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Intervention de Patrick Braouezec

Réunion du 28 septembre 2010 à 21h30
Immigration intégration et nationalité — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPatrick Braouezec :

Ce projet se distingue également par une défiance totale à l'égard des juges, visiblement considérés comme des gêneurs dans la mise en oeuvre des objectifs chiffrés d'expulsion. Le Gouvernement octroie toujours plus de latitude à l'administration dans la mise en oeuvre des expulsions et, corrélativement, toujours moins de droits pour des étrangers privés de liberté alors même qu'ils n'ont commis aucune autre infraction que d'être sur le territoire. Telle est la conception du Gouvernement pour la mise en oeuvre d'une politique migratoire prétendument respectueuse des droits de l'homme, prétendument généreuse.

L'ensemble des dispositions du projet de loi relatives au contentieux judiciaire sont destinées, pour les unes, à éviter à l'administration le désagrément d'avoir à soumettre la régularité de ses procédures au contrôle du juge judiciaire et, pour les autres, à réduire ou neutraliser les pouvoirs de contrôle de ce dernier.

Que le juge judiciaire, institué gardien des libertés individuelles par la Constitution et chargé à ce titre de sanctionner les excès de l'administration en mettant fin aux rétentions indues soit entravé dans l'exercice de cette fonction n'étonnera guère. Ce projet renforce les difficultés rencontrées par les étrangers pour faire valoir leurs droits, constitution des dossiers de demande d'asile et accès à l'aide juridictionnelle.

Ajoutons que la généralisation de l'obligation de quitter le territoire français sans délai permettra de restreindre le droit des étrangers à contester la décision de l'administration. La personne étrangère ne disposera plus que d'un délai de quarante-huit heures pour introduire un recours lui-même complexe et nécessitant pour aboutir les conseils de spécialistes.

Sur le plan de la santé, il accentue le soupçon généralisé à l'égard des étrangers, qui sont présumés coupables de vouloir abuser de l'aide sociale, de l'assurance maladie, de la sécurité sociale. Il n'est pas de bon ton d'être malade lorsque vous êtes sans papiers, même dans une démocratie moderne où le système de santé s'est bâti sur le concept de solidarité entre les individus, et alors que le droit à la santé a valeur constitutionnelle. À Mayotte plus qu'ailleurs l'accès aux soins des plus précaires est mis à mal par une pression sécuritaire et financière sans précédent dans l'histoire médicale contemporaine de la France.

Des conjoints de Français ou d'étrangers en situation régulière, voire avec des enfants en France, n'ont parfois pas de document de séjour. La loi, qui peut déjà interrompre leur vie familiale, va durcir les conditions de leur séparation en repoussant toute possibilité de retour. En effet, tout étranger renvoyé peut être banni de l'Union européenne jusqu'à cinq ans Cette double peine est indigne.

Les organisations qui travaillent avec les migrants sont aussi ciblées. En modifiant à la marge la loi, le projet voudrait calmer les critiques sur le délit dit de solidarité et continuer à dissuader quiconque aiderait de bonne foi et dans la durée un étranger dont nul ne sait a priori s'il est en situation administrative irrégulière.

Il est contradictoire de maintenir le principe de fraternité dans la devise de la République et de punir les actes de solidarité. Motivés par la solidarité et la défense des étrangers sans papiers, des citoyens, des mouvements de solidarité et des associations refusent que des mesures de plus en plus restrictives, voire arbitraires, propulsent des milliers d'hommes et de femmes dans la précarité et le désespoir. En craignant des mesures d'éloignement de plus en plus expéditives, les étrangers seront conduits à se cacher et à ne pas recourir à l'aide qui leur est pourtant nécessaire pour conserver des conditions de vie acceptables et voir satisfaits leurs besoins élémentaires : hébergement, aide alimentaire, soins, scolarisation des enfants, aide juridique etc…

Les travailleurs sociaux et les bénévoles, déjà en difficulté face aux méandres du droit des étrangers et aux pressions exercées sur eux par certaines administrations, risquent de ne plus pouvoir exercer leur mission d'accueil inconditionnel et d'accompagnement. Pour eux, deux craintes majeures demeurent : les interpellations des personnes en situation irrégulière au sein ou aux abords des structures d'accueil et d'hébergement, et les poursuites pénales à l'encontre des personnes qui viennent en aide aux sans papiers.

Mais ce projet va plus loin, il marque un tournant considérable dans la politique d'immigration. Dans certains domaines, il introduit pour les étrangers un véritable régime d'exception : enfermement sans aucun contrôle judiciaire pendant cinq jours. Jusqu'alors, la loi réclamait le contrôle du juge des libertés si la mise en rétention excédait deux jours avant l'expulsion. Ce garde-fou, indispensable face à l'arbitraire de l'administration, est retardé par ce projet de loi : ainsi, des expulsions seront possibles pendant cinq jours sur seule décision administrative.

De plus, le juge judiciaire ne pourra plus sanctionner certaines irrégularités. En reportant de deux à cinq jours le délai pendant lequel l'administration devra saisir le juge des libertés et de la détention, le projet vise clairement à lui permettre de mettre à exécution un nombre considérable de procédures de reconduite sans qu'à aucun moment un juge ait été appelé à vérifier la régularité de l'arrestation de l'étranger et des conditions de sa rétention au regard des droits qu'il est censé pouvoir exercer.

Ce projet est loin de présenter la simplification annoncée, il complexifie au contraire le droit des étrangers et rend encore plus opaques les voies de recours et de régularisation. Les amendements qui viennent d'être déposés par le Gouvernement renforcent cette tonalité.

En définitive, les étrangers n'auront plus le droit d'être entendus, le droit d'asile sera largement entravé, le droit de vivre en famille restreint et la solidarité plus que jamais répréhensible. Le texte durcit les dispositions applicables en matière de privation de liberté des étrangers et, par conséquent, menace leurs droits fondamentaux mais aussi les nôtres.

Ce projet de loi démontre bien que les migrations sont devenues l'une des questions sociales, économiques et politiques les plus délicates de ces dix dernières années car, face au déferlement des pauvres, les pays développés se transforment en d'impossibles forteresses. Ils se ferment de plus en plus à certaines catégories d'étrangers en resserrant le contrôle de l'immigration et en rendant toujours plus difficiles les conditions d'entrée et de séjour sur leur territoire. Je viens de citer là le rapporteur de la commission de droit international de l'ONU, Maurice Kamto.

Du coup, les États, et le nôtre en particulier, considèrent l'étranger comme le gêneur, le terroriste potentiel. La conséquence est qu'il doit être combattu.

Avec la politique d'immigration répressive et violatrice des droits humains fondamentaux, on assiste à une sorte d'institutionnalisation légale de la xénophobie. On détourne le regard des causes profondes de l'immigration que sont le déséquilibre, les inégalités économiques du monde et l'extrême pauvreté, mais aussi les guerres entretenues au détriment des populations et du droit des peuples à l'autodétermination.

L'immigration est l'un des révélateurs dramatiques des déséquilibres socio-économiques, aggravés par la globalisation imposée par l'économie néolibérale, qui provoque, vous le savez, une paupérisation galopante des pays sous-développés.

Cette politique s'encadre dans un enfermement identitaire que traduit le refus de la diversité. Ici, l'enfermement identitaire se manifeste à deux niveaux, le système des valeurs d'une part, et les expressions et les signes culturels d'autre part.

En ce qui concerne les systèmes de valeurs, l'enjeu de l'enfermement identitaire est révélé par une approche dominante de l'assimilation qui, en conditionnant l'intégration de l'immigré exclusivement par l'acceptation et le respect des valeurs du pays d'accueil, postule l'inexistence de valeurs humaines culturelles ou religieuses propres à l'immigré ou au demandeur d'asile.

Cette approche négatrice en dernière analyse de l'humanité même de l'immigré, de l'étranger ou du demandeur d'asile participe en fait de la vieille idéologie de la hiérarchisation des cultures et des civilisations…

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