La réforme dont nous discutons les modalités, outre qu'elle permettra d'assurer le financement de notre système de retraite par répartition au moins jusqu'à l'horizon 2020, apporte une véritable visibilité pour l'ensemble des salariés et des actifs.
L'absence de réforme, alors que chaque Français savait pourtant que l'équation démographique imposerait à nos régimes de retraites des contraintes inédites mais inévitables, a créé progressivement une incertitude sociale qui allait miner de manière croissante le moral de nos concitoyens et leur confiance dans l'avenir.
Chaque Français savait depuis longtemps que la solidarité pour assurer les revenus de nos retraités ne serait viable à moyen et à long terme que si nous acceptions collectivement de l'adapter à la nouvelle donne démographique et financière. À défaut, c'est le financement même des pensions qui était mis en cause, c'est la sauvegarde de cette solidarité vis-à-vis de nos aînés qui était fragilisée.
L'un des nombreux mérites des décisions prises en 1993 et de la première réforme lancée en 2003 est le courage d'avoir imposé cette question dans le débat public. En entamant ces changements, nous avions signifié aux Français que notre société était engagée sur un long chemin pour faire évoluer notre système de retraite, pour le solvabiliser en prenant en compte les contraintes démographiques comme les limites financières.
Alors que d'autres pays ont accepté d'inscrire ces évolutions dans le long terme, comme les Allemands qui construisent leur modèle – avec le soutien, je le note une fois de plus, de vos amis socialistes – à l'horizon 2029, pour repousser l'âge pivot de la retraite à soixante-sept ans, notre pays a du mal à accepter aussi rationnellement et aussi spontanément les évolutions pourtant prévisibles dès 1988, dès la publication du fameux Livre blanc de M. Rocard.
Parce qu'en 2003 il nous a semblé difficile de faire accepter une évolution plus marquée de notre système de retraite – les résistances que nous rencontrons encore aujourd'hui montrent que nous avons sur ce point peu évolué –, il nous a semblé qu'au contraire de ce qui avait cours dans d'autres pays, nous ne pouvions pas transformer complètement notre dispositif.
Aussi la réforme de 2003 a-t-elle introduit une notion de progressivité dans l'adaptation en instaurant des « rendez-vous retraites » tous les quatre ans jusqu'à 2020. Nous devions adapter, lors de ces rendez-vous, la durée d'assurance aux évolutions démographiques et à l'allongement de l'espérance de vie. Le principe voulait que le rapport constaté entre la durée d'assurance et la durée moyenne de retraite soit constant au fil des années. Ces rendez-vous devaient permettre à la France d'anticiper les évolutions nécessaires et d'adapter de manière rationnelle et pragmatique la durée d'assurance pour bénéficier du taux plein et garantir à notre régime de retraite l'équilibre financier.
Très vite, nous avons constaté que ce rythme quadriennal était anxiogène pour tous ceux qui s'approchaient de l'âge de départ à la retraite. Nous en avons mesuré les conséquences négatives pour les salariés qui pouvaient bénéficier de départs anticipés pour carrière longue – avancée sociale dont nous pouvons au demeurant nous féliciter, et à porter au crédit de la majorité actuelle puisque vous l'avez toujours refusée.
Un rendez-vous retraite ayant été annoncé en 2008, de nombreux salariés ont préféré liquider leur retraite par peur d'une remise en cause de la durée d'assurance exigée. Nous avons ainsi pu mesurer l'effet pervers d'un système de retraite dont les conditions sont révisées à échéances trop brèves. Cette incertitude sur les conditions de départ à la retraite, liée au manque de confiance dans la loi et le règlement, liée à l'instabilité des conditions de durée d'assurance, en particulier pour bénéficier du taux plein, a été source d'anxiété et a de fait découragé de nombreux salariés de poursuivre leur activité alors qu'ils avaient peut-être envie de continuer au-delà du seuil où ils pouvaient bénéficier du taux plein, par peur de cette remise en cause des conditions existantes, considérées comme trop précaires.
Nous en avons tiré deux leçons : une réforme sérieuse doit d'abord donner aux salariés une véritable visibilité à moyen et à long terme afin que chacun d'eux puisse construire son plan de carrière mais aussi son projet de retraite. Seconde leçon, il était essentiel de mieux informer les salariés, non pas à quelques mois de l'échéance de la liquidation de leur retraite, mais suffisamment en amont pour donner une véritable visibilité individuelle à chaque salarié de ses conditions de départ à la retraite. C'est l'objet de l'article 4 et nous ne pouvons que nous en féliciter.
Je ne relancerai pas le débat sur l'information que nous devons aux salariés. Je souhaite seulement qu'elle soit la plus précoce possible. Nous avons fait un choix sans doute insuffisant. Laissez-moi vous montrer l'enveloppe orange que les Suédois reçoivent chaque année, dès le début de leur carrière, dans laquelle figurent leurs droits cumulés à la retraite. Ils savent donc chaque année où ils en sont. Ils n'ont pas peur, eux, de l'avenir, de l'évolution de leur système de retraite. Nous devons souhaiter pour la France que nos concitoyens adoptent le même état d'esprit ; or la présente réforme tâche d'y contribuer. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)