En effet, votre politique a consisté depuis un certain nombre d'années à mettre délibérément en faillite les régimes de sécurité sociale pour nourrir les régimes de capitalisation, abordés en fin de texte. Votre démarche se lit à travers les projets de loi de financement de la sécurité sociale. Vous connaissez leur succession d'articles répartis par thèmes, mais la clef se trouve toujours dans l'annexe B, qui décrit les prévisions annuelles en matière de croissance, de masse salariale, de recettes et de dépenses par branches – assurance maladie, famille, ATMP, vieillesse –, avec en bas le solde, c'est-à-dire l'addition pour les Français. Pour 2008 et pour 2009, le Gouvernement nous a présenté des PLFFS qui prévoyaient des déficits importants les premières années, mais avec toujours cette perspective de retour à l'équilibre en 2012 ou 2013. Pourquoi ces années-là, je vous laisse chercher la réponse, mes chers collègues. Or, pour la première fois, en novembre dernier, l'UMP a en toute connaissance de cause voté un PLFSS qui prévoit un déficit annuel de 30 milliards d'euros, dont la moitié dans la branche vieillesse, sans aucune perspective de retour un jour à l'équilibre. Vous êtes donc forcés de faire des économies. La mesure clef de votre projet de loi, c'est le report de l'âge légal ouvrant droit à partir en retraite de 60 ans à 62 ans, prévu à l'article 5.
L'article 6 a un contenu encore plus scandaleux : c'est le passage de 65 à 67 ans pour bénéficier d'une retraite sans décote. Vous poursuivez le processus de fragilisation et de paupérisation des futurs retraités, mettant en oeuvre à votre façon le slogan du sarkozysme de 2010 : non pas « travailler plus pour gagner plus », mais « travailler plus longtemps pour gagner beaucoup moins ».
L'échange de tout à l'heure entre Martine Billard et le président Méhaignerie nous a sans doute tous touchés. Il portait sur l'espérance de vie, ses causes et les moyens de préserver le mécanisme qui nous en fait gagner chaque année. Martine Billard a dit avec bon sens que si l'espérance de vie augmente à un rythme important dans notre pays, c'est aussi en partie parce que nous avons la retraite à 60 ans et que nos concitoyens, partant relativement jeunes par rapport à d'autres pays, peuvent vivre en meilleure santé. Le raisonnement est imparable. Mais alors, que dire des conséquences prévisibles du report de 65 à 67 ans ? Elles seront dramatiques. Je rappelle en effet que l'espérance de vie en bonne santé est de 61,3 ans pour les hommes et de 62,4 ans pour les femmes.
Il est vrai que l'UMP ne semble pas très fière du contenu et des conséquences de l'article 6. Souvenons-nous de la campagne de publicité lancée par le Gouvernement dès le mois de juin pour vendre ce projet de loi avant même qu'il n'ait été rédigé et a fortiori discuté dans cet hémicycle. J'en rappelle les points essentiels : une réforme progressive – « l'âge de départ à la retraite […] sera progressivement porté à 62 ans en 2018 » –, prenant en compte le taux d'emploi des seniors – « l'augmentation de l'âge légal de départ à la retraite n'a de sens que si elle s'accompagne d'un changement profond de la place des seniors dans le monde du travail » –, et puis en tout petits caractères, comme si on en avait honte, le passage de 65 à 67 ans, –« parallèlement à l'augmentation de l'âge légal, l'âge d'annulation de la décote sera porté à 67 ans en 2023 ». Les auteurs de la campagne publicitaire sentaient bien que cette mesure était difficile à vendre et que tout le monde se rendrait compte de son caractère à la fois asocial et antisocial.
Qu'en est-il de l'emploi des seniors à l'âge de 65 ans ? Plus de 85 % des personnes sont déjà en dehors de l'emploi. Elles vont donc se trouver dans la situation de devoir attendre, attendre et attendre encore. À cet égard, on a évoqué l'allocation équivalent-retraite, le RSA, et nous aurons l'occasion d'évoquer l'équilibre général des régimes.
Je veux alimenter nos réflexions à partir d'un article paru dans Les Échos le 28 juillet dernier, qui complètera notre discussion sur l'amendement cosigné par Mme Rosso-Debord et M. Nicolas : selon une étude de Pôle emploi, « Le report de 65 à 67 ans de l'âge pour bénéficier d'une retraite sans décote coûtera près de 300 millions d'euros par an à l'assurance chômage ». Cela part du constat que de 20 000 à 30 000 personnes par an ne pourront pas automatiquement basculer du chômage à la retraite, resteront plus longuement en situation de chômage et pourront donc probablement percevoir plus longtemps une allocation de l'UNEDIC. Cette dépense supplémentaire ne prend pas en compte l'allocation de solidarité spécifique ni le RSA. M. le ministre va sans doute nous donner des éléments complémentaires sur ce point. Mais l'évaluation du coût ne prend pas en compte non plus les conséquences du relèvement de l'âge minimal légal de départ de 60 à 62 ans. L'article indique que le chiffrage est en cours de réalisation et qu'il sera communiqué aux partenaires sociaux en septembre 2010. Nous y sommes. Je suppose que vous allez nous transmettre les résultats puisque vous devez déjà les avoir. Nous serons très intéressés de les connaître.
Cette mesure de report de l'âge de la retraite sans décote va provoquer une plus grande précarité et une plus grande pauvreté chez les personnes concernées. Nous voyons là l'indifférence de l'UMP à l'égard de la situation de cette partie de la population française. Monsieur Woerth, monsieur Tron, la fréquentation des puissants et des grandes fortunes vous a fait perdre le contact avec la population réelle et le sens commun. (Protestations sur les bancs du groupe UMP.)