Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne reviendrai pas sur les conditions dans lesquelles se déroule ce débat. Vouloir le contraindre et le limiter pour respecter un calendrier politique montre qu'il ne passe pas dans la population. Vous dites qu'il y a eu des négociations avec les syndicats, un débat au Parlement, tandis que vous répétez depuis le début qu'il n'y a pas d'autres solutions. « C'est la vérité, c'est la réalité » sont les mots qui reviennent dans toutes vos interventions.
La façon de mener le débat ici n'est que la traduction de la crise morale et démocratique que traverse notre pays. Et ne sont pas uniquement les députés socialistes qui le disent. Je vous invite à procéder à une revue de presse internationale et vous verrez quel est le jugement porté par les étrangers sur notre pays. La démocratie est bafouée au Parlement, mais elle est aussi en danger dans notre pays. En effet, pour une majorité de Français, ces dernières années ont été des années de régression sociale, de difficultés croissantes et pour certains de désespérance.
Hier encore, lors des questions au Gouvernement, nous avons appris que tous les clignotants seraient au vert. Pourtant nos concitoyens sont chaque jour plus inquiets pour leur emploi, pour la sécurité de leur retraite et pour l'avenir de leurs enfants. Ils l'ont manifesté en nombre dans la rue. Toutefois le pire serait la résignation, car un fossé se créerait entre une majorité de Français et ceux qui les représentent, alors qu'il ne se passe pas un jour sans que l'on évoque des centaines de millions d'euros attribués à travers des stocks options, des parachutes dorés, des jetons de présence dans les conseils d'administration de grands groupes ou des remboursements dans le cadre du bouclier fiscal, tandis que l'on demande à la majorité des Français de faire des sacrifices.
La réforme des retraites n'est pas faite pour les rassurer, ni pour leur redonner confiance dans une démocratie où les promesses s'envolent, les mensonges s'accumulent et la parole publique n'a plus de valeur. Le Président de la République s'était engagé, à plusieurs reprises, à ne pas toucher au droit à la retraite à soixante ans. Le recul de l'âge est aujourd'hui présenté comme la grande réforme du mandat. Vous auriez sauvé les retraites, alors que la réforme n'est pas financée dans le temps ; même le Premier ministre l'a reconnu sur France-Inter.
Je ne voterai pas ce texte, car je me fais le porte-parole de ceux que nous rencontrons dans nos permanences, que nous soyons dans la majorité ou dans l'opposition. Ils souhaitent conserver la retraite par répartition, ils sont conscients qu'une réforme est nécessaire, mais ils veulent une réforme efficace, garantie dans la durée.
Les députés socialistes l'ont dit et répété au cours des débats : la réforme est inacceptable car fondamentalement injuste. En effet, elle va d'abord pénaliser les plus faibles, ceux qui n'auront pas eu la chance d'accéder à soixante-deux ans au droit à la retraite à taux plein et qui, en raison d'une carrière incomplète, devront attendre soixante-sept ans mais avec quels moyens d'existence, pour ne pas dire de survie ? Cette réforme va créer de nouveaux pauvres aux cheveux gris, pour de pas dire de vieux pauvres. Vous faites appel aux exemples étrangers en Europe, mais cette réforme fait du système français un des plus durs d'Europe pour accéder à une retraite à taux plein.
Je me fais le porte-parole de ceux qui ne comprennent pas que votre système de santé, qui devrait être un système de solidarité, aboutisse à leur demander des sacrifices, tout en préservant les intérêts des plus aisés, au détriment de tous ceux et celles qui ont commencé à travailler jeunes et qui auront eu des métiers durs avec des conditions de travail difficiles. La régression des pouvoirs de contrôle des médecins du travail montre que ce n'est pas votre préoccupation.
Qui pourra bénéficier du dispositif de pénibilité ? Ainsi que nous l'avons souligné à plusieurs reprises, le Gouvernement reste dans la logique inacceptable du simple constat médical de troubles qui se sont déjà manifestés, alors qu'il faut, au contraire, prendre en compte les troubles qui apparaîtront probablement dans le futur et raccourciront l'espérance de vie. Ces travailleurs viennent dans nos permanences ; ils ont travaillé à la chaîne, porté des charges lourdes, travaillé dans le bâtiment ou ont été au contact de matières dangereuses.
La situation des jeunes et des travailleurs précaires qui n'auront pas de carrières complètes s'aggravera. Enfin la situation des femmes a été évoquée, je n'y reviens pas.
On pourrait continuer – mes collègues l'ont fait – mais cette réforme des retraites ne va qu'accroître les inégalités et favoriser la précarité.
Une autre réforme des retraites est non seulement possible, mais nécessaire.