Je veux vous livrer le témoignage d'un salarié de l'agro-alimentaire qui explique quel est son travail.
Un exemple dans l'entreprise où je suis exploité, dit-il. Un poste : accrocheur de jambons. Nous sommes trois opérateurs. La cadence doit être de 360 porcs découpés à l'heure, deux jambons par porc, douze kilos en moyenne de jambon, ce qui fait par heure et par opérateur 2,885 tonnes de kilos de viande, placés sur balancelles. Chaque opérateur soulève ainsi 48 kilos de jambon par minute. Ce sont des faits réels et un exemple parmi des milliers d'autres, ajoute-t-il. Combien de temps peut résister une personne normalement constituée à de tels travaux ? Il ajoute : les sportifs de haut niveau dont l'effort physique est comparable finissent leur carrière vers trente-sept ans.
Avec une espérance de vie inférieure de sept ans à celle des cadres, les ouvriers dans leur ensemble enregistrent dans leur existence même les conséquences des formes d'usure engendrées par le travail. On entend dire qu'avoir quarante-cinq ans, c'est être dans la force de l'âge. Mais, dans l'agro-alimentaire, avoir cet âge est synonyme de douleur, souffrance, usure, troubles musculo-squelettiques, accidents de travail, maladies professionnelles. Cette souffrance devient chronique, insidieuse, elle accapare notre corps.
Il dit encore ceci : les temps du cycle de travail ont diminué ces dernières années pour se situer autour de la minute, voire de la seconde pour certains opérateurs à la chaîne. Les ergonomes et médecins du travail ont porté une attention particulière aux risques liés à la réduction du temps de cycle, à l'intensification du travail. Ainsi en est-il, dans mon usine, à la découpe primaire sur la ligne porc, là où nous scions et séparons les carcasses. Un coup de couteau égale une seconde, chaque poste ne pouvant dépasser huit secondes. Et dans ce temps de travail est intégré l'affilage du couteau, les contraintes de mobilité, les impondérables : viande dure, couteaux mal aiguisés, viande souillée à retirer du circuit pour cause sanitaire.
En jouant sur les efforts et les amplitudes posturales, le patronat vise constamment des gains de vitesse et des réductions de coûts. Pour répondre à ces exigences de performance, les gestuelles sont de plus en plus intégrées.
Je terminerai en citant une des phrases de son témoignage : si nous exigeons une reconnaissance de la pénibilité, ce n'est pas pour compenser les mauvaises conditions de travail que nous voulons voir améliorées, mais pour une réparation permettant à des salariés usés prématurément de profiter d'une retraite bien méritée.