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Intervention de François Roussely

Réunion du 15 septembre 2010 à 16h00
Commission des affaires économiques

François Roussely, président honoraire d'EDF :

Monsieur Brottes, vous dites avoir été déçu à la lecture de la synthèse de mon rapport. Je ne porte aucune responsabilité dans le choix de diffuser cette synthèse plutôt que le rapport dans son entier. Mais il faut reconnaître que certaines considérations, si elles ne sont pas maniées avec la plus extrême précaution, peuvent avoir des conséquences non négligeables pour des entreprises cotées en Bourse ainsi que sur certaines de leurs relations contractuelles. Cela étant, je suis tout à fait disposé à développer plus longuement lors d'une réunion de travail spécifique les aspects concernant, par exemple, le financement.

La singularité de la France est que son électricité est à 80 % d'origine nucléaire, si bien que la consommation de semi-base et de pointe est également assurée par le nucléaire, outil qui n'est pas vraiment fait pour cela. Les résultats de certains opérateurs étrangers sont meilleurs parce qu'ils n'utilisent le nucléaire qu'en consommation de base et que du coup, le coefficient de disponibilité de leur parc peut être plus élevé. On ne peut pas vraiment comparer nos résultats à ceux de pays dans lesquels seul un tiers de l'électricité est d'origine nucléaire. En France, certaines pièces des réacteurs, utilisés aussi pour les pointes, subissent une usure beaucoup plus rapide. Cela étant, on peut sans nul doute améliorer la disponibilité de notre parc et il faut remonter la pente. Un point supplémentaire de disponibilité représente tout de même quelque 200 millions d'euros de résultat supplémentaire. Si les résultats ne sont pas excellents, cela tient aussi à certains investissements qui ont été nécessaires, à la politique sociale de l'entreprise…

Un mot des relations entre EDF et l'électricien chinois CGNPC, même s'il serait sans doute plus pertinent que vous interrogiez l'actuel président d'EDF sur le sujet. Je ne pense pas qu'il y ait de craintes à avoir. Face à une demande diversifiée, soit on s'en tient au produit unique que l'on possède et on ne pourra pas répondre aux besoins de l'Afrique du Sud par exemple qui souhaite un réacteur de plus faible puissance. Soit on conclut des partenariats avec d'autres électriciens à même de fournir de tels réacteurs – ce qui est le cas de CGNPC qui produit notamment un CPR 1000. Faut-il se féliciter qu'EDF puisse offrir, à côté de l'EPR, le CPR 1000 ? Certains ont parlé de retour en arrière, notamment en matière de sécurité, ce réacteur est un réacteur de deuxième génération amélioré possédant moins de redondance des circuits de sauvegarde que l'EPR. Mais la vérité oblige de dire que le CPR 1000 est équipé d'outils de contrôle-commande que ne possèdent même pas nos réacteurs 900. Certes, le CPR 1000 n'est pas l'EPR, mais il n'est pas dangereux et si EDF décidait de s'associer à sa commercialisation, ce ne serait pas une hérésie. Il est beaucoup plus moderne que les tranches homologues de notre propre parc. Serait-ce un mauvais coup contre Areva, mettant à mal la coopération souhaitée entre les deux entreprises ? Elles ne sont pas liées. EDF n'est pas tenu de proposer uniquement des réacteurs produits par Areva, pas plus qu'Areva n'est contraint de ne proposer ses produits qu'à EDF. Il n'y a rien de choquant à ce qu'EDF essaie de combler le « trou » qui existe entre l'EPR et l'ATMEA, lequel ne sera pas prêt avant cinq ou six ans. On n'est plus en situation de monopole aujourd'hui. Au contraire, la concurrence fait rage et les clients souhaitent avoir le choix. La relation ancienne et de qualité établie avec CGNPC ne doit pas inquiéter.

S'agissant du calendrier, je n'ai aucun pouvoir. J'ai formulé des recommandations, comme il me l'a été demandé. Il appartient aux pouvoirs publics de décider de leur mise en oeuvre. Je relève toutefois que le président d'EDF et la présidente d'Areva se sont rencontrés, esquissant une coopération pouvant être l'amorce du partenariat que le Président de la République appelle de ses voeux. On va donc, me semble-t-il, dans la bonne direction.

Monsieur Poignant, vous êtes favorable aux énergies décarbonées. Est-il choquant, madame Massat, d'affirmer que le nucléaire est une énergie renouvelable ? Au-delà des interminables querelles théologiques, on peut en tout cas considérer que c'est une énergie propre et il faut, sans chauvinisme, se féliciter que la France soit le seul pays au monde à produire 95 % de son électricité sans CO2,avec 80 % de nucléaire et 15 % d'hydraulique.

Pour ce qui est de concilier les exigences économiques et les impératifs de sûreté, je tiens à dire ici que nul ne brade la sécurité en matière nucléaire, pas plus la Corée que la France. Les entreprises coréennes ont les mêmes préoccupations que celles qui étaient les nôtres il y a trente ans. Le pays tire aujourd'hui profit d'un effet de masse, semblable à celui dont nous profitions à l'époque de la construction de notre parc, une ingénierie intégrée permettant d'importantes synergies. La perte du marché d'Abu Dhabi a pu apparaître comme un orage dans un ciel serein, mais tel n'était pas le cas : tous ceux qui connaissent bien les pays du Golfe savent le rôle qu'y jouait déjà l'ingénierie coréenne dans de nombreux domaines, notamment le bâtiment. Peut-être devrions-nous réfléchir à une meilleure organisation de nos forces en matière d'ingénierie aussi dans le BTP, la recherche pétrolière…

Oui, la construction de réacteurs va s'accélérer dans les années à venir. Alors qu'aujourd'hui en Inde, en Chine, en Corée et au Japon, on en dénombre un peu plus de 100 en fonctionnement, 35 sont en construction et 72 en projet.

Pour ce qui est de la quatrième génération, elle sera décalée dans le temps du fait de l'allongement de la durée de vie des centrales. Quand on parlait il y a 10 ans de remplacer le réacteur de Fessenheim par un EPR qui devait être prêt vers 2015, on pensait qu'une centrale pouvait durer 40 ans. Si sa durée de vie est de 50 ou 60 ans, cela donne davantage de temps aux chercheurs pour avancer sur le plan scientifique. Beaucoup de travail reste à faire en ce domaine. À ce sujet, les éléments qu'aurait pu apporter Super-Phénix nous feront défaut – je ne dis pas pour autant qu'il faut le reconstruire !

Faudrait-il une politique européenne de l'énergie ? C'est si évident qu'on se demande bien pourquoi il n'y en a pas eu jusqu'à présent. Lorsque j'étais président d'EDF, j'avais demandé au commissaire européen chargé de la recherche-développement pourquoi l'Union n'y consacrait pas davantage. Je m'en étais également entretenu avec le président de la Commission européenne de l'époque, M. Prodi, ancien ministre italien de l'énergie, convaincu comme moi de cette nécessité. Hélas, rien de concret n'a suivi, comme si chacun pensait qu'il n'appartenait pas à l'Europe d'intervenir dès lors qu'il existait des géants comme EDF ou Areva. J'aurais souhaité par exemple qu'on octroie des bourses afin d'inciter les étudiants à s'orienter dans les filières scientifiques indispensables pour le nucléaire, comme il en existe aux Etats-Unis, accordées par le Département de la défense ou celui de l'énergie, afin d'être assuré de disposer, quels que soient les choix technologiques futurs, de la matière grise nécessaire. Rien n'a été fait. Aujourd'hui, il faudrait à tout le moins une coordination minimale entre les autorités de sûreté des différents pays de l'Union car il est curieux de soumettre à des réglementations strictement nationales des produits destinés à un marché international.

Pour ce qui est de Penly 3 – je réponds à M. Paul –, on en aura besoin dans les années 2030. On l'avait envisagé comme un élément nécessaire à l'équilibre entre acteurs. On a renoncé à le faire exploiter par ce deuxième acteur. S'agissant d'investissements de plusieurs milliards, dont la durée de vie avoisinera le demi-siècle, on ne perd pas son temps, tout en restant dans des délais raisonnables, à attendre un retour d'expérience des chantiers d'Olkiluoto et de Flamanville. On risque sinon de commettre les mêmes erreurs et, de l'avis même d'EDF Penly pourrait être plus cher que Flamanville, ce qui serait l'inverse de ce que l'on pouvait escompter et de ce qui se passait lors du premier programme électro-nucléaire où les dernières centrales bénéficiaient de l'expérience acquise lors de la construction des premières.

En ce qui concerne les tarifs, je pense en effet que des hausses modérées mais régulières sont nécessaires pour financer le programme électro-nucléaire à venir. Il était quelque peu contradictoire pour EDF de devoir à la fois financer le renouvellement du parc, même si celui-ci a pu, c'est heureux, être différé, des acquisitions à l'étranger et vendre son électricité à prix coûtant à ses concurrents. Au travers des dernières décisions concernant les tarifs, il semble qu'on ait pris conscience du problème.

S'agissant des salariés, en particulier des « nomades du nucléaire », bien entendu une charte ne suffit pas. Je préconise d'ailleurs dans mon rapport l'agrément de toutes les entreprises travaillant dans le secteur, car il n'est pas normal que ce soient les salariés les plus précaires qui soient les plus exposés et ne fassent pas l'objet d'une attention particulière quand leur contrat doit prendre fin parce qu'ils ont atteint le seuil annuel maximal d'exposition.

Oui, il faut trouver un juste équilibre entre exigences économiques et impératifs de sûreté, sans jamais tomber dans le low safety. Les États-Unis y sont parvenus : l'homologue de notre ASN y posait sans cesse de nouvelles exigences, certaines justifiées, d'autres non, jusqu'à ce que cela finisse par mettre en difficulté les entreprises qui y étaient soumises. Le Congrès, dans sa grande sagesse, a alors élaboré un cadre législatif permettant de trouver le bon équilibre. On ne peut pas faire en effet comme si les mesures de sûreté n'avaient aucun coût et ce n'est pas faire fi de la sécurité que de le souligner.

Madame Got, des centrales de 60 ans seront-elles toujours aussi sûres ? L'âge moyen de notre parc est aujourd'hui de 24 ans, et notre centrale la plus ancienne, Fessenheim, a 30 ans. L'effet de parc, qui est une spécificité française, fait que le niveau des dépenses de maintenance est beaucoup plus élevé que partout ailleurs dans le monde. Lorsque l'ASN ou EDF repère un défaut ou pense qu'une amélioration est possible dans une centrale, celui-là n'est pas corrigé et celle-ci n'est pas apportée que dans cette centrale, mais dans l'ensemble du parc, ce qui facilite la prolongation de sa durée de vie.

Jusqu'à quel niveau, supportable par les clients, porter les tarifs ? Je sortirais de mon rôle si je me substituais à EDF pour répondre à cette question.

Pour ce qui est d'un programme d'éducation à l'énergie, j'ai observé que le nucléaire suscite toujours des réactions à fleur de peau. L'industrie nucléaire est pourtant l'industrie à risques la mieux encadrée et la mieux contrôlée. C'est pourquoi il conviendrait de mieux en faire connaître les réalités, surtout dans un pays comme la France où 80 % de notre électricité est d'origine nucléaire. Je suis convaincu que l'acceptation du nucléaire repose sur la transparence totale. Je suis toujours peiné que certains enseignants refusent, lors de sorties éducatives, d'accompagner leurs élèves dans l'enceinte des centrales, comme si cela était contraire à leurs valeurs. C'est faire injure aux salariés qui y travaillent et qui bien souvent sont aussi des parents d'élèves. Beaucoup de pédagogie est encore nécessaire.

Monsieur Trassy-Paillogues, j'ai déjà répondu sur les performances comparées des exploitants. Si les résultats de certains peuvent sembler meilleurs que ceux d'EDF, cela tient au fait qu'ils exploitent moins de centrales nucléaires et ne les utilisent que pour la consommation de base, pas pour les pointes.

Areva et EDF parviendront-ils à travailler ensemble ? Je le souhaite et je veux en voir l'augure dans une première réunion de travail qui a eu lieu la semaine dernière. La compétitivité de l'offre française résulte du travail commun entre les deux entreprises, auxquelles on peut ajouter Alstom, Vinci et Bouygues pour le BTP, et le CEA bien entendu dans le domaine purement scientifique.

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