Néanmoins, puis-je vous rappeler qu'un arsenal législatif important est déjà en vigueur en la matière ? Aussi le caractère dissuasif de cette mesure de déchéance de la nationalité apparaît-il particulièrement inefficace au vu de la longue peine d'emprisonnement qu'encourt toute personne condamnée pour un tel crime.
Qui plus est, on l'a dit, la liste restrictive des fonctions citées dans cet article exclut des professions pourtant tout aussi fondamentales pour notre République. Le meurtre d'un enseignant, d'un ouvrier, d'un ingénieur, d'un médecin ou d'une infirmière serait-il moins grave que celui d'un policier ou d'un gendarme ? Un tel meurtre serait-il moins condamnable lorsqu'il est commis par « un bon petit Français » – expression que je réprouve –, que lorsque son auteur est une personne naturalisée depuis moins de dix ans ?
Il s'agit de votre part d'une décision idéologique prise en toute hâte et bien loin des réalités du terrain, une décision conduisant à des mesures législatives aussi absurdes qu'irréalistes et inapplicables.
Au-delà du caractère contestable de sa légitimité, de son efficacité, cette disposition crée une rupture d'égalité entre les citoyens français. L'article 1er de la Constitution dispose en effet que « la République assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion ».
Tout cela est d'autant plus grave que nous devrions nous efforcer de rassembler dans un pays marqué par un véritable délitement du lien social. La crise économique et sociale qui secoue la France s'accompagne, pour nombre de nos concitoyens, d'un cortège de peurs, d'inquiétudes quant à l'avenir, pour soi, pour ses enfants. Est-ce bien le moment pour diviser au lieu, j'y insiste, de rassembler, le moment pour pointer l'autre du doigt au lieu de montrer les voies et les moyens d'un espoir retrouvé ?
Je préfère reprendre cette belle formule de Jean Cocteau : passer d'un regard qui dévisage à un regard qui envisage. Établir deux catégories de citoyens signifierait pour tout étranger naturalisé qu'il n'est pas membre à part entière de la communauté nationale, ce qui ne peut qu'attiser les tensions, fracturer une cohésion sociale qu'il nous faut rétablir.
Monsieur le ministre, vous avez déclaré avoir pour ambition de faire des étrangers de bons petits Français. Je vous invite pour ma part à commencer par faire de bonnes lois assurant la cohésion sociale. Mes chers collègues, le législateur n'a pas vocation à créer des catégories de sous-citoyens, c'est pourquoi je vous exhorte à rejeter cet article contestable, détestable, inefficace et contraire à la Constitution. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)