Je citerai l'exemple de Mohamed Amouch qui a été interpellé par des policiers qui l'attendaient devant la mairie où il se rendait avec sa compagne française, enceinte, pour y déposer leur dossier de mariage. Son expulsion devait avoir lieu hier. Les regroupements familiaux sont aussi rendus difficiles, voire pratiquement impossibles. Mme Justina – c'est aussi la réalité, monsieur le ministre –, Haïtienne titulaire d'une carte de résident, travaille et dispose d'un appartement de soixante-dix mètres carrés. Elle attend depuis 2005 la venue de ses deux filles, après avoir reçu l'accord préfectoral. Mais toutes ses demandes de visa ont été rejetées. Le 12 janvier, sa cadette, Ronilde, est morte lors du séisme. Quant à son aînée, Angie, entre-temps devenue majeure, elle ne peut toujours pas venir en France, en dépit des nombreuses démarches de sa mère. Pourtant, Angie ne devrait-elle pas déjà être là puisqu'elle était mineure au moment où sa mère a déposé la demande ? Et je ne parle pas de l'introduction de la fameuse condition d'adhésion aux valeurs républicaines, dont les critères ne sont toujours pas définis !
Le Gouvernement affirme que ces lois successives ne sont là que pour traquer l'immigration irrégulière, afin de mieux intégrer l'immigration régulière, mais ces réductions de liberté touchant les sans-papiers déstabilisent tout autant l'immigration légale que l'ensemble de la société française. Avec ces différentes lois, le droit a perdu et continue de perdre toujours plus de terrain face à l'arbitraire. Et ce ne sont pas les fonctionnaires que je mets en cause en affirmant cela. Ainsi a-t-on supprimé le dernier droit des sans-papiers, celui d'être régularisés au bout de dix ans de présence, en dépit de la promesse du ministre de l'intérieur faite dans cet hémicycle. Je m'en souviens d'autant plus que je l'avais à l'époque interpellé.
En définitive, les étrangers sont de plus en plus exclus du droit commun, isolés dans une espèce de zone de non-droit. La ligne jaune a été franchie depuis que les gouvernements successifs ont affirmé qu'un certain nombre d'individus qui vivent parmi nous, avec nous, étaient indésirables. De là se sont développées des convocations pièges dans les préfectures ; des arrestations de parents alors qu'ils attendent leurs enfants à la sortie de l'école ; l'interpellation de personnes à leur domicile comme cela s'est produit à Amiens, mais aussi dans leur quartier, pratiquement chaque semaine, au métro Belleville ; des arrestations lors de contrôles de police ; c'est aussi l'interpellation d'une trentaine de sans-papiers alors qu'ils attendaient la distribution alimentaire des Restos du coeur… Nous pourrions multiplier les exemples.
Soulignons que ces hommes, ces femmes et ces enfants n'ont commis aucun délit, sauf celui d'être là, parfois depuis longtemps, soit dans l'attente d'une régularisation, soit parce que devenus sans-papiers suite à la transformation des lois successives. Lors de ces arrestations, des enfants sont emmenés dans des centres de rétention. Il n'y a pas si longtemps, la Cimade précisait qu'il y avait près de 400 jeunes enfants enfermés dans les centres de rétention administrative, dont des nouveau-nés ! Pour les parents qui essaient de les soustraire à cet enfermement, l'alternative est violente : soit les parents les emmènent avec eux dans le long périple de l'expulsion, soit ils sont placés à la DDASS.
En se focalisant sur un objectif chiffré d'expulsions à effectuer chaque année, le discours gouvernemental a pour effet de masquer l'ensemble des moyens mis en oeuvre pour y parvenir. C'est en effet toute une chaîne de contrôle qui se déploie en amont de cette expulsion, comme en témoigne l'expérience vécue par une autre sans-papiers, Béatrice Tamba. Je la cite : « On ne m'avait jamais mis de menottes. C'est une humiliation pour nous, sachant que je n'ai pas volé ! »
Le dispositif se démultiplie – du contrôle de police au placement en garde à vue, de la rétention jusqu'à l'éventuelle expulsion du territoire français –, faisant intervenir de nombreux acteurs et différents lieux d'enfermement. Ces éléments, auxquels il faut ajouter la prison, participent du mode de gestion spécifique des étrangers en situation irrégulière et produisent des effets concrets sur la vie des étrangers en situation irrégulière, indépendamment de ce qui semble être l'objectif premier : l'expulsion du territoire français.
À la politique systématique d'expulsion à l'égard des migrants, maintenant avec ou sans papiers, s'ajoute celle qui touche les Roms, aggravant les difficultés de vie des familles, suscitant des ruptures des suivis de santé et niant les démarches d'intégration qui existent, que ce soit au niveau de la scolarisation, de la recherche de travail ou de logement.
Durant cet été, les citoyens français ont assisté à des scènes de violence dénoncées par de nombreuses personnes. Ils ont pu voir la police nationale, des polices municipales, la police aux frontières, les services de l'Office de l'immigration et de l'intégration, les services des préfectures participer à la destruction de logements de fortune et pousser des familles vers l'expulsion. Ces opérations ont fait écho à la volonté du Président de la République de renvoyer en Roumanie et en Bulgarie les Roms en situation irrégulière. Ces déclarations ont pourtant suscité des réactions en cascade. Tout à l'heure, certains d'entre vous – M. le ministre, M. Mariani et M. Goasguen – ont essayé de démontrer que la France était le meilleur élève de la classe européenne.