La critique que nous portions en première lecture contre ce « fatras » se trouve aujourd'hui confortée. Le Gouvernement est le premier responsable de ce grand désordre.
Pour mémoire, Mme Alliot-Marie avait annoncé le 18 octobre 2007 que le texte était prêt et qu'il allait être déposé. Il ne le fut que le 27 mai 2009, pour une discussion en première lecture le 9 février 2010. Notons que, en 2009 comme en 2010, les budgets de la mission « Sécurité » du projet de loi de finances étaient adossés à la LOPPSI 2 avant même que le Parlement ne se prononce !
De toute façon, le texte était incomplet. La discussion en commission s'est déroulée dans des conditions acrobatiques, le Gouvernement ayant déposé des amendements le matin même.
Depuis ce premier débat à l'Assemblée, la situation a empiré puisque le Gouvernement a éprouvé l'impérieuse nécessité de déposer trente nouveaux amendements devant le Sénat. Seuls seize d'entre eux ont été adoptés en commission. Le Gouvernement a néanmoins persévéré, déposant en séance publique des sous-amendements afin de remettre en discussion une partie des nouvelles dispositions. Entre-temps, il est vrai, le Président de la République avait prononcé nombre de discours auxquels il importait, comme d'habitude, de trouver un débouché législatif.
Le projet n'y a évidemment rien gagné en cohérence et en clarté. C'est toujours un texte fourre-tout recelant un étonnant galimatias. Devant le Sénat, le ministre lui-même a semblé s'y perdre, multipliant les propos contradictoires. D'un côté, il a invoqué une prétendue diminution de la délinquance de proximité pour justifier un renforcement du dispositif censé confirmer cette baisse ; de l'autre, il a mis en exergue l'insécurité croissante pour justifier de nouvelles mesures répressives. Comprenne qui pourra !
Passons sur le fait que la programmation ne figure pas dans le corps du projet, n'étant que succinctement abordée en annexe. Mais que recouvre exactement la notion de « performance » ? Il ne peut s'agir des crédits de fonctionnement : le Premier ministre a annoncé leur gel, ce qui ôte toute sincérité aux chiffres que l'on nous propose. S'agit-il des crédits d'investissement, comme il serait naturel dans une loi d'orientation ? Le texte ne prévoit qu'une progression de 2,7 %. Ce chiffre, qui inclut la modernisation déjà réalisée des équipements dans le cadre du plan de relance, est très faible au regard de la quasi-« clochardisation » des services de police et de gendarmerie. On le sait, bien des commissariats ne vivent, ou ne survivent, que grâce aux subsides municipaux – travaux d'entretien, prêt de matériel, etc. – et de nombreux conseils généraux investissent dans la rénovation ou la construction de gendarmeries.
La performance concerne-t-elle les forces de police et de gendarmerie ? Celles-ci sont en effet confrontées à une équation impossible : vous multipliez leurs missions et diminuez sans cesse leurs effectifs. Les nouveaux amendements évoqués par le rapporteur touchent des codes jusqu'à présent épargnés par votre frénésie textuelle : ainsi le code de l'environnement, avec la nouvelle infraction de trafic de déchets commis en bande organisée, ou le code des douanes, avec l'amendement consacré à la pratique du « coup d'achat ».
Pourtant, le texte issu du Sénat reste muet quant à l'évolution des effectifs. Le rapport de Guy Geoffroy, rapporteur pour avis de notre Commission sur la mission « Sécurité », a confirmé que vous aviez supprimé, pour la seule police nationale, 6 194 équivalents temps plein travaillé (ETPT). L'année dernière, à l'occasion de la préparation du PLF, le directeur général de la police nationale nous a annoncé que la police nationale perdrait sans doute 3 963 ETPT en 2012 et 2013. Pour ce qui est de la gendarmerie, je me réfère aux chiffres du rapport de M. Alain Moyne-Bressand, rapporteur pour avis de la commission de la Défense sur la mission « Sécurité » : 3 944 ETPT ont disparu depuis 2007. Au total, vous aurez supprimé plus de 10 000 postes budgétaires en trois ans.
La performance concerne-t-elle l'institution judiciaire ? Cela ne serait pas incongru, tant l'articulation entre les forces de sécurité et la justice est indispensable à une lutte efficace contre la délinquance. Vous pourriez envisager de donner aux uns et aux autres des moyens à la hauteur des ambitions que vous affichez. À la lecture de votre texte, on comprend que tel n'est pas votre choix. Vous multipliez les marques de défiance à l'égard des juges, notamment dans votre volonté d'étendre les peines plancher – qui sont la négation du principe d'individualisation de la peine –, dans vos textes récents comme la loi sur la récidive et la loi contre les violences en bande, ou dans le placement sous surveillance électronique, qui passe lentement de la compétence du juge à celle de l'administration.
S'agit-il alors de la performance du secteur privé, sujet qui n'a été abordé que lors de la discussion au Sénat ? Là encore, le Président de la République avait donné le ton en écrivant en 2007, dans sa préface au « Livre blanc de la sécurité privée » édité par l'Union des entreprises de sécurité privée : « Même si beaucoup a déjà été fait dans ces domaines, la place prise par la sécurité privée implique que nous allions plus loin encore. » Depuis, il est vrai que la majorité consacre beaucoup d'énergie à ce secteur : l'organisation le 15 mai 2008, au ministère de l'intérieur, du premier sommet européen de la sécurité privée, qui a consacré la place croissante occupée par celle-ci dans les dispositifs de maintien de l'ordre mis en oeuvre par les États de l'Union, ou encore la signature par M. Wauquiez, alors secrétaire d'État chargé de l'emploi, et par l'Union des entreprises de sécurité privée d'une convention prévoyant la création de 100 000 nouveaux emplois privés à l'horizon 2015, soit près de 15 000 emplois par an – à cette date, il y aura alors plus d'effectifs dans ce secteur que dans la police et la gendarmerie réunies.
Le projet vous donne l'occasion de vous occuper de nouveau de ces sociétés privées, mais sous le seul angle de l'organisation de la profession. Selon nous, il existe des questions plus décisives. Indépendamment de toute considération idéologique sur l'opportunité de favoriser ou non son développement, le secteur privé est-il en mesure d'assumer les missions abandonnées par l'État sans que ces transferts de compétences se traduisent par des dommages pour nos concitoyens ? La réponse, vous le savez, est négative : avec une estimable franchise, les représentants de la profession eux-mêmes révèlent dans leur Livre blanc que l'immaturité des métiers et la mauvaise image de la profession sont alimentées par la pléthore des sous-traitants et par le trop grand nombre d'intervenants, « dont une part significative – près d'un quart – est prête à toutes les irrégularités ». Ce constat met en évidence le peu d'impact, en matière de contrôle, d'une législation pourtant déjà précise.
Qui plus est, dans son rapport de décembre 2009, la Cour des comptes a constaté que l'emprise croissante de ces sociétés privées ne s'était pas traduite par un allégement des charges des services de police.
Il y avait là matière à un vrai débat, que vous ne souhaitez pas ouvrir. Comme les précédents, ce texte n'a en réalité qu'un objectif : masquer votre échec en matière de sécurité. Il n'aura malheureusement pas plus d'utilité que les précédents.