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Intervention de Jean-Marc Ayrault

Réunion du 14 septembre 2010 à 21h30
Réforme des retraites — Article 26

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Marc Ayrault :

Je suis désolé, monsieur le ministre, mais c'est François Fillon, votre Premier ministre, qui l'a lui-même dit.

Je dirais qu'il a eu l'honnêteté – il était d'ailleurs à cette place –, même s'il a mis le temps à le faire, en répondant à une de mes questions, la semaine dernière, de reconnaître qu'il y avait bien un débat projet contre projet. C'est le premier point acquis de notre débat. Cet acquis est si bien établi, que les députés de la majorité consacrent désormais l'essentiel de leurs interventions au dénigrement systématique du projet du parti socialiste, plutôt que défendre leur propre réforme.

Quelles sont ces critiques ? Pour la majorité, les socialistes sont des maniaques de la taxe, les champions du monde de l'impôt, les derniers spoliateurs du monde libre. (« Nous sommes d'accord ! » sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

La vision est pour le moins grotesque, ce qui n'a pas empêché M. Copé, votre président de groupe, qui a sans doute besoin de surenchère pour gager la présidence de l'UMP, qu'il guigne, d'ajouter son énormité personnelle : « La gauche, avec ses propositions, conduirait la France à la ruine. » Tout en nuances, comme d'habitude !

Deuxième point acquis de notre débat, au-delà des énormités proférés par M. Copé : le débat permet d'opposer deux façons de financer la survie de notre système de retraites par répartition. Nous savons qu'il est en danger, qu'il a besoin de financement à hauteur de 45 milliards, à l'horizon 2025. Tout le débat que nous avons avec vous porte sur la façon de dégager des recettes qui permettront de remettre ce régime d'assurance vieillesse en équilibre Que propose le Gouvernement ? De financer l'essentiel de son projet par le relèvement de deux ans des bornes d'âge – celle du droit à la retraite à soixante ans, celle du départ sans décote à soixante-cinq ans.

Cette mesure n'est pas autre chose qu'un nouvel impôt prélevé sur les Français, mais pas n'importe quels Français. Ce ne sont pas les salariés qui seraient de toute façon allés au-delà de soixante ans pour atteindre quarante et une anuités et demie, pas davantage ceux qui ont eu des carrières complètes et qui ne seraient jamais contraints d'attendre soixante-sept ans pour partir. Non, mes chers collègues de la majorité, votre nouvel impôt – c'est pour cela que les Français ont compris que cette réforme était injuste et qu'ils sont nombreux à manifester – pèsera sur celles et ceux qui vont devoir surcotiser au-delà des quarante et une annuités et demi, ceux qui ont commencé tôt, ceux qui ont des carrières pénibles, ceux qui ont l'espérance de vie la plus faible. Ce sont eux la cible de votre réforme. C'est pour cela qu'elle est si injuste.

Ce nouvel impôt pèsera sur les Français qui ont eu des carrières heurtées, qui ont connu le chômage. Il pèsera sur les femmes qui ont interrompu leur carrière pour élever leurs enfants, sur les épouses d'artisan ou d'agriculteur, sur ces salariés précaires aux carrières incomplètes devant patienter dans la précarité jusqu'à l'âge de soixante-sept ans pour bénéficier d'une retraite à taux plein, qui plus est sur la base de revenus d'activité par ailleurs très faibles, c'est-à-dire d'une pension encore plus faible que ceux qui partent à la retraite à soixante-cinq ans aujourd'hui. Je ne sais pas si vous vous en rendez compte. Ou alors, pour nombre d'entre eux qui n'iront pas jusqu'à attendre la retraite à taux plein, ils devront liquider leurs droits avant cet âge et accepter de se voir verser une pension réduite parce qu'ils ne pourront pas faire autrement. Ils partiront avec une pension réduite parce qu'ils n'attendront pas soixante-sept ans. Trop fatigués, épuisés, ils partiront donc avec une décote. Je ne vous fais pas de procès d'intention, c'est un constat. C'est le calcul, monsieur le ministre, de votre ministère, celui du Gouvernement.

Votre nouvel impôt pèsera sur ces 60 % de Françaises et de Français de plus de cinquante-cinq ans qui ont perdu leur emploi, qui ne parviennent plus à retrouver du travail. Il leur faudra choisir entre attendre, parfois plus d'une décennie, ou accepter une baisse de leur pension. Vous vous cachez à peine de ce calcul cynique, puisque lorsque nous prévoyons de ramener vers le travail 800 000 seniors, vous nous dites que c'est irréaliste. La conséquence est celle que je viens de décrire. Je vous entends déjà répondre que tout a été fait pour les carrières longues et la pénibilité, et que, selon vous, il ne s'agit que des traditionnelles fariboles de l'opposition.

Pourtant, si c'était vrai, comment pourriez–vous expliquer dans le même temps que 50 % de votre réforme est financée par des mesures d'âge ? Pour notre part, nous n'admettons pas que ce soient les actifs les plus pauvres qui paient les retraites de tous. Or c'est la logique de votre réforme.

Vous brandissez des comparaisons internationales. Vous nous expliquez que nous sommes archaïques, isolés, que nous n'avons rien compris au monde qui change, qu'une évidence s'impose. Mais la vérité est que votre réforme mettra la France au premier rang des régimes les plus contraignants, les plus durs.

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