Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, chacun reconnaît ici qu'il y a un problème de financement des retraites : les dépenses augmentent, mais pas les recettes, ce qui entraîne un déficit. Votre solution, c'est de dépenser moins pour les pensions, avec un report de l'âge légal du départ à la retraite et – à l'article 6 – un report de 65 à 67 ans de la retraite sans décote. On peut, en effet, dépenser moins pour les pensions, en faisant en sorte que de moins en moins de personnes aient le nombre de trimestres nécessaires, mais cela conduit à la paupérisation. C'était d'ailleurs déjà le sens de la réforme Balladur, qui, comme l'a rappelé Régis Juanico, a entraîné une diminution des pensions de 20 %.
Qu'il y ait un déficit du régime des retraites, tout le monde en est d'accord. Qu'il soit nécessaire de faire une réforme, c'est évident. La différence entre la majorité de droite et la gauche, ce sont les objectifs. Pour vous, il s'agit d'abord de ne pas augmenter le niveau des dépenses, quitte à diminuer le montant des pensions. Nous, nous voulons garantir un niveau de pension permettant à chacun de vivre dignement, et, à mon sens, cela passe nécessairement par de nouvelles recettes. Il est possible de taxer les nouvelles recettes en taxant les produits financiers qui sont plus importants chaque année et ne profitent qu'à une minorité.
Après l'article 5 qui repousse l'ouverture du droit à une pension de retraite de 60 à 62 ans, l'article 6 constitue une scandaleuse régression sociale. Pour l'instant, deux tiers des Français partent à 60 ans avec une retraite à taux plein – c'est-à-dire sans décote, car, en fait, le taux plein recouvre une valeur bien différente selon les cas. De plus en plus, il faudra attendre 67 ans pour ne pas être sanctionné par une décote. En effet, il est de plus en plus difficile de commencer à travailler à 20 ans pour arriver à une retraite à 62 ans. Cette mesure est donc particulièrement injuste. Ce sont les personnes qui ont des carrières fractionnées, les travailleurs à temps partiel –souvent des femmes –, qui seront les plus pénalisées. Christophe Sirugue nous a rappelé, tout à l'heure, la situation dans laquelle vont se retrouver de nombreux Français. Très souvent, les personnes qui n'ont pas cotisé un nombre de trimestres suffisant attendent difficilement l'âge de 65 ans s'ils ne veulent pas avoir une retraite diminuée. Ils devront désormais attendre deux années de plus.
Il faut aussi parler de ceux qui auront encore la chance d'avoir un travail à 64 ou 65 ans. Anny Poursinoff a rappelé l'exemple des infirmières et des aides soignantes. Je voudrais, pour ma part, évoquer celui des enseignants. Croit-on vraiment qu'on puisse continuer à enseigner en maternelle ou en collège à 66 ou à 67 ans ? Il est de plus en plus difficile de maîtriser un groupe de 35 élèves – puisqu'il y a de plus en plus d'élèves dans les classes. Imaginons des professeurs de 65 ou 66 ans devant des élèves de 13 ou 14 ans : ce ne sera pas seulement difficile pour les enseignants, mais aussi pour les élèves, qui trouvent souvent que ceux-ci, en fin de carrière, n'ont plus « la pêche », qu'ils sont usés. Et ce que je dis pour les enseignants vaut pour d'autres professions. On recrute aujourd'hui des enseignants à « bac + 5 » : tous ces jeunes ne travaillent pas avant 24 ou 25 ans. Pour toucher une retraite sans décote, ils devront effectivement aller jusqu'à 67 ans.
Quant à ceux qui n'auront pas tous leurs trimestres, il leur faudra aussi attendre jusqu'à 67 ans pour toucher une retraite proportionnelle sans décote : ce n'est donc pas, on le voit, de retraite à taux plein qu'il faut parler.
Je pourrais prendre l'exemple de nombreuses autres professions : routiers, ouvriers, employés, caissières de supermarché, etc. Trouve-t-on raisonnable que ces dernières puissent encore être soumises au rythme de travail que leur entreprise leur impose depuis des années ?
Vous avez voté tout à l'heure, chers collègues de la majorité, le report de l'âge légal de la retraite de 60 à 62 ans. Il me semble que repousser l'âge du droit à la retraite sans décote de 65 à 67 ans est encore plus préjudiciable. Les conséquences sont beaucoup plus désastreuses pour les personnes qui devront travailler jusqu'à 67 ans. Or ce sont principalement les personnes fragiles, les personnes ayant eu un travail fractionné qui se retrouveront dans cette situation.
Chantal Brunel nous a dit qu'il serait bon que les femmes qui ont eu trois enfants puissent partir plus tôt. Pourquoi pas celles qui ont eu deux enfants ?