Monsieur le ministre, lorsque nous formulons des remarques sur les choix que vous avez faits au sujet de la pénibilité, la principale critique qui nous est opposée est celle consistant à affirmer que nous allons recréer des régimes spéciaux. Or, à la différence des régimes spéciaux, nos propositions ne visent pas des métiers. Cela aurait été une erreur, l'histoire ayant montré que la désignation de tel ou tel métier à un moment donné pouvait se transformer en un droit acquis ne correspondant plus forcément à la réalité à un autre moment. Ce ne sont donc pas des métiers qu'il faut viser, mais bien des expositions aux risques.
Ce qui nous a confortés dans ce choix, c'est aussi le constat que, sur un même métier, exercé au sein d'entreprises ayant la même activité, il peut y avoir des choix technologiques ou des formes d'organisation du travail très différents les uns des autres. Ainsi, on constate souvent des différences très importantes en matière de réglementation ou d'organisation du travail, selon que l'on a affaire à une entreprise principale ou à une entreprise sous-traitante.
Le choix que nous faisons du critère de l'exposition aux risques constituerait-il la première reconnaissance de la notion de pénibilité ? En fait, ce n'est vrai ni de notre proposition, ni de la vôtre. On peut ignorer la réalité de la loi de 1975, ignorer ce qui a été fait en 2000 par Martine Aubry concernant les travailleurs exposés à des risques particuliers, mais le fait est que cette notion a déjà été mise en oeuvre à plusieurs reprises dans notre droit. Il ne s'agit donc pas d'une innovation.
Il y a encore quelques semaines, nous étions dans le cadre d'une démarche assez consensuelle. La loi de 2003 consacrait, notamment si l'on se réfère au discours prononcé ici même par le ministre des affaires sociales de l'époque, une conception de la pénibilité par l'exposition à des facteurs de risque. C'était d'ailleurs encore vrai lorsque M. Woerth s'est exprimé lors de la convention de l'UMP sur la réforme des retraites.
Il y a donc eu une rupture. Ce que vous nous présentez aujourd'hui comme votre position est un retrait dû au coût d'une vraie réforme prenant en compte la pénibilité. C'est votre choix politique, et nous le combattons. Vous êtes parti d'une conception qui était, dans une certaine mesure, une novation – la prise en compte de la pénibilité –, même si l'idée avait déjà existé et était déjà dans l'esprit de la loi de 1975 et de ce qui avait été fait dans les années 2000. Mais vous lui avez substitué l'invalidité et l'incapacité constatée, qui est quelque chose de tout à fait injuste.
En effet, vous ne pouvez pas croire que l'exposition au risque n'entraîne aucune conséquence. Le travail de nuit, par exemple, toutes les études le montrent, comporte des dangers potentiels importants pour les salariés. Ces difficultés se traduisent dans des chiffres que vous ne pouvez pas ignorer : ceux de l'espérance de vie en bonne santé.
Mais, au motif que, pour certains, ces risques ne seraient pas constatés à soixante ans – ce qui est vrai –, les personnes concernées n'auraient pas droit à accéder à la retraite. C'est là que vous faites un choix parfaitement injuste et qui ignore la réalité. En effet, il est possible qu'à soixante ans, même si vous avez été exposé à des produits cancérigènes. Or, globalement, il y a un risque extrêmement important et vous devez prendre en compte dans la loi la situation générale.
Voilà pourquoi nous pensons que le choix que vous avez fait ignore l'objectif que nous nous étions donné – et que vous vous étiez donné – dans la loi de 2003, y compris sur le plan statistique, car sur 700 000 personnes partant à la retraite chaque année, vous estimez, même avec le passage à 10 % ou 20 %, qu'il n'y en a que 30 000 qui seraient concernées. Cela veut dire que, pour vous, la pénibilité ne concerne potentiellement qu'un pourcentage très limité – autour de 5 % – des salariés.
Ainsi, la lecture qu'il faut faire de votre proposition est la suivante : non seulement vous avez substitué l'incapacité à la pénibilité, mais en même temps vous continuez à affirmer que la pénibilité ne concerne que 5 % des salariés ! Il suffit de regarder le nombre de salariés qui aujourd'hui sont exposés aux risques pour comprendre que vos chiffres ignorent complètement la réalité. Vous savez très bien que des millions de salariés sont confrontés à ce problème.
Par ailleurs, certaines de ces expositions aux risques ne diminuent malheureusement pas. Le travail de nuit, contrairement à ce que l'on aurait pu penser, ne diminue pas – à l'Assemblée nationale non plus…