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Intervention de Jean-Paul Lecoq

Réunion du 14 septembre 2010 à 21h30
Réforme des retraites — Article 26

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Paul Lecoq :

La question de la pénibilité, c'est d'abord une question humaine, qu'il faut aborder, non pas avec une formule arithmétique, avec des quotas, avec des pourcentages, mais avec toute l'humanité qu'elle requiert, et avec des exemples précis. Nous recevons tous, sur nos sites, des exemples très particuliers de salariés qui sont concernés par cette question.

La FNATH nous a transmis les exemples suivants.

Dominique, soixante et un ans : décédé le 29 juin à Paris, il est parti en retraite l'année dernière. Ses médecins ont diagnostiqué un mésothéliome, début mai, en raison de son activité dans le bâtiment, il y a trente ans. Une telle situation ne serait pas prise en compte dans le dispositif pénibilité que propose le Gouvernement. En effet, les expositions à des produits cancérogènes ne sont pas intégrées. De tels travailleurs seront donc amenés à prendre leur retraite à soixante-deux ans, si toutefois ils arrivent à cet âge.

Marcel : après avoir travaillé pendant trente ans, de 1949 à 1978, dans les mines de fer, cet adhérent de la FNATH en Meurthe-et-Moselle est parti en retraite sans qu'aucune maladie ne soit déclarée. Il a fait reconnaître par la suite deux maladies professionnelles, en 2002 puis en 2005 : une sidérose et un cancer broncho-pulmonaire. Décédé en 2006, il n'aura pas profité de sa retraite, qu'il a vécue avec une forte incapacité. Ce témoignage illustre la nécessité de prendre en compte non pas uniquement les incapacités physiques, comme vous le proposez, mais bien les expositions passées à des produits cancérogènes.

Marie : employée de maison, garde d'enfants puis assistante de vie pendant quinze ans auprès d'une personne dépendante, dont le décès a entraîné son licenciement en septembre 2008, elle devient agent hospitalier. Elle n'occupe ce poste que pendant un mois et demi. En effet, elle se bloque le dos au travail, ce qui lui vaut quinze mois d'arrêt et un licenciement pour inaptitude. On lui accorde un taux d'incapacité de 5 % pour lombalgie. Malgré des activités pénibles – port de charges lourdes, travail de nuit –, elle ne bénéficiera pas du dispositif que vous proposez et a touché un maigre capital pour toute indemnisation.

Serge a cinquante-quatre ans. Il exerce pendant vingt ans le métier de menuisier. En 1986, il est victime d'un accident de trajet : il est arrêté sept mois et demi, puis pendant quatre ans pour les soins de suite – il a de multiples fractures, est touché aux poumons, porte un appareil neuro-stimulateur dans le dos avec batterie sur le ventre. Il a un taux d'IPP de 27 %. Mais il ne pourra pas bénéficier du « volet pénibilité » dans la mesure où l'accident de trajet n'est pas concerné par le dispositif, et ce malgré son activité de menuisier pendant vingt ans.

Dans ma circonscription, à Bolbec, une société est menacée de fermeture. En septembre 2009, au CODERST de Seine-Maritime, le Conseil départemental de l'environnement et des risques sanitaires et technologiques, était présenté un dossier de cette usine. Le préfet avait ordonné, en janvier 2007, et avec un délai d'exécution de deux ans, un changement de process, puisque le procédé utilisé par cette usine, qui fabrique des joints pour l'automobile, était émetteur de nitrosamines, produits hautement cancérigènes, et reconnus comme tels par l'Organisation mondiale de la santé. Deux ans après, en 2009, rien n'avait été réalisé dans cette usine, les représentants patronaux nous expliquant qu'ils n'avaient pas jugé utile de le faire, étant donné qu'ils délocalisaient prochainement en Pologne.

Malgré les critiques, ce dossier a été adopté par la majorité du CODERST. Les associations étaient face aux services de l'État. Maintenant, une question se pose : les nitrosamines respirées durant toutes ces années par les salariés vont certainement provoquer des cancers chez certains d'entre eux. Qui va assurer le suivi médical après la fermeture ? Qui sera apte à reconnaître la maladie professionnelle, celle-ci pouvant se déclarer plus de vingt ans après ? Qui va payer le coût des cancers ?

Voilà toutes les questions que pose votre loi. Et puis, d'une manière générale, dans ces zones industrielles, une grosse problématique est posée : celle de la santé et de l'environnement. Dès qu'on parle de santé et d'environnement, dès qu'on parle du cocktail de produits chimiques respirées dans ces zones, il n'y a plus personne pour faire les études. Il paraît que c'est difficile. Il paraît que l'on ne peut pas avoir des critères très probants pour mesurer l'impact de cette activité sur la santé des salariés.

Avec votre projet, les salariés qui ont été victimes du scandale de l'amiante ne pourraient plus être mis en retraite anticipée à cinquante ans. Dans le port du Havre, des salariés exposés à l'amiante ont été mis en retraite par le port à l'âge de cinquante ans, avec interdiction de travailler jusqu'à soixante ans, justement parce qu'ils étaient touchés. À chaque fois que vous êtes interrogés sur l'age de la retraite, vous nous dites que, grâce à votre projet de loi, ces salariés ne prendraient pas leur retraite à soixante-deux ans mais à soixante ans. Mais aujourd'hui, ils la prennent bien avant soixante ans, parce que l'on sait qu'ils n'arriveront pas jusqu'à cet âge, ou qu'ils n'iront pas très au-delà. Et ce que vous leur proposez aujourd'hui, c'est la retraite à soixante ans !

Voilà pourquoi les salariés resteront mobilisés. Ils resteront encore nombreux à combattre votre projet. Je pense qu'il est encore temps, monsieur le ministre, de prendre les dispositions pour traiter autrement la question de la pénibilité, qui touche une très grande partie de nos concitoyens, soit qu'ils soient directement touchés, soit qu'ils se sentent concernés alors qu'ils ne sont pas eux-mêmes touchés. Nous avons en effet la chance d'avoir un peuple pour qui l'humanité est quelque chose d'important. C'est pourquoi je vous demande de revoir les dispositions que vous nous proposez. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)

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