…je vais m'efforcer de poser, modestement, quelques problèmes de fond, en étant bien conscient, toutefois, qu'il me sera difficile de réagir sur l'ensemble des articles, d'autant que nous sortons de journées et de nuits particulièrement chargées – espérons que la finesse de nos analyses n'en souffrira pas trop.
Je voudrais évoquer la question des métropoles, sans a priori idéologiques, en faisant simplement appel au bon sens pour essayer de comprendre. M. le ministre et M. le secrétaire d'État, qui sont tous deux élus de territoires ruraux, seront sans doute particulièrement à l'écoute des interrogations et des réflexions que je vais vous livrer. Au fond, la question est simple : que recherche-t-on en créant les métropoles ? En quoi cela constituera-t-il une amélioration de notre organisation territoriale, et en quoi cela favorisera-t-il la revitalisation ou même le simple maintien d'une activité digne de ce nom dans les territoires ruraux et les villes moyennes qui ne seront pas englobés dans ces métropoles ?
On nous parle de performance et de compétitivité, comme si la vocation première des collectivités territoriales était désormais de rechercher la compétitivité et la performance économique, dans un contexte de mondialisation. Il s'agit donc, comme l'explique le Gouvernement, d'augmenter la force de frappe de certains territoires afin de les rendre particulièrement dynamiques et compétitifs. Je le dis une fois pour toutes : pour moi, la mondialisation sert avant tout à augmenter les profits de quelques privilégiés en leur servant des dividendes, sans qu'il soit tenu compte de l'intérêt public.
Mais, au-delà de cette analyse, quel sera l'intérêt des métropoles ? Elles sont censées disposer d'une plus grande réactivité et être capables de développer des zones d'activité plus performantes, notamment grâce à un important transfert de compétences qui devrait leur donner un pouvoir accru – cet argument n'étant guère probant, car les zones visées sont déjà les plus riches.
Ce qui est certain, en revanche, c'est que les zones non englobées dans les métropoles vont se trouver confrontées à des problèmes accrus. Je ne suis pas convaincu par l'argument selon lequel les territoires voisins des métropoles vont profiter du développement de celles-ci, sous l'effet d'une sorte de ruissellement. Au contraire, pour rester dans une métaphore aquatique, je dirai que la mise en place des métropoles va consister à drainer les moyens des départements et des régions vers certaines agglomérations, qui vont se trouver confortées par l'argent reçu. Connaissant l'engagement de nombre de députés, y compris de la majorité, je sais qu'ils partagent, pour la plupart, une conception de l'aménagement du territoire qui ne consiste pas à drainer les moyens de territoires entiers vers quelques zones pour les rendre encore plus performantes, mais plutôt à faire en sorte que l'irrigation des territoires profite à tous.
Il arrive qu'un parc naturel régional soit consulté pour émettre son avis sur un SCOT sur le territoire duquel il est en partie situé. Lorsqu'on examine les SCOT, on se rend compte qu'ils sont élaborés selon une orientation presque invariable – les positions de la majorité et du parti socialiste sur ce point étant très fortement convergentes –, celle d'un renforcement à marche forcée de l'urbanisation. Dans cette course à l'échalote, la poursuite d'objectifs chiffrés – les communes et agglomérations, cherchant, par exemple, à atteindre le seuil de 500 000 habitants – se fait au détriment des mesures d'aménagement, d'accompagnement et de revitalisation qui pourraient être mises en oeuvre. Cela me paraît extrêmement dangereux.
Quand il est question, sur un territoire régional ou départemental, de restructurer les transports collectifs afin d'améliorer la complémentarité entre les différentes ressources disponibles – par exemple les infrastructures routières du département et les infrastructures ferroviaires de la région –, on se rend compte qu'il y a de plus en plus de blocages de la part des agglomérations des futures métropoles, qui donnent la priorité aux transports à l'intérieur de la métropole et font preuve d'un désengagement certain envers le reste du territoire.
La question des métropoles – qui n'est d'ailleurs pas nouvelle dans ses conséquences, d'ores et déjà visibles – est abordée sous l'angle d'un choix d'organisation territoriale. Je suis étonné que vous, messieurs Mercier et Marleix, qui êtes élus de territoires ruraux, puissiez défendre le principe du développement des métropoles au détriment des territoires ruraux. C'est le choix d'une France comportant d'une part des zones extrêmement développées, d'autre part des zones abandonnées. Il n'y a pas d'exagération de ma part : je m'appuie sur des études prospectives faites par l'INRA, qui décrivent ce que sera la France de 2030. Parmi les scénarios envisagés, on trouve celui d'un développement équilibré autour de bourgs-centres et d'EPCI, avec des chartes de territoire et une agriculture de qualité. Malheureusement, le choix que vous avez fait est plutôt celui d'une France disproportionnée. Sans vouloir employer de grands mots, je crains que ce choix ne se traduise, à l'échelle de l'histoire, par des conséquences catastrophiques.
J'espère que certains amendements pourront atténuer les effets du texte actuel, issu des travaux de la commission des lois. La question des territoires ruraux suscite chez les élus locaux – de quelque sensibilité qu'ils soient – un mécontentement extrêmement fort dont les échos se font entendre jusque dans notre hémicycle. On a l'impression que tous les efforts que l'on a pu accomplir en matière de développement local ne vont servir à rien, faute d'être menés à terme. En effet, il est évident que l'argent consacré au développement des métropoles ne sera pas consacré aux besoins des populations.
On rejoint là un aspect évoqué, sous une forme différente, par Mme Joissains-Masini : l'essentiel est de répondre aux besoins des populations en développant les services publics locaux. Si, demain, ces services publics locaux ne pouvaient être maintenus, cela se traduirait par des conséquences très graves pour la qualité de vie sur nos territoires. Avec cette réforme, vous gagnez le gros lot, messieurs les ministres ! D'une part, vous allez conforter les grands groupes du CAC 40 qui viennent tirer la sonnette des collectivités territoriales pour leur demander des subventions avant de s'implanter, alors que ces groupes qui amassent de gros profits distribuent des sommes phénoménales à leurs actionnaires – bref, vous allez envoyer de l'argent là où il y en a déjà beaucoup.
D'autre part, si, demain, les collectivités territoriales n'ont plus les moyens financiers d'assurer les services publics répondant aux besoins de la population, ces services publics seront abandonnés et confiés au privé, comme le veulent la boulimie de marchandisation et l'addiction au profit, au nom desquelles on recherche sans arrêt de nouvelles marges de développement pour augmenter les profits de quelques-uns. Cela se fera aussi au détriment des populations : certes, le fonctionnement des services publics locaux nécessite de l'argent et la présence de nombreux fonctionnaires, mais c'est à ce prix que l'on répond aux besoins. Demain, les sociétés privées ne maintiendront que les services les plus rentables pour elles. Essayons de mesurer ensemble les conséquences que cela aura sur le quotidien de nos concitoyens.