J'aborderai la première question avec beaucoup de prudence. La Belgique, pays ami de la France, est un État fondateur de l'Union. Dans la position qui est la mienne aujourd'hui, je m'abstiendrai de faire le moindre commentaire sur sa situation politique intérieure. Pour l'instant, les représentants du gouvernement belge sont chargés de gérer les affaires courantes. Je souhaite bonne chance à la Belgique, en espérant qu'un accord pour former un Gouvernement soit trouvé très rapidement pour qu'elle exerce pleinement son rôle en Europe.
Le traité de Lisbonne institue un président du Conseil stable, avec un Haut représentant pour les affaires étrangères, qui préside le Conseil des affaires étrangères. Pour tous les autres conseils techniques, la présidence est assurée par la présidence belge.
Je crois que la prochaine présidence hongroise a l'ambition de traiter en priorité du dossier des Roms, ce qui est une bonne nouvelle car ce pays a une expérience dans ce domaine.
Face à ce Conseil stable, la Commission garde un rôle très important de défenseur de l'intérêt général ainsi que d'initiative des textes législatifs, et le Parlement européen a des pouvoirs aujourd'hui considérables.
Je le dis très solennellement : l'Europe doit avancer avec les peuples, et non les laisser de côté. Il faut essayer de faire vivre les institutions dans l'intérêt commun de tous. Nos États nations ont opéré dans de nombreux domaines des transferts de souveraineté qui donnent compétence à l'Union pour agir au nom des 27 : en matière de commerce international, par exemple, nous donnons mandat à la Commission, qui négocie en notre nom. Dans d'autres domaines – comme les questions de défense –, il n'y a pas de transfert de souveraineté, mais des coopérations entre Etats membres de l'Union encore largement marquées par l'intergouvernemental. Entre les deux, nous menons ensemble une gamme d'actions dans l'intérêt de chacun. C'est ainsi que nous défendons au mieux notre modèle social et les intérêts de nos pays face à la mondialisation.
J'en viens au Service européen pour l'action extérieure – SEAE. Sous la direction du Président de la République, Bernard Kouchner et moi-même avons tout fait pour que la France joue pleinement le jeu de ce service diplomatique commun que nous sommes en train de bâtir. L'idée est de renforcer la cohérence de l'ensemble des politiques externes de l'Union, y compris en matière économique, énergétique, monétaire, d'aide au développement, de sorte que cette Europe de 500 millions d'habitants devienne à la fois un acteur sur la scène mondiale et un multiplicateur de puissance pour chacun des pays membres. Je ne vous cacherai pas que la mise en place de ce nouvel instrument –sui generis, et non une branche du Conseil ou de la Commission –, n'a pas été simple. Les négociations, relativement faciles avec les États membres, ont été complexes avec la Commission et le Parlement, mais aussi assez – trop – longues : en un an, le système n'est toujours pas totalement en place. D'ici à quelques semaines, je l'espère, nous commencerons à voir se constituer l'état-major, et le Service montera progressivement en puissance.
Comme nous le souhaitions, il ne s'agit ni d'un service de la Commission, ni d'un service du Conseil, mais bien d'un service nouveau, dirigé par la Haute représentante, et qui doit conforter l'Union, en ayant mandat du Conseil pour mener un certain nombre d'actions sur la scène mondiale. Les droits des États membres seront respectés, notamment la présence des personnels issus des diplomaties nationales, garantie à hauteur d'au moins un tiers des effectifs totaux à Bruxelles, comme dans les délégations. Cela est très important si l'on veut insuffler une culture diplomatique commune à des pays à grande tradition diplomatique, des pays plus modestes et au personnel issu de la Commission. Les structures chargées de la politique de sécurité et de défense commune, tout en étant intégrées au SEAE, voient leur autonomie préservée. In fine, l'organigramme devrait permettre d'assurer un fonctionnement efficace de la nouvelle structure, avec à sa tête un secrétaire général fort, assisté de deux adjoints.
Cependant, une vigilance de tous les instants reste indispensable dans la mise en oeuvre du Service. Face aux velléités initiales de la Commission de favoriser ses propres agents lors de la désignation de nouveaux délégués de l'Union européenne, j'ai dû intervenir à plusieurs reprises auprès de Mme Ashton pour que la place des États membres soit garantie au sein des panels de sélection des futurs personnels. Ce n'est pas une vaine préoccupation car, comme le Royaume-Uni notamment, la France est loin d'avoir réussi, à ce stade, à placer un nombre significatif de ses diplomates nationaux à la tête de nouvelles délégations de l'Union. Il est vrai que pour la première promotion de nouveaux chefs de délégation de l'UE, une « prime » a été attribuée aux nouveaux États, sous-représentés dans le système précédent et qui ont présenté des candidats souvent de très haut niveau, très compétents – parfois d'anciens ministres, voire d'anciens chefs de gouvernement, comme un ancien premier ministre bulgare, aujourd'hui délégué de l'Union en Géorgie.
Au terme de cette première série de recrutements, 12 délégations de l'UE seront dirigées par des Français à partir de cet automne, contre 17 jusqu'à présent – mais il faut quand même relever qu'il s'agit de Français qui sont en poste à la Commission. Dans les mois à venir, nos efforts devront donc davantage porter sur les candidatures de diplomates nationaux, ce qui est la logique même du SEAE.
Autre acquis de la négociation : malgré les prétentions avancées par la Commission et le Parlement, nous avons obtenu que la Haute représentante ait bien l'autorité non seulement sur les nominations, mais aussi sur la programmation stratégique des instruments financiers. Cela est très important, car c'est là qu'est la puissance commune de l'Union, le fameux soft power européen que nous coordonnons mieux grâce à ce service, y compris – mais malheureusement insuffisamment à mon goût – dans le domaine du développement. Il existe une école de pensée qui prétend que l'aide au développement n'est pas de la politique étrangère, mais de l'humanitaire. Or je peux vous dire que l'aide que nous apportons au Pakistan est totalement stratégique, de même que nous avons des soldats engagés de l'autre côté de la montagne, en Afghanistan !
Dans ce contexte, nous soutiendrons Mme Ashton en sa qualité de vice-présidente de la Commission, pour qu'elle assure pleinement la coordination effective des commissaires en matière d'action extérieure. Dans certains cas, cela fonctionne très bien – je pense à la politique de voisinage, avec le couple Ashton-Füle –, dans d'autres moins bien, et nous serons, je l'ai dit, très vigilants.
Pour la France, il n'est pas question que le SEAE devienne un vingt-huitième service diplomatique. Le service diplomatique doit donner plus de poids à l'action de l'Europe, en liaison avec les États. Mme Ashton reçoit mandat des États. Le Parlement européen, certes, essaiera d'imprimer sa marque sur cette politique étrangère de l'Union, mais – j'y insiste – il n'y a pas une vingt-huitième politique étrangère de l'Union.
Dans ce domaine, comme pour les Roms que je vais évoquer dans un instant, nous souhaitons simplement l'application du traité : tout le traité et rien que le traité.
Même s'il a été dominé par la question, très médiatique, des Roms, le dernier Conseil européen a marqué une vraie avancée. Pour la première fois, il s'est intéressé aux relations extérieures de l'Union avec les grands pays émergents. Ainsi, une longue séance a été consacrée aux relations avec la Chine, notamment. C'est d'ailleurs le résultat de la présidence stable. La France a obtenu – non sans mal – que la notion de réciprocité, particulièrement pertinente s'agissant de l'accès aux marchés publics, figure dans les conclusions du Conseil européen.
J'en viens à la question des Roms, dont je me suis préoccupé bien avant d'avoir été nommé au Gouvernement. Comme élu de Paris, j'ai en effet eu à vivre cette question, quotidiennement, dans ma propre circonscription : j'ai vu, après le 1er janvier 2007, date de l'entrée de la Roumanie et de la Bulgarie dans l'Union, des campements en pleine rue dans la capitale. Depuis ma nomination, en un an, je me suis rendu trois fois en Roumanie et une fois en Bulgarie. Je peux vous assurer que le Président de la République a conscience de l'ampleur du problème qui est devant nous. En s'élargissant, l'Europe a découvert l'existence de 10 à 12 millions de personnes d'ethnies roms, ressortissantes de nombreux États, qui ont un point commun, celui de vivre dans des conditions épouvantables de discrimination et de sous-développement, n'ayant accès ni à l'école, ni aux soins, ni au logement. Sur ces 10 à 12 millions de personnes, à peu près 9 millions sont citoyens de l'Union européenne – ces chiffres de la Commission et des ONG sont très incertains, beaucoup de pays membres de l'Union ne recensant pas ces personnes en tant que tel.
Face à ce drame humain – qui n'a pas été traité depuis la chute du mur de Berlin ! –, deux attitudes sont possibles. Soit on se complaît dans un débat juridico-idéologique sur l'article 3 du Traité et la libre circulation en Europe – mais cela ne changera rien à la vie des enfants dans la rue, obligés de mendier, de faire les pickpockets ou de se livrer à la prostitution. Soit – et c'est notre cas –, on considère que la solution à long terme est de traiter ce problème à la base, dans les pays d'origine, en se demandant comment les moyens de l'Union peuvent aider ces pays à intégrer ces personnes qui, parfois, comme en Roumanie, représentent 10 % de la population. Le vrai sujet est là, sachant que l'article 2 du traité accorde à tous les citoyens de l'Union – qu'ils appartiennent ou non à une minorité – les mêmes droits fondamentaux.
Le premier sommet européen sur les Roms a été organisé pendant la présidence française du Conseil de l'Union. Au mois d'avril dernier, j'ai été le seul ministre des affaires européennes à me rendre au deuxième sommet sur les Roms à Cordoue, où se trouvaient des ONG roms, mais pas les gouvernements, et où M. Soros a donné des leçons à l'Europe en expliquant qu'à titre privé, il donnait plus d'argent aux Roms que toute l'Union européenne réunie ! Il faut donc mobiliser les États membres pour que les obligations à l'égard de ces gens soient remplies ! Et je souhaite que nous sortions des anathèmes, des querelles, des imprécations, pour nous mettre au travail tous ensemble.
De ce point de vue, le Gouvernement prend acte des décisions annoncées aujourd'hui par la Commission sur la situation des Roms et sur la question de la libre circulation et son application en France, notamment cet été.
Premièrement, la France note avec satisfaction qu'aucune procédure d'infraction n'est engagée au titre de l'application prétendument « discriminatoire » du droit de l'Union européenne sur la libre circulation des personnes, un temps alléguée à l'encontre de la France à l'occasion des mesures d'éloignement ou de démantèlement des camps prises cet été. La France se félicite aussi que la Commission ait pris note des assurances apportées sur le fait que les mesures prises ne visaient pas une quelconque « minorité » spécifique, et que les autorités françaises continueront d'assurer l'application non discriminatoire du droit commun, c'est-à-dire du droit de l'Union européenne.
Deuxièmement, s'agissant de la transposition de la directive 200438, la Commission a ouvert un dialogue juridique avec plusieurs États, dont la France, depuis le mois de mai dernier. Elle a souhaité des éléments complémentaires. Nous sommes dans une logique de dialogue et nous apporterons ces éléments complémentaires. Mais je note que la Commission connaît les mesures de sauvegarde procédurales et jurisprudentielles qui sont dans nos principes généraux du droit. Cela étant dit, nous ferons dans les jours qui viennent une analyse détaillée des nouvelles demandes de la Commission et apporterons toutes les réponses nécessaires.
Troisièmement, nous nous réjouissons de constater que la Commission entend enfin insuffler un nouvel élan en faveur de l'insertion des Roms et mobiliser à cette fin l'ensemble des moyens de l'Union, afin de mettre fin au scandale que représentent les conditions d'extrême pauvreté dans lesquelles vivent plusieurs millions de citoyens de l'Union, ressortissants de plusieurs États membres, appartenant à des communautés roms. La France présentera également une contribution à la mise en place d'une stratégie européenne en faveur de l'insertion des Roms dans leur pays d'origine, dans le prolongement de ce que nous avons fait avec le gouvernement roumain depuis un an et de l'accord passé entre le Président Sarkozy et le président Basescu à la suite de la dernière visite que j'ai effectuée début septembre à Bucarest. La Commission organise d'ailleurs bientôt à Bucarest une réunion sur ce sujet : nous y serons, car c'est aujourd'hui qu'il faut construire les écoles, les logements et les hôpitaux dont ces populations ont besoin.
Sur les Roms, fort de ses 47 États membres, le Conseil de l'Europe a une vision globale : elle dépasse les seuls pays membres de l'Union en portant aussi sur les populations roms présentes dans les pays de l'ex-Yougoslavie par exemple. Le Conseil de l'Europe est aussi l'endroit où il y a le plus d'experts sur le terrain, où l'on forme les avocats roms, les élus roms. Le secrétaire général du Conseil de l'Europe, M. Jagland, m'a rendu visite à Paris pour me parler d'une initiative qu'il entend prendre pour passer à la phase de construction ; nous le soutenons. La volonté de l'UNESCO de se mobiliser en direction des enfants roms est aussi une excellente nouvelle. Nous devons maintenant être capables de mettre en place un plan solide en direction de ces populations, et tous les États – y compris ceux dont elles sont ressortissantes – doivent prendre clairement leurs responsabilités. Les responsabilités sont communes. Je souhaite que l'on passe de la phase des polémiques à la phase de l'action. L'argent existe, il convient de l'utiliser pour faire sortir de terre des écoles, des logements et des hôpitaux.