Monsieur Reitzer, les questions transfrontalières touchent 10 millions de Français. Chaque jour, 300 000 Français vont travailler dans un autre pays d'Europe, contre 10 000 Européens qui viennent travailler en France. Cela vous donne une idée de la perte de compétitivité de notre territoire ! Ces Français, qui occupent bien souvent des emplois qualifiés, paient parfois leurs impôts de l'autre côté de la frontière, tandis que les communes françaises sont supposées loger, éduquer, transporter les familles et les travailleurs.
Pour l'instant, au Quai d'Orsay, une seule personne, un ambassadeur chargé des problèmes transfrontaliers, traite de ces questions particulièrement techniques, comme la réduction autoritaire des salaires dont vous venez de parler ou la suppression des allocations familiales des employés français décidée récemment au Luxembourg. Les problèmes sont parfois lourds, comme pour les 6 000 personnes hautement qualifiées qui travaillent à l'aéroport de Bâle-Mulhouse, où ce n'est pas le droit français qui s'applique.
À mon arrivée à ce poste, j'ai décidé de m'atteler à ce dossier. À la suite du rapport parlementaire très complet, demandé à mon initiative par le Premier ministre à Etienne Blanc, député de l'Ain et Fabienne Keller, sénatrice du Bas-Rhin, avec le concours de Marie-Thérèse Sanchez-Schmidt, députée européenne, des propositions concrètes ont été formulées.
Nous attendons ce jour même un arrêt de la Cour de cassation sur les questions d'application de droit du travail sur le site de l'aéroport de Bâle-Mulhouse. Sur ce sujet, nous sommes engagés dans une discussion approfondie avec le gouvernement suisse, une nouvelle séance de travail étant prévue pour le début du mois de novembre.
La Suisse a conclu je le rappelle plusieurs séries d'accords avec l'Union européenne.
S'agissant du Luxembourg, nous allons bientôt installer une commission franco-luxembourgeoise associant des élus – présidents de région ou de département, députés et représentants de l'État.
Enfin, le Président de la République tient beaucoup au projet Alzette-Belval, de conversion des friches sidérurgiques en Lorraine, lequel doit se faire en lien avec les Luxembourgeois.
Monsieur Terrot, l'année dernière, la Serbie, la Macédoine et le Monténégro ont vu levée l'exigence de visas. En mai dernier, la Commission a adopté une proposition allant dans le sens d'une levée de l'obligation de visas pour la Bosnie et l'Albanie, avec une série de conditions. En juin, le Conseil a adopté les conclusions saluant les progrès réalisés et appelant les autorités albanaises et bosniennes à poursuivre leurs efforts, un certain nombre de conditions techniques étant posées.
La position du Gouvernement est la suivante : les visas relèvent de la sécurité et doivent donc s'accompagner de garanties très sérieuses. Or vous connaissez l'état politique de la Bosnie. Et pour qu'il y ait visa, il faut un État. Les témoignages des jeunes Bosniens à la veille de l'élection traduisent d'ailleurs leur désespoir.
Ces questions sont très délicates pour nous, Européens. Si les Bosno-croates et les Bosno-serbes, qui ont bien souvent un double passeport, peuvent circuler en Europe, les Bosniaques, musulmans, eux ne le peuvent pas. La France n'est pas contre le principe de la libéralisation des visas, mais elle va demander des garanties de sûreté à la Bosnie et à l'Albanie.
Monsieur Remiller, pas un seul grand programme d'armement commun n'existe aujourd'hui en Europe – en dehors de ceux lancés il y a très longtemps, le dernier en date étant l'A400M. En raison de la crise financière, l'Europe consacre en moyenne moins de 1 % de son PIB à la défense, ce qui est très préoccupant à mes yeux, au regard du terrorisme et de la prolifération nucléaire. Je pense que les historiens seront très cruels à notre égard car c'est comme si nous, Européens, ne voulions pas voir la réalité en face. Ainsi, les mots « dissuasion nucléaire » ne peuvent plus être prononcés, si ce n'est au Royaume-Uni et en France ; on ne veut pas regarder le problème de la défense anti-missiles ; on refuse de s'intéresser à l'espace militaire.
Nous comptons beaucoup sur le travail qui a été accompli l'été dernier avec le nouveau gouvernement britannique pour que le sommet du mois de novembre permette d'avancer dans la mutualisation efficace des moyens de défense, mais je vois avec beaucoup d'inquiétude cette tendance des Européens à considérer qu'il suffit d'être une puissance civile, usant de « soft power ». Ainsi, au Proche-Orient, jusqu'à l'initiative que vient de prendre le Président de la République avec Mahmoud Abbas, l'Europe se contente de verser plus d'un milliard par an à l'État palestinien, qui n'existe d'ailleurs toujours pas, mais elle n'est pas présente – pas plus d'ailleurs que les Russes – lorsque se tient une conférence de reprise du dialogue. On le voit, ce soft power ne constitue pas une politique étrangère commune !
Voilà qui m'amène à la question de Pascal Clément. Nous essayons bien sûr d'insuffler un esprit commun, de rassembler les Européens derrière des objectifs politiques sur des sujets comme le Proche-Orient, l'Ukraine ou la Russie, de doter cette politique de ce qu'apporte la communautarisation des moyens.
Lorsque j'ai dit que le SEAE ne pouvait pas être un vingt-huitième service diplomatique, je voulais dire qu'il ne pouvait être mandaté par personne d'autre que par les États qui se mettent d'accord sur tel ou tel dossier. Et cela commence à être le cas : au bout du compte, on a vu une Europe soudée autour de l'idée qu'il fallait appliquer des sanctions à l'encontre de l'Iran, et même des sanctions additionnelles à celles décidées par le Conseil de sécurité.
J'ai l'espoir que nous parvenions à aller plus loin. Cela demande beaucoup de travail ; il faut que les gouvernements se parlent et avancent ensemble vers des objectifs communs, mais aussi que la Haute Représentante soit mandatée pour les atteindre. Certes, cela ne va pas sans certaines frustrations ; certains ont ainsi mal compris que, le jour de la rencontre entre Benjamin Netanyahou et Mahmoud Abbas, elle ait préféré se rendre en Chine plutôt qu'à Washington… Et c'est bien pour cela que j'ai appelé à une vigilance de tous les jours. Un convoi de 27 navires n'avance pas à coup d'incantations. Il faut que gouvernements et parlements nationaux se l'approprient afin qu'il ne se mette pas à tourner sur lui-même, au risque d'un décalage croissant avec les peuples : n'oublions jamais qu'il y a cinq ans, les Français ont dit non au traité constitutionnel !