Ce débat est un peu surréaliste parce que nous, nous parlons pénibilité quand vous, vous n'en parlez pas. J'ai consulté les écrits de notre rapporteur sur l'article 26 avant de prendre la parole pour regarder si l'article 26 parlait de pénibilité.
L'article 26 ne parle pas du tout de pénibilité, vous le reconnaissez vous-même. Le rapporteur précise que ce nouvel « article ouvre la possibilité aux assurés qui justifient d'une incapacité permanente au titre d'une maladie professionnelle ou d'un accident du travail, de bénéficier […] d'un départ anticipé à la retraite et de la liquidation de leur pension vieillesse au taux plein ».
Le reproche que nous pouvons vous faire dans le débat que nous avons entre nous depuis le milieu de l'après-midi, c'est qu'en réalité, vous ne parlez pas de pénibilité, vous parlez d'incapacité, et je voudrais d'ailleurs à ce titre vous rappeler ce que recouvrent les termes d'invalidité, d'inaptitude et d'incapacité.
Selon le code de la sécurité sociale, l'état d'invalidité est reconnu par le médecin conseil d'une caisse d'assurance maladie.
L'inaptitude est l'impossibilité totale ou partielle pour un salarié d'assurer sa charge de travail.
Enfin, l'incapacité est l'état relatif d'un individu qui se trouve empêcher d'exercer une activité du fait d'une maladie ou d'un accident.
Sur ces trois points, invalidité, inaptitude, et incapacité, nous sommes très loin des travaux que nous avons menés avec Denis Jacquat au sein du Conseil d'orientation des retraites, alors qu'Yves Struillou lui-même avait indiqué qu'il y avait un large consensus sur cette notion d'invalidité.
Il y a ceux qui considèrent que la pénibilité doit être considérée avec une approche médicale. C'est votre choix, c'est l'argument que d'ailleurs vous n'osez pas défendre devant les parlementaires. Et puis, il y a une approche fonctionnelle. Depuis plusieurs années, des travaux ont été menés sur cette approche fonctionnelle qui permet de voir dans quelles conditions un salarié exerce son activité.
On voit bien là les contradictions entre ce que vous dites à l'extérieur et la réalité de votre réforme. Si vous disiez que vous reconnaissez la pénibilité comme une résultante d'une maladie, d'une incapacité, nous en tiendrions compte, nous dirions que nous ne sommes pas d'accord, mais ce n'est pas ce que vous dites. Vous n'apportez pas d'élément nouveau dans le cadre de cette réforme.
Il est d'ailleurs dommage que votre collègue Xavier Bertrand ne soit pas là. Ceux qui ont participé aux débats en 2003 se rappellent peut-être que nous avions défini dans deux articles ce que pouvait être la pénibilité et renvoyé à la négociation collective sur le principe : au terme de trois ans, les partenaires sociaux devaient se mettre d'accord sur cette notion de pénibilité. Mais le MEDEF a refusé de considérer le mal être ou les difficultés au travail comme un élément consécutif à une approche fonctionnelle, donc à la pénibilité.
Sur cette problématique de l'invalidité, des chiffres sortent de part et d'autre. Au jour d'aujourd'hui, si on se fie à l'article L. 351-1 du code de la sécurité sociale, ce sont environ 10 000 personnes qui bénéficient de ce dispositif.
Compte tenu des dispositifs qui ont été pris par le Président de la République, encore que l'amendement qui est présenté renvoie à un décret – il faudra voir ce que dit réellement le décret – dans le meilleur des cas, ce sera 15 000, 20 000, 30 000 personnes qui bénéficieront de ce dispositif. Nous sommes très loin des chiffres qui avaient été annoncés à l'époque.
Définir la pénibilité est compliqué, certains l'ont rappelé en faisant référence à la loi du 20 décembre 1975 où on avait sur le principe défini les travaux qui pouvaient être considérés comme pénibles et qui pouvaient bénéficier de majorations ou de bonifications.
Au fond, il existe, dans certains régimes que vous considérez comme spéciaux, des dispositifs qui permettent de partir plus tôt aujourd'hui. Sauf revirement de votre part, vous ne bougez pas sur ces professions – les pompiers, les militaires, les policiers – et vous considérez qu'elles doivent partir avant les autres compte tenu de la charge de travail et peut-être aussi de la pénibilité.
Nous en prenons acte mais nous considérons aussi qu'à côté des militaires, des policiers, des pompiers et d'autres professions, il existe une multitude d'activités professionnelles qui nécessiteraient d'être prises en compte et de bénéficier de ces majorations de cotisations ou de ces bonifications de trimestres pour pouvoir partir plus tôt. C'est là où nous avons une divergence.
Il y a plusieurs manières d'aborder la pénibilité. Nous sommes d'accord avec le Gouvernement quand il dit qu'il faut vérifier les dispositifs de pénibilité sur une base collective et mettre en place tous les dispositifs dits de prévention.
Il y a aussi le volet plus novateur de la gestion des carrières, de la gestion des âges. Quelques grandes entreprises et DRH travaillent aujourd'hui sur cette problématique, même si nous sommes très loin du compte.
Et puis il y a une prise en compte plus individuelle qui n'est pas faite par branche ou par métier mais qui est liée à des activités. Nous pourrions imaginer que, pour certaines activités professionnelles, ces salariés puissent disposer d'un départ anticipé par le biais de majorations ou de bonifications de trimestres.
Vous nous dites que notre projet coûterait 5 milliards d'euros. Il faudrait une prise en charge par l'État donc par la fiscalité, c'est ce que j'appelle les avantages non contributifs. Dans le volet fiscal proposé par les socialistes, nous disons que les avantages non contributifs doivent être eux fiscalisés et qu'ils ne doivent pas dépendre de cotisations liées au travail. Il y a des solidarités interprofessionnelles à l'intérieur des branches. Un certain nombre de branches professionnelles se sont déjà mises au travail, je pense notamment à celles du bâtiment ou des travaux publics. Il faudra que l'on définisse non pas un cadre conventionnel, non pas un cadre réglementaire, mais un mix des deux. Voilà ce que nous proposons dans le cadre du projet socialiste : des bonifications qui doivent être proportionnelles à la pénibilité du travail, en faisant financer à la fois la solidarité nationale à travers les avantages non contributifs, donc fiscaux, et la solidarité dite interprofessionnelle. Voilà ce que nous essayons de proposer dans notre projet. Il s'agit d'un projet global, vous l'aurez compris, très éloigné de votre approche qui est une approche uniquement médicale. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)