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Intervention de Yves Cochet

Réunion du 14 septembre 2010 à 21h30
Réforme des retraites — Article 31

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaYves Cochet :

Je n'ai pas entendu moi non plus M. le ministre, au contraire de certains de mes collègues socialistes à la protestation desquels je m'associe.

Pour le groupe GDR, il est scandaleux que certains de nos collègues présents – M. Boquet le manifeste de manière matérielle – ne puissent plus parler, nous l'avons dit plusieurs fois, pour La Poste, pour le Grenelle 2, et maintenant pour les retraites – une des lois les plus importantes de cette législature. Le fait qu'il y ait un plafond absolu du temps est une mauvaise chose. On peut aussi regretter une discrimination entre les deux assemblées puisqu'au Sénat le temps de parole n'est pas programmé.

Je défendrai l'amendement n° 271 mais j'ai d'ores et déjà vu que MM Woerth et Tron se montraient assez intéressés – j'ai même eu droit à un mot amical dans les couloirs – par nos propositions sur les retraites. Comme je n'en ai présenté tout à l'heure qu'un résumé, je prendrai un détail en exemple pour tâcher d'expliquer ce qu'est une réforme systémique, le mot pouvant paraître saugrenu voire quelque peu incompréhensible.

Nous nous sommes intéressés aux travaux de certains économistes de l'école d'économie de Paris, qui prétend concurrencer la London School of Economics. Il est bon que Paris dispose d'une telle école marquée notamment par les travaux d'Antoine Bozio et Thomas Piketty, qui ont souligné la complexité et le manque de visibilité du système français de retraites.

Nous avons 5 millions de retraités mais 30 millions de retraites. Le régime français est une mosaïque de régimes combinés qui ne permettent plus aux salariés d'estimer avec exactitude leurs droits et leur retraite future. Parallèlement, on a voulu s'appuyer sur les régimes de retraite pour régler un grand nombre de problèmes et d'iniquités en France, extérieures à la question même des retraites, par exemple la faiblesse des salaires du secteur public. Cette pratique a contribué davantage encore au manque de lisibilité et de clarté du système.

Je ne soutiens pas qu'une réforme systémique pourrait régler en elle-même la question du financement des retraites, mais les écologistes resteront vigilants pour que cette réforme systémique que nous appelons de nos voeux, et qui n'est évidemment pas celle vous proposez, ne soit pas l'occasion de masquer une dégradation des conditions pour tous les retraités.

Examinons les propositions d'Antoine Bozio et Thomas Piketty. Il existe en France le régime en annuités, formule actuelle du régime général, soit une durée d'assurance validée, quarante ou quarante-deux ans selon l'année de naissance, et une pension calculée sur le salaire moyen de référence des – hélas – vingt-cinq meilleures années revalorisées sur l'indice des prix – hélas, comme dirait M. Roy. La pension subit une décote ou une surcote selon la durée de cotisation et l'âge de référence. Pour la fonction publique la pension est, hélas, calculée sur les six derniers mois.

La critique principale qu'on peut adresser au système actuel est qu'il ne tient pas compte des carrières précaires. Or la précarité, contre laquelle il faut bien sûr lutter, s'étend. Les carrières précaires ne sont pas linéaires. Le régime actuel accentue les effets de discontinuité des carrières. Le fait de choisir les vingt-cinq meilleures années plutôt que l'ensemble des années validées est globalement anti-redistributif et donc défavorise ceux qui sont déjà défavorisés par le niveau de leur revenu, système qui reste favorable aux carrières ascensionnelles.

Or, globalement, ceux qui débutent leur vie professionnelle à un niveau élevé et ceux qui travaillent dans de grandes organisations sont ceux dont la progression de salaire tout au long de leur carrière est la plus forte. Les salariés des PME et les salariés peu qualifiés ont au contraire une carrière beaucoup plus plate et sont donc très défavorisés dans le système actuel.

La mise en place d'une décote pénalise très fortement ceux qui n'ont pas atteint leurs quarante-deux années de cotisation. Il s'agit le plus souvent des femmes, on vient de le voir, et je le rappellerai à l'occasion de l'examen de certains amendements, femmes qui ont dû interrompre leur activité professionnelle, et d'autres salariés qui ont connu des accidents de carrière – on a évoqué les accidents du travail et la pénibilité. Le plafonnement du revenu versé ne compense que partiellement ces inégalités et finit par constituer une incitation au développement de la capitalisation, encouragée par les exonérations fiscales pour les hauts revenus.

Un autre modèle est le régime par points, dans lequel l'assuré accumule des points tout au long de sa carrière, la valeur du point n'étant connue qu'à la liquidation. C'est la formule appliquée aux régimes complémentaires en France, où le point est revalorisé de l'indice des prix. En Slovaquie, c'est la formule du régime général, et la valeur du point est ajustée pour assurer l'équilibre du régime. Dans l'esprit de nombreux Français, ce système s'apparente au système par capitalisation, car il ouvre des droits individuels en proportion des cotisations versées. Mais, à la différence du système par capitalisation, dans le régime par points l'argent n'est pas placé : il est immédiatement versé aux retraités.

Antoine Bozio et Thomas Piketty abordent ensuite le troisième régime possible : le régime en comptes notionnels. Dans ce cas-là, l'assuré accumule chaque année, par ses cotisations, un capital virtuel. Ce régime reste néanmoins un régime par répartition. Le capital virtuel est revalorisé d'un indice qui doit refléter la capacité du système à rembourser en fonction des cotisations versées. La pension versée est proportionnelle aux droits acquis et le coefficient de conversion est fonction de l'âge auquel on liquide. À chaque génération correspond un âge pivot auquel on liquide à taux plein, en fonction de l'espérance de vie. Le principe des comptes notionnels est que les cotisations versées actualisées sont égales aux pensions versées en fonction de l'espérance de vie de sa génération. Concrètement, la pension est inversement proportionnelle à l'espérance de vie restant à l'âge où l'on liquide.

Ce système présente l'avantage d'offrir une plus grande lisibilité – à cotisations égales, retraites égales – et un meilleur pilotage, qui restaure la confiance dans le système et donc conforte le régime par répartition. En effet, le manque de lisibilité et le risque de cotiser sans retour conduisent, selon un sondage paru dans L'Humanité – grand journal français – le 25 janvier 2010, 53 % des jeunes de moins de 30 ans à préférer la retraite par capitalisation.

Par ailleurs, opter pour les comptes notionnels s'appuie sur un débat clair dans la société sur la part du PIB consacrée aux retraites, qui est actuellement de 12,8 % en France – mais cette part pourrait être portée à 15 ou 16 %. En outre, le régime paraît plus équitable que le système français actuel, qui privilégie fortement les carrières ascendantes du fait du calcul sur les vingt-cinq meilleures années.

Néanmoins – nos auteurs expriment une nuance –, les conditions de transition vers un régime de comptes notionnels ne sont pas du tout établies aujourd'hui. En particulier, le maintien d'une multiplicité de régimes annulerait une partie de la lisibilité du système. La prise en compte de la totalité de la carrière est favorable aux carrières plates par rapport aux carrières ascendantes, mais pourrait nuire aux carrières précaires, incluant des années de chômage, de minima sociaux ou de congés parentaux. D'où la nécessité de l'assortir de mécanismes de solidarité importants, notamment d'une prise en charge solidaire des cotisations à un niveau décent pour les périodes non travaillées : chômage, maladie ou maternité. Si les comptes notionnels assurent un équilibre de long terme par l'ajustement inversement proportionnel des montants à l'espérance de vie, ils ne permettent pas en soi d'absorber les chocs démographiques. D'où la nécessité de réserves parallèles. Enfin et surtout, il s'agit d'un régime à cotisations définies qui, une fois fixée la part du PIB consacrée aux retraites, fait peser l'ajustement sur les seules pensions. Il est donc, dans la plupart des cas, une façon déguisée d'organiser une baisse des pensions.

Reste un dernier dispositif : le système universel assis sur la fiscalité, que j'ai évoqué tout à l'heure. Ce système reposerait sur un régime général unique pour toute la population française, dans lequel on verserait des prestations égales aux prestations actuellement données par le régime général de la sécurité sociale. Les montants perçus seraient donc calculés en fonction des revenus salariaux. Ce régime serait intégralement financé par l'impôt.

Lorsqu'il n'y a pas de distinction entre un régime de base et un régime complémentaire, par exemple pour les fonctionnaires, des négociations seraient engagées pour mettre en place un régime complémentaire dans ces professions. Les régimes complémentaires sont paritaires et financés par cotisation sur les salaires.

La fiscalisation permettrait de mettre à contribution les hauts revenus, dans la logique dite du « revenu maximum », à laquelle nous sommes tout à fait favorables. Enfin, la fiscalisation permet de mettre à contribution les entreprises mondialisées et les importations, grâce à une sorte de TVA sociale applicable aux frontières de l'Europe, dans l'objectif de relocaliser l'économie.

Pour résumer, les écologistes se prononcent clairement, sur le fond, pour le régime par répartition à partir du régime actuel d'annuités réformé, avec pour objectif, à terme, un régime universel assis sur la fiscalité et basé sur la solidarité intergénérationnelle et interclasses.

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