Monsieur le ministre, vous avez l'air, ce qui est tout à fait votre droit, de trouver fastidieux de répéter toujours les mêmes réponses. Mais, comme vos réponses ne nous satisfont pas, vous nous permettrez d'insister et de revenir sur les articles 6 à 12, qui, selon nous, ne devraient pas figurer dans cette loi.
Ces articles ne correspondent à aucun impératif de transposition d'une quelconque directive européenne. Comme plusieurs d'entre nous l'ont souligné, ils font suite à l'arrivée en Corse de 123 migrants. Or les juges de la liberté et de la détention, saisis quelques jours plus tard, avaient libéré l'ensemble de ces personnes, considérant qu'elles avaient été privées illégalement de liberté.
Il faut rappeler que la notion de zone d'attente est attachée à la zone d'accès réservé dans les ports, aéroports et gares ouvertes au trafic international hors Schengen. Or cet article et les suivants créent une distinction entre la zone d'attente et le territoire sur une distance de dix kilomètres de la frontière puisqu'il permet de ramener en zone d'attente, en deçà du contrôle frontière, des personnes qui sont déjà entrées, même de manière irrégulière, sur le territoire. Une personne entrée irrégulièrement sur le territoire et celle placée en zone d'attente n'ont pourtant pas les mêmes droits. Vous remettez cela en question.
Le texte remanié par la commission des lois fait état de l'arrivée simultanée d'au moins dix personnes dans un périmètre de dix kilomètres de la frontière, ces personnes pouvant être ensemble ou éparpillées dans cette zone. Le nombre de dix ne correspond manifestement pas à la notion d'afflux massif dans des circonstances exceptionnelles figurant dans la directive. Il pourrait d'ailleurs s'appliquer couramment dans les aéroports et dans les ports. On peut considérer, par exemple, que onze personnes voyageant indépendamment et se trouvant en situation irrégulière soient considérées comme étant collectivement arrivées sur le territoire. Vous ne manquerez pas d'ailleurs de l'interpréter ainsi.
Cela pourrait avoir des conséquences sur le droit d'asile puisque les règles sont différentes.
En zone d'attente, les personnes peuvent être privées de liberté le temps de l'examen du caractère manifestement infondé de leur demande d'asile par le ministère de l'immigration. Si leur demande est rejetée, elles peuvent être renvoyées dans leur pays de provenance ou d'origine, sous réserve d'un recours suspensif de quarante-huit heures auprès du tribunal administratif de Paris, sans qu'elles puissent déposer une demande d'asile auprès de l'OFPRA.
Si elles se trouvent sur le territoire français – et vous apprécierez la nuance –, elles peuvent déposer une demande d'asile auprès de la préfecture puis de l'OFPRA, qui examine sur le fond leur demande d'asile sous le contrôle de la Cour nationale du droit d'asile, en étant admises à séjourner provisoirement et en étant logées dans un centre d'accueil pour demandeurs d'asile.
Comme on le voit, l'adoption d'une telle disposition conduirait, quoique vous le niiez, à rendre moins effectif le droit d'asile, ce qui est contraire à la jurisprudence constitutionnelle.
Il en va de même pour les personnes qui ne sollicitent pas l'asile. Si on les replace en zone d'attente, il peut leur être notifié un refus d'entrée exécutoire d'office, à moins que la personne ne demande à bénéficier d'un jour franc, mais elle n'aura pas la possibilité d'un recours suspensif.
Si on considère qu'elles sont entrées irrégulièrement, il est possible de leur notifier une mesure d'éloignement, laquelle peut faire l'objet d'un recours suspensif et urgent devant le tribunal administratif.
Il faut, de plus, souligner que les populations que vous visez sont souvent les plus vulnérables : enfants, personnes âgées ou personnes de santé précaire. Maintenir des enfants en zone d'attente est un traitement inhumain et dégradant, au sens de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. La réforme que vous proposez ne ferait qu'aggraver les traumatismes psychologiques de la retenue en zone d'attente de ces enfants.
Comme on le voit, la possibilité d'étendre la zone d'attente de façon élastique a pour conséquence de réduire également les droits des personnes sollicitant une entrée au séjour et est contraire à la directive 2008115CE, dite directive retour.