Je m'en souviens avec émotion, peut-être pas la même émotion que vous, j'en conviens, parce que cela apparaissait comme une extraordinaire avancée sociale, et comme la reconnaissance d'un droit à ceux qui étaient considérés comme les exclus de la société. Au-delà de la retraite elle-même, c'est cette reconnaissance-là que vous êtes en train de détruire.
Je voudrais dire à mon tour que ce projet de loi a été discuté dans des conditions extraordinairement difficiles, et notamment depuis hier soir à seize heures. J'ai presque de la compassion, monsieur le secrétaire d'État, à vous voir lutter avec courage contre un sommeil qui serait bien mérité. Nous aurions dû, rien que pour cela, organiser autrement le débat, ce qui aurait permis, au-delà de votre sommeil, d'avoir des débats plus sereins et plus approfondis, notamment à la fin d'une séance qui a frisé le ridicule. Rien que pour cela, nous voterons contre ce projet de loi.
Mais nous voterons également contre ce projet, car votre réforme est la preuve de votre échec, de l'échec de votre propre réforme de 2003. Beaucoup l'ont dit au cours du débat : en 2003, il avait été pris l'engagement de financer à 100 % les régimes de retraite, et nous sommes aujourd'hui en train de nous poser exactement les mêmes problèmes. Pour masquer cet échec, vous imposez aux Français une réforme faussement comptable, puisqu'elle n'est pas financée, vous l'avouez vous-même, inefficace, et surtout injuste. Injuste, car elle est l'illustration de votre conception de la société, au-delà des aspects techniques de la réforme, celle qui détruit les protections collectives pour faire place à la seule responsabilité individuelle.
C'est la même chose quand vous parlez des chômeurs, à qui vous faites porter la responsabilité de leur propre chômage ; c'est la même chose quand vous parlez de l'échec scolaire dont vous accusez les élèves en difficulté eux-mêmes. Vous êtes très exactement dans la même logique, et c'est d'ailleurs ce qui vous a conduit à commettre cette extraordinaire escroquerie de la pénibilité que vous évacuez pour laisser place à l'invalidité. On a parfois l'impression en vous entendant, messieurs les ministres et les membres de la majorité, que les maladies professionnelles, la baisse de l'espérance de vie due à la pénibilité sont de la responsabilité des travailleurs eux-mêmes. C'est une conception parfaitement dogmatique, que nous refusons.
C'est pour cacher ce dogmatisme et cette conception fallacieuse de la société que nous refusons – et je m'excuse d'employer le terme s'il choque M. Woerth – les mensonges dans ses discours. Mensonges sur les propositions des socialistes : combien de fois n'avons pas entendu que nous n'avions pas de projet alors que nous avons passé des heures à avancer nos propositions ? Mensonges sur le financement, mensonges sur la nature même de votre réforme, qui n'est ni juste ni efficace, voilà pourquoi nous la refuserons et nous serons aux côtés de ceux qui la combattent.