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Intervention de Claude Leteurtre

Réunion du 15 septembre 2010 à 21h30
Réforme des collectivités territoriales — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaClaude Leteurtre :

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs, quel est le sens et quelles sont les raisons de ce projet de loi ?

Le texte découle de plusieurs constats. Tout d'abord, l'apparition et l'existence du millefeuille administratif issu de la longue histoire de la conquête de l'autonomie des collectivités locales de notre pays.

Cette histoire a commencé, en 1789, par la division de notre territoire en 83 départements comptant chacun de six à neuf districts, eux-mêmes divisés en cantons. La monarchie de Juillet, par deux lois de 1831 et 1833, viendra réhabiliter l'échelon communal et départemental en prévoyant l'élection des conseils municipaux et généraux par des collèges électoraux restreints. La double nature du maire, exécutif du conseil municipal et représentant de l'État, se trouve alors consacrée.

C'est la IIIe République qui dotera les communes de la fameuse clause de compétence générale, si discutée aujourd'hui. La Constitution de 1946 reconnaît le droit de libre administration des collectivités locales et consacre l'élection au suffrage universel direct de leur assemblée délibérante. La Constitution de 1958 en reprendra le principe, et le premier acte de la décentralisation commencera en 1982 avec la première loi Defferre, suivie de plusieurs autres.

Enfin, la révision constitutionnelle du 28 mars 2003 inscrira dans le marbre les principes directeurs de la décentralisation en consacrant l'organisation décentralisée de la République.

Ce bref rappel historique a pour but de montrer le poids des habitudes et la difficulté de réformer les collectivités territoriales, auxquelles il aura fallu tant de temps pour acquérir leur autonomie.

Le deuxième constat est la nécessité d'optimiser la dépense publique. On comprend aisément que, dans une période de difficultés budgétaires comme celle que nous connaissons, il faille réduire les dépenses des collectivités, à l'exemple de celles de l'État. Or on doit bien constater que les effectifs des administrations locales ont fortement crû, augmentant de 48 % entre 1986 et 2006 pour atteindre aujourd'hui 1 662 000 agents.

Toutefois, il y a eu un malentendu dans la présentation initiale du texte : elle s'est focalisée sur le nombre des élus locaux, comme si tout le mal venait de leur trop grand nombre. Ce n'est bien évidemment pas en le réduisant que l'on fera de réelles économies ! Qui plus est, je crois que les élus locaux doivent, au contraire, être mis en valeur, compte tenu de leur dévouement aux affaires publiques.

Mon troisième constat est celui de la difficulté à imposer la parité et à réserver un espace d'expression pour les minorités. Le scrutin uninominal majoritaire à deux tours ne permet pas aux femmes d'accéder comme elles le devraient aux responsabilités dans les exécutifs locaux alors que le scrutin à la proportionnelle pour les régions a permis d'imposer la parité dans les conseils régionaux où elles ont accédé aux responsabilités. La présente réforme était une bonne occasion de résoudre cette difficulté. C'était le but poursuivi par le Nouveau Centre lorsqu'il a proposé en première lecture que 20 % des conseillers territoriaux soient élus au scrutin proportionnel. Cette proposition n'a pas été retenue, ce qui constitue un vrai recul pour la parité. Pour essayer de l'atténuer, nous avons déposé un amendement visant à abaisser de 3 500 habitants à 2000 habitants le seuil d'application du scrutin de liste à la proportionnelle avec prime majoritaire lors des élections municipales.

Enchevêtrement des compétences et des structures, optimisation de la dépense publique, parité, poids de l'histoire : on voit bien toutes les difficultés auxquelles se heurtent cette réforme et les raisons qui motivent le désaccord entre le Sénat et notre assemblée.

Partant de ce constat partagé par tous, le Gouvernement a voulu faire le choix de la simplification et, au moment où nous entamons la seconde lecture, nous devons nous demander où nous en sommes dans cette volonté de simplification.

La première simplification consiste en la création du conseiller territorial, qui vient remplacer le conseiller général et le conseiller régional. Nous considérons qu'il s'agit là d'un réel progrès pour la démocratie locale. L'élu régional est beaucoup trop éloigné des territoires et il est mal connu de ses électeurs ; le conseiller général, quant à lui, est bien connu en milieu rural mais totalement inconnu en ville. Avec le conseiller territorial, les régions et les départements vont se rapprocher de leurs concitoyens. Qui plus est, le conseiller territorial, élu d'une circonscription électorale fondée sur les cantons redécoupés, sera acteur des politiques régionales et départementales. C'est un gage pour la démocratie locale car chacun pourra identifier plus aisément son élu. C'est aussi un gage pour la cohésion de l'action que mèneront les conseils généraux et régionaux. J'ajoute que l'élection des conseillers territoriaux tous les six ans permettra de mettre en place un vrai rendez-vous avec les territoires et de susciter un débat sur les politiques locales, départementales et régionales à la hauteur de ce que mérite la démocratie locale.

Je sais bien que depuis plusieurs années les départements sont désignés comme l'échelon à faire sauter pour simplifier nos institutions locales. L'actuel projet ouvre la porte à des fusions de départements avec leurs régions. Méfions-nous toutefois car certaines compétences actuellement dévolues aux départements comme l'action sociale se trouvent à la bonne échelle. Il est loin d'être évident qu'elles seraient mieux gérées à un autre échelon.

La deuxième simplification porte sur les règles relatives aux agglomérations. En ce début de siècle, c'est un vrai enjeu de donner aux agglomérations la capacité de libérer leur énergie et d'assurer leur rang au milieu des grandes métropoles européennes qui ont déjà pris de l'avance. À cet égard, le texte du projet de loi n'est pas satisfaisant. Loin de simplifier, il complique les choses en ajoutant de nouvelles structures. Il va être difficile de s'y retrouver entre les communautés urbaines, les métropoles et les pôles métropolitains.

S'y ajoute un problème de définition des compétences de ces nouvelles structures. Je pense en particulier au droit de l'urbanisme : il ne faut pas enlever aux maires tous leurs pouvoirs dans ce domaine. Il me semble que les prescriptions qui leur sont déjà actuellement imposées suffisent largement aux agglomérations pour contrôler leur urbanisme.

La troisième simplification concerne les communes et l'intercommunalité, laquelle a indéniablement été un atout dans le développement de nos territoires. Elle a aussi permis de rationaliser les investissements à un niveau pertinent. Le moment est venu d'achever ce mouvement fondé sur le volontariat et de rapprocher de nos concitoyens les acteurs de l'intercommunalité par un nouveau mode d'élection plus direct, ne serait-ce que parce que les budgets deviennent importants et qu'il est normal que ceux qui les exécutent en rendent compte devant leurs concitoyens.

Gardons-nous toutefois de trop réduire les pouvoirs des maires. Les Français sont profondément attachés à l'échelon communal, qui représente pour eux un lieu d'expression privilégié de la démocratie. C'est là que se crée le lien social et qu'il se déploie de manière concrète. Il ne faudrait pas priver les maires et leur conseil municipal de tous leurs pouvoirs. Se pose là aussi un problème de répartition des compétences sur lequel nous avons encore besoin d'avancer, je pense en particulier à la possibilité ouverte par le texte de transférer à la communauté de communes les pouvoirs de police des maires.

Il nous apparaît impératif de maintenir l'article 35 quater, supprimé par le Sénat et rétabli par la commission, lequel permet aux communes de moins de 3 500 habitants ou aux EPCI à fiscalité propre de moins de 50 000 habitants de bénéficier d'un cumul de subventions.

La quatrième volonté de simplification porte sur les compétences, point fondamental du texte que le Sénat s'est refusé à traiter. Cela n'est pas acceptable car la réforme ne peut avoir de sens si cette problématique n'y est pas abordée. Nous sommes tous d'accord, sur le fond, quant à la nécessité de clarifier les compétences et les financements croisés. Mais si le principe est acquis, les modalités pratiques d'application le sont moins. Il va de soi que certaines compétences comme les sports, le tourisme, la culture, voire le patrimoine, où l'État est peu ou insuffisamment engagé, doivent pouvoir continuer à être partagées.

Sur la question du partage des compétences entre collectivités, le Nouveau Centre considère qu'il est difficile de trancher dans l'absolu. Comme le dit le président Sauvadet, il faut être pragmatiques dans cette affaire. Aussi proposerons-nous des amendements à l'article 35 pour ouvrir la voie à des évaluations, à même de permettre de juger sur pièces de la cohérence des compétences transférées aux uns et aux autres. Ne soyons pas dogmatiques en ce domaine. Cette évaluation nous semble d'autant plus indispensable que nous disposons d'encore trop peu de visibilité sur la réforme des finances locales. Il me paraît difficile de discuter des compétences des collectivités sans connaître précisément les ressources qui vont permettre de les mettre en oeuvre. À cet égard, on peut se demander si les clauses de revoyure inscrites dans la loi de finances de 2010 seront l'occasion de faire des points d'étape.

Le Gouvernement a réduit l'autonomie financière des collectivités locales en augmentant la part des financements d'État dans les recettes, ce qui constitue un vrai recul de la décentralisation. Et je ne peux m'empêcher de penser que, d'une certaine manière, cette réforme ressemble fort à une volonté d'imposer aux collectivités locales la RGPP déjà imposée aux services déconcentrés de l'État, en donnant le plus de responsabilités possibles à l'échelon régional et en considérant les départements comme des annexes.

Dans ces conditions, je crois très sincèrement qu'il faut avancer avec la plus grande prudence si l'on veut aboutir à une réforme acceptée par le plus grand nombre.

Cette réforme des collectivités territoriales me semble être au milieu du gué. Elle va dans le bon sens mais ne peut être conservée en l'état. Notre assemblée ne peut imposer une telle réforme contre l'avis du Sénat qui est, qu'on le veuille ou non, le représentant des collectivités locales. Si nous voulons aller jusqu'au bout pour que le projet de loi aboutisse à de vraies avancées, notre rôle aujourd'hui est de faciliter la voie d'un accord avec la Haute assemblée. Le Nouveau Centre fera aussi des propositions dans ce sens durant le débat.

Mes chers collègues, monsieur le ministre, si nous avons rappelé l'histoire des collectivités locales, c'est pour mieux montrer que c'est au fur et à mesure de l'évolution de notre société qu'elles se sont construites. Aujourd'hui encore nous devons les réformer pour les adapter. Le texte qui nous est soumis constitue une avancée indéniable mais perfectible. Nous en abordons la discussion avec la plus grande ouverture d'esprit, en souhaitant que le chemin que nous trouverons puisse rencontrer la légendaire sagesse du Sénat.

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