Le Gouvernement a beaucoup communiqué sur l'article 26. Supposé compenser la pénibilité des taches, il a été présenté comme une mesure inédite en Europe, un dispositif prétendument « sérieux, responsable et juste », selon vos propres termes, monsieur le ministre.
Le moins que l'on puisse dire, c'est que votre matraquage médiatique a fait « pschitt ». Personne, excepté peut être le MEDEF, n'ose prétendre aujourd'hui que permettre de partir à la retraite à soixante ans à 10 000 ou 30 000 salariés usés par des conditions de travail particulièrement pénibles serait une avancée sociale majeure
Je vous rappelle qu'en 2008, le rapport de notre ancien collègue Jean-Frédéric Poisson estimait à vingt millions le nombre d'actifs concernés par au moins un des critères de pénibilité, et à un million le nombre de ceux susceptibles de bénéficier d'une compensation à ce titre et « d'un dispositif de retraite anticipée, même s'ils ne sont ni malades ni déclarés inaptes au travail ». Signalons encore qu'une étude menée dans le secteur du BTP évaluait à 44 000 le nombre de salariés de ce secteur potentiellement concernés par la pénibilité.
Il est désormais clair que le système gouvernemental qui repose uniquement sur la mesure individuelle de l'usure au travail et sur l'incapacité physique s'inscrit dans une tout autre logique que celle attendue par les partenaires sociaux, les associations représentatives des victimes du travail et les salariés – voire par certains directeurs des ressources humaines qui ont innové sur cette question et qui ont signé des accords temporaires d'entreprise sur la pénibilité en attendant que la loi prenne le relais.
Interrogé sur votre projet réservant le droit de partir à la retraite à soixante ans, et non avant, aux seuls salariés justifiant un taux d'incapacité de 20 % – ce qui revient à ignorer la forme de pénibilité que constitue le travail posté –, le DRH pour la France de Rhodia déclarait au début du mois de juillet : « Nous sommes loin des attentes. Quand vous avez 700 000 départs en retraite par an, 10 000 cas de pénibilité prévus par le projet de loi, c'est une goutte d'eau. Cela va créer un décalage social fort par rapport aux attentes exprimées par les salariés depuis que le Gouvernement a indiqué que la pénibilité serait l'un des sujets de la réforme. Le ministère a mis la barre très haut avec 20 % de taux d'incapacité. En conditionnant un départ anticipé à une usure déjà avérée, on met une exigence qui relève en fait non pas du système de retraite mais d'une logique accidents du travail et maladies professionnelles. »
Il est également unanimement acquis que votre projet passe à côté de l'exigence d'équité et qu'il fait fi des différences d'espérance de vie entre catégories sociales. Comme l'ont résumé dans une tribune de presse le secrétaire général de la FNATH, l'Association des accidentés de vie, et le porte-parole de l'ANDEVA, l'Association nationale de défense des victimes de l'amiante, le volet pénibilité de ce texte est « une succession d'injustices ». En effet, en faisant référence à l'incapacité physique, il ne prend pas en compte le cas des salariés exposés à des substances cancérigènes, mutagènes, reprotoxiques, ou aux produits ayant des effets différés et à long terme sur la santé des salariés, bien après l'arrêt de leur activité. Je pense à ce qui a été dit par plusieurs collègues sur les maladies qui ne se déclenchent qu'après le départ à la retraite. Le dernier rapport de la mission d'information sur l'amiante a ainsi montré que les maladies se déclaraient, en moyenne, trente-sept ans après le contact avec le produit toxique. Autrement dit, les salariés en question prennent leur retraite sans être malades, mais ils meurent sans avoir pu bénéficier de l'allongement de la durée de la vie dont vous parlez tant.
En réservant des mesures spécifiques aux seules personnes atteintes d'une maladie professionnelle ou victimes d'un accident du travail, et en retenant un seuil de 20 % qui selon un professeur de médecine et de santé au travail n'a « aucune pertinence médicale, sociale ou professionnelle », votre texte exclut nombre de travailleurs dont la pathologie professionnelle n'est pas reconnue ou qui souffrent de pathologies ne dépassant pas le seuil de 20 %.
Par exemple, pour les troubles musculo-squelettiques, les incapacités permanentes moyennes ne dépassent 15 % que dans moins d'1 % des cas. Le fait que les caissières ou les manutentionnaires, qui en sont le plus fréquemment les victimes puissent être laissés de côté par votre réforme, qui durcit précisément les conditions d'accès à la retraite pour ces professions, avait vraiment du mal à passer dans l'opinion publique.
Au lendemain de la forte mobilisation de la semaine dernière, le Gouvernement a donc annoncé des ajustements à ce dispositif, communiquant de façon mensongère sur l'abaissement du seuil et la prise en compte de la situation des victimes de troubles musculo-squelettiques. Cependant, votre proposition ne correspond toujours pas à ce que veulent unanimement les syndicats, c'est-à-dire un départ anticipé de tous les salariés ayant été exposés à des facteurs susceptibles de réduire leur espérance de vie en bonne santé.
En fait, en créant deux régimes, l'un automatique au-delà de 20 % et l'autre, conditionné à un taux, certes inférieur, mais dépendant d'une commission constatant que le salarié a bien été exposé à certains facteurs de pénibilité à l'origine de l'incapacité, le Gouvernement crée de nouvelles inégalités.
Monsieur le ministre, il faudra bien que vous nous disiez précisément si les salariés victimes d'une maladie professionnelle non reconnue, mais pouvant l'être par la voie complémentaire nécessitant un taux d'incapacité d'au moins 25 %, sont concernés par l'amendement que vous défendez ce soir.