile de l'empêcher car, derrière ce phénomène, il y a l'achat par les banques à un prix élevé d'algorithmes développés et d'ordinateurs surpuissants. Je ne vois pas quelle banque accepterait de modérer la puissance de ses ordinateurs puisqu'il s'agit d'un avantage comparatif évident.

Le dosage, Monsieur le président, est, lui aussi, difficilement contrôlable. En période de calme des marchés, la proportion entre les opérations spéculatives et les opérations non spéculatives est acceptable. De plus, parmi les opérations spéculatives, certaines vont dans le sens de la hausse et d'autres dans celui de la baisse. Cet équilibre relatif disparaît dès l'instant qu'un mouvement de fond est déclenché : tous les opérateurs vont alors dans le même sens et la situation devient difficilement contrôlable.

En 1987, les banques américaines avaient été contraintes de débrancher leur programme automatique – ou program trading. Le G 20 ne devrait-il pas prendre, au moins temporairement, une mesure comparable ? Sans être pessimiste, je tiens à constater que les décideurs ne mettent pas suffisamment l'accent sur les mécanismes qui ont dérapé, si bien qu'on se focalise sur les fonds propres, ce qui conduit déjà les banques à développer, sur cette question, leur lobbying. Elles proclament que 450 milliards d'euros devront être trouvés sur le marché, dont, si on en croit un honorable banquier de la place de Paris, 150 milliards pour les seules banques françaises. Ce lobbying, qui fait partie du jeu, vise à faire passer, en matière d'exigences de fonds propres, un message de modération aux régulateurs de Bâle. Je pense toutefois que la régulation des fonds propres n'apportera pas une sécurité totale. Lehman Brothers avait en effet plus de 12 % de fonds propres. J'enseigne depuis des décennies la réglementation des fonds propres aux étudiants : elle m'a toujours laissé circonspect. Certes, les ratios imposés sont fonction de la nature des crédits. Toutefois, imposer le même ratio de fonds propres à une banque du secteur mutualiste et à une banque d'affaires n'est pas nécessairement de bonne méthode.

De plus, nous l'avons souligné avec Éric Bryis dans le livre que j'ai évoqué, les fonds propres peuvent être aisément manipulés. Lors de la crise de 2007, les banques américaines ont émis des obligations « convertibles contingentes », qui se transforment à point nommé en actions : les fonds propres augmentent automatiquement. En France, on a utilisé le procédé de la dette subordonnée, qui n'est pas éloigné de celui utilisé par les banques américaines. Il existe donc des ersatz de fonds propres. L'accord de Bâle 3 modifiera-t-il la donne puisqu'il prohibe les fonds propres hybrides ? La vérité est que Bâle 3 ne proscrira que certains fonds propres hybrides, de plus à un horizon de cinq ans. C'est loin. Par ailleurs, les États-Unis n'ont pas encore mis en oeuvre Bâle 2, alors qu'ils tiennent pour une bonne part la finance internationale. Il serait mieux de faire les choses dans l'ordre et d'appliquer Bâle 2 avant de penser à Bâle 3.

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