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Intervention de Louis Cosyns

Réunion du 28 septembre 2010 à 21h30
Immigration intégration et nationalité — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaLouis Cosyns :

Je voudrais d'abord rappeler que le droit des étrangers, en ce qu'il touche aux libertés fondamentales, devrait faire l'objet d'une stabilité toute particulière. Pourtant, depuis 1980, ce ne sont pas moins de vingt-sept réformes qui sont intervenues, faisant ainsi de ce domaine l'un des exemples typiques de l'inflation législative grandissante, récemment dénoncée par le Conseil d'État dans son rapport public.

C'est d'ailleurs pour clarifier et unifier cette abondance normative qu'a été adopté le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, sur le fondement de la loi du 26 novembre 2003.

Sur la question de la complexité juridique, il me semble que ce projet de loi apporte des réponses sérieuses puisqu'il consacre les conclusions rendues par la commission « sur le cadre constitutionnel de la nouvelle politique d'immigration », installée le 7 février 2008 sous l'autorité de M. Pierre Mazeaud.

Gardons bien à l'esprit que ce texte ne procède pas de la volonté du Gouvernement français de rajouter une énième strate législative, mais bien d'adapter son droit au cadre communautaire qui le surplombe. Ce faisant, notre pays pose peu à peu les jalons d'une véritable politique européenne de l'immigration et de l'asile, qui n'est que la régulation nécessaire du principe de libre circulation des hommes issu des accords de Schengen.

Dans l'esprit du Pacte européen sur l'immigration et l'asile, adopté le 16 octobre 2008, trois directives ont été adoptées. Il incombe maintenant aux législateurs que nous sommes d'en assurer la transposition.

J'ai rappelé l'impératif de clarté du droit. À l'heure actuelle, les compétences contentieuses en matière d'étrangers sont partagées entre les deux ordres de juridictions. Cet éclatement est bien sûr source d'insécurité juridique. En matière de rétention administrative de ressortissants étrangers, la décision initiale de placement en rétention étant prise par l'administration, elle ne peut être contestée que devant le juge administratif. En revanche, la prolongation du placement en rétention au-delà d'une durée de quarante-huit heures doit être prononcée par le juge des libertés et de la détention.

En matière de contentieux de la rétention et de l'éloignement, un effort de simplification est bel et bien engagé par ce projet de loi. Cela ne pourra que renforcer l'efficacité de nos procédures. Je rappelle qu'à l'heure actuelle le taux d'échec des décisions d'éloignement est supérieur à 75 %.

Dans la droite ligne du rapport Mazeaud, qui souligne « l'enchevêtrement des procédures judiciaire et administrative » et la « précipitation » dans laquelle elles sont menées, le projet de loi accorde au juge administratif un délai de soixante-douze heures pour statuer. Certains considèrent ce délai comme excessif. N'oublions pas que ce n'est pas sur une seule décision que le magistrat administratif statuera, mais potentiellement sur les six décisions pouvant viser une personne placée en détention.

Certains élus ont fait savoir leur réticence à l'égard du second alinéa de l'article 37 qui ne rend possible la saisine de l'autorité judiciaire qu'à partir d'un délai de cinq jours, contre deux auparavant. Dans le même esprit, le Conseil national des barreaux a exprimé au printemps dernier son opposition à cette primauté accordée au juge administratif. Certes, au sens de l'article 66 de notre Constitution, l'autorité judiciaire est « la gardienne des libertés individuelles ». Mais cette lecture littérale ne saurait faire oublier qu'en matière de protection des droits fondamentaux, le juge administratif n'a pas grand-chose à envier au juge judiciaire.

D'ailleurs, les procédures de référé mises en place par la loi du 30 juin 2000 n'existaient pas lorsque notre Constitution a été rédigée. Je pense en premier lieu au « référé-liberté » : cette procédure pourra bien évidemment être engagée à l'encontre d'une décision concernant un ressortissant étranger.

Malgré ces garanties, il appartiendra au Conseil constitutionnel d'apprécier si ce délai de cinq jours avant l'intervention de l'autorité judiciaire se justifie. Au vu de sa décision de 1980, nul ne peut aujourd'hui affirmer avec certitude que l'article 37 de ce projet de loi sera bien validé.

Je voudrais évoquer un second sujet : la question de l'extension des motifs de déchéance de nationalité, régie par l'article 25 de notre code civil. En vertu de l'article 3 bis de ce projet de loi, la déchéance de nationalité est étendue aux Français naturalisés depuis moins de dix ans et condamnés pour meurtre, ou pour tentative de meurtre, sur des « personnes dépositaires de l'autorité publique ».

Tout le monde s'accordera pour dire qu'attenter à la vie d'un préfet, d'un magistrat, d'un gendarme ou d'un policier est particulièrement choquant, et ce d'autant plus qu'ils sont une émanation de la puissance publique, et qu'à travers eux c'est bien l'État qui est visé.

Interrogé sur la conformité de la loi du 22 juillet 1996, le Conseil constitutionnel a considéré que l'extension des motifs de déchéance de nationalité pour des individus l'ayant acquise depuis moins de dix ans ne violait pas le principe d'égalité. Il s'agit d'ailleurs d'un raisonnement intellectuellement contestable, puisqu'il crée une différence de traitement manifeste entre ceux qui naissent français et ceux qui le sont devenus.

Dans le code civil, la déchéance de nationalité punit les « atteintes aux intérêts fondamentaux de la nation » et les « actes de terrorisme ». Le projet de loi considère que l'atteinte à la vie d'un dépositaire de l'autorité publique peut être rapprochée de ces catégories, voire assimilée à elles. Il s'agit d'une conception extensive de ces notions et j'ignore si le Conseil constitutionnel la jugera conforme. Mon propos n'est pas de minimiser les violences dont nos forces de l'ordre sont trop souvent victimes, mais simplement de dire qu'une telle sanction me paraît contraire au principe d'égalité devant la loi.

J'espère que le débat parlementaire qui va s'engager apportera les éléments nécessaires pour que je vote votre loi.

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