Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous avons la désagréable impression de revenir à la case départ.
Le texte qui nous a été soumis en première lecture a été longuement travaillé et utilement amendé par les deux assemblées. Des améliorations significatives ont été apportées au dispositif d'origine, notamment sur une question qui est absolument centrale pour tous les députés représentant des territoires ruraux : comment faire en sorte que la loi, au lieu de les affaiblir, conforte les mécanismes qui soutiennent la vitalité de nos communes rurales et qui permettent aujourd'hui d'en alimenter le dynamisme ?
Malheureusement, nous devons constater que les rétablissements qui ont été effectués à des articles essentiels ne vont pas dans ce sens. Ainsi est réapparue la contradiction fondamentale que beaucoup de députés de départements ruraux, de sensibilités différentes, avaient mise en évidence lors de la première lecture, à savoir que le texte prévoit de limiter aux seules communes l'exercice de la clause de compétence générale, tout en tarissant à la source les moyens financiers leur permettant de l'exercer.
Ce tarissement interviendra de trois manières.
En premier lieu, du fait de la suppression de la clause de compétence générale des départements, partenaires naturels et permanents, en tous domaines, des communes rurales.
En deuxième lieu, en exigeant des communes maîtres d'ouvrage une participation minimale excessive au financement de leurs opérations d'investissement. La plupart de nos communes rurales ne seront pas en mesure de respecter les taux plancher que vous voulez leur imposer de 20 % ou de 30 %. Dans tous les cas où les investissements à réaliser sont assez lourds, ils excéderont leurs capacités budgétaires. Dans ces conditions, les communes n'auront pas d'autre choix que de renoncer à leurs projets d'investissement.
Ces dispositions rigides, ces taux plancher, empêcheront les partenaires des communes, et au premier chef les départements, de différencier les aides qu'ils souhaitent apporter aux communes pour tenir compte des contraintes particulières ou des handicaps spécifiques qui pèsent sur beaucoup d'entre elles parce qu'elles sont enclavées, parce qu'elles ont des contraintes environnementales plus fortes, parce qu'elles sont situées en zone de marais ou en zone inondable, par exemple.
Le troisième facteur de tarissement est l'interdiction des financements croisés, absolument vitaux pour que les communes rurales et les petites villes-centre puissent réaliser les investissements dont elles ont impérativement besoin. Cette interdiction faite aux communes, dès le 1er janvier 2012, de bénéficier sur un même projet de subventions départementales et de subventions régionales est tellement rigide que vous avez été amenés à proposer dans le texte de la loi des exceptions en fonction du nombre d'habitants des communes, du nombre d'habitants des intercommunalités, des domaines d'intervention. Nous nous réjouissons qu'un tel assouplissement ait été introduit. Il faudra le renforcer.
Parallèlement à la réintroduction de la suppression de la clause de compétence générale des départements et des régions, nous voyons bien sûr de manière corollaire réapparaître la logique des blocs de compétences exclusives pour ces deux niveaux de collectivités appelés à n'avoir, en principe, plus d'autres compétences que celles que la loi leur attribuera. Ce principe d'une extrême rigidité inquiète tous ceux qui ont l'expérience et la pratique de la vie locale, particulièrement dans nos départements ruraux. Cette rigidité risque de s'avérer rapidement intenable.
Le Gouvernement en est lui-même bien conscient, puisque il a introduit dans le texte de loi des exceptions et des dérogations dans un schéma de répartition des compétences qui n'est pas encore connu. En effet, trois domaines de compétence échappent à la logique de la compétence exclusive et maintiennent des compétences partagées : le tourisme, la culture et le sport. C'est très bien : il s'agit de compétences importantes pour la vie de nos communes. Mais pourquoi trois ? Pourquoi ces trois-là ? Pourquoi le texte reste-t-il muet sur toute une série d'autres domaines de compétences tout aussi vitaux pour le développement et le rayonnement de nos communes, notamment de nos communes rurales, comme l'économie, l'environnement, la coopération décentralisée, la démocratisation et la décentralisation de l'enseignement supérieur et de la recherche ?
C'est la raison pour laquelle, avec plusieurs de mes collègues, j'avais souhaité déposer un amendement à l'article 35, qui vise à permettre aux collectivités de continuer à exercer leurs compétences dans ces différents domaines.
J'ai constaté sur ce point l'usage abusif qui peut être fait de l'article 40 de la Constitution. Comment comprendre qu'un tel amendement ait pu être jugé irrecevable financièrement, dans la mesure où il ne fait que maintenir une situation existante et qu'il ne peut, par conséquent, entraîner ni une diminution des ressources publiques ni une aggravation d'une charge publique ? Je remarque d'ailleurs que ce même amendement, déposé en première lecture, avait alors été jugé recevable.
Pour tenter d'atténuer la rigidité du principe de compétence exclusive, le projet de loi introduit la notion, qui pourrait être intéressante et féconde, de capacité d'initiative laissée aux départements et aux régions. Mais cette capacité d'initiative est strictement limitée aux domaines sur lesquels la loi reste muette. C'est dire que son champ sera nécessairement résiduel et qu'elle ne constituera pas cet élément de souplesse attendu et nécessaire, qui aurait permis de tempérer les effets négatifs de la suppression de la clause de compétence générale.
Cette capacité d'initiative pourra-t-elle jouer, par exemple, en cas de catastrophe naturelle ? Il ne semble pas. Or rappelons-nous qu'au lendemain de la tempête Xynthia, pour ne citer que cet exemple récent, c'est parce que les départements disposaient de la compétence générale qu'ils ont pu intervenir efficacement, en urgence, tous azimuts, dans tous les domaines, auprès de toutes les victimes de la catastrophe. Ce sont ces aides départementales d'urgence qui ont permis à beaucoup de ne pas sombrer : les agriculteurs, les éleveurs, les pêcheurs et les conchyliculteurs qui avaient tout perdu, les entrepreneurs qui avaient un besoin vital et immédiat de renflouer leur trésorerie pour ne pas être contraints de déposer le bilan, les communes côtières sinistrées qui devaient impérativement réparer les dégâts avant la haute saison touristique, les maîtres d'ouvrage des digues qui devaient colmater les brèches avant les grandes marées de mars. Aucun autre acteur n'aurait été en mesure de jouer un rôle équivalent.
Mes chers collègues, je ne crois pas, et je sais que nous sommes nombreux sur ces bancs à penser ainsi, que la suppression de la clause de compétence générale et son remplacement par la clause de compétence exclusive, sera un progrès pour la démocratie locale. Je crois au contraire que cette disposition risque d'aboutir, en bridant leur capacité d'initiative, à transformer les élus en administrateurs, à dissocier pouvoir et responsabilité et à instituer un système rigide assorti d'une multiplicité d'exceptions, d'exemptions, de dérogations qui, au lieu du surcroît de clarté et de lisibilité attendu, produira de la confusion, de l'insécurité juridique, du contentieux et, en bout de course, de l'impuissance.