Aux intervenants qui ont dénoncé l'inflation législative, en particulier à M. Julien Dray, je précise que je ne prends pas l'engagement que cette loi sera la dernière. Les textes doivent en effet évoluer en fonction des situations. Surtout, on ne peut à la fois souhaiter une harmonisation européenne en matière d'immigration et d'asile et se plaindre que les directives adoptées soient transposées en droit français – or, 80 % du texte qui vous est soumis consiste en la transposition de trois directives, comme c'était déjà le cas pour les lois de 2003 et de 2006. La France s'efforce de jouer un rôle moteur dans l'harmonisation et je n'ai pas vu que d'autres parlements se soient plaints de transposer les directives européennes.
Madame Mazetier, j'ai trouvé particulièrement désobligeantes et choquantes les remarques que vous avez formulées à l'égard du Président de la République. Je ne vois pas dans ses propos ce qui vous permet d'affirmer qu'il aurait manqué à nos principes constitutionnels et républicains.
Pour ce qui est du chiffre de 60 % de reconduites à la frontière, j'observe qu'il est rare que le Parti socialiste s'enorgueillisse comme il le fait par votre voix – puisque vous êtes secrétaire nationale – d'un taux de reconduites à la frontière supérieur à celui du Gouvernement. Comment Julien Dray peut-il me reprocher ce qu'il appelle la « politique du chiffre » au moment où vous citez d'autres chiffres montrant que la gauche faisait mieux que ce gouvernement ? Il faut ajuster vos discours. Du reste, vos chiffres sont faux, comme c'est souvent le cas – mais c'est un autre débat. S'il faut y voir une incitation à être plus efficaces et à mieux utiliser l'argent de l'État, nous allons nous efforcer de vous donner satisfaction.
Le passage de 32 à 45 jours de la durée de rétention a été évoqué par plusieurs députés. Je rappelle que la rétention administrative a été créée par le gouvernement de François Mitterrand, au lendemain de l'élection de 1981, dans le souci d'éviter que les étrangers en situation irrégulière sur le point d'être reconduits dans leur pays d'origine – car c'est lorsque cette procédure est engagée qu'intervient la rétention – soient placés en prison ou dans des quartiers spéciaux des prisons, comme c'est le cas dans certains pays. C'est ensuite le gouvernement Jospin – avec Mme Guigou, Mme Lebranchu, M. Chevènement et M. Vaillant – qui a créé dans les centres de rétention les « chambres familiales » permettant d'accueillir avec leurs parents, sur une base volontaire de la part de ces derniers, les enfants sur le point d'être reconduits. L'horreur potentielle que décrit M. Julien Dray a été créée par la gauche, et je continue de penser que cela a été un bienfait.
Monsieur Dray, le taux d'occupation des centres de rétention est de 60 %. Ils ne sont donc pas pleins à craquer. Je vous suggère de regarder ce qui se passe à l'étranger et de nous dire, durant le débat, dans quels pays il vous semble que les centres de rétention administrative sont mieux gérés qu'en France et où les étrangers en situation irrégulière en voie de reconduite à la frontière sont mieux traités.
Le bannissement n'existe pas – j'ai évoqué tout à l'heure la proportionnalité et la non-automaticité de l'interdiction de séjour. Les zones d'attente temporaire ont été créées par la gauche : nous appliquons la loi Quilès. Cependant, si elle est adaptée aux situations frontalières, cette loi ne l'est pas aux situations que j'ai citées. Le lieu et le moment de la création de ces zones dépendront donc de l'arrivée inopinée et massive d'étrangers en situation irrégulière sur le territoire français. Les dispositions de leur mise en oeuvre seront strictement celles que prévoit la loi – j'y reviendrai dans un instant.
Pour ce qui concerne les employeurs et les régularisations, 1 600 dossiers ont été déposés en préfecture à ce jour. Le chiffre de 6 500 dossiers que vous citez, monsieur Dray, est celui de la CGT. Quant à l'arbitraire que vous évoquez en la matière, madame Mazetier, il ne s'agit que de la loi de novembre 2007 votée par le Parlement, qui prévoit les critères selon lesquels le Gouvernement doit procéder à des régularisations, qui doivent demeurer exceptionnelles. La circulaire que j'ai produite n'est qu'une circulaire d'application, étroitement soumise à la loi. Nous avons en outre remis aux préfectures un guide des bonnes pratiques destiné à expliquer cette circulaire. J'applique la loi : c'est bien le moins que vous puissiez attendre du Gouvernement.
En matière de lutte contre les filières d'immigration clandestine, une bonne part des mesures ne relève pas de la loi. Le dispositif législatif est amplement suffisant pour punir les passeurs et ceux qui sont en relation avec eux. Comme je l'ai déjà expliqué, nous interpellons, poursuivons et condamnons chaque année des milliers de personnes au titre de l'article L. 622-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, sur lequel repose notre dispositif et que vous vouliez nous faire supprimer voilà moins d'un an au nom de ce que vous appeliez alors le « délit de solidarité », dont je vous ai prouvé que l'existence en France n'était que fantasmatique.
Je regrette que les explications que je vous donne ne parviennent jamais à influer tant soit peu sur votre discours. L'application de la « directive protection temporaire » que vous voulez appliquer presque systématiquement au gré de l'actualité est subordonnée, je l'ai répété à plusieurs reprises avec un succès inégal, à l'existence d'une crise ou d'un conflit grave dans le pays d'origine. Cette directive, adoptée à la suite des guerres civiles qu'ont connues les Balkans dans les années 1990, marquées par des massacres de grande ampleur, suppose des exodes massifs vers les pays d'Europe occidentale et doit être actionnée par la Commission européenne, avec l'accord de tous les États membres. Comment pouvez-vous imaginer que cela pourrait s'appliquer au cas de Bonifacio ?
Quant au fait que le recours soit suspensif pendant le délai durant lequel il est soumis au juge administratif, je vous renvoie à l'article 34 du projet de loi.
Monsieur Blanc, la décision pouvant conduire à la fermeture temporaire d'un établissement n'est pas une nouveauté : fermeture administrative de débits de boissons, pénalités fiscales ou retrait de points de permis de conduire, il existe déjà de nombreuses sanctions administratives, entourées de garanties. J'espère avoir, durant la discussion du texte, l'occasion de vous rassurer sur ces garanties. Si vous estimez qu'elles doivent être encore précisées, nous y travaillerons ensemble.
Pour ce qui est des délais relatifs à l'asile, ils sont en effet en train de s'allonger. Ils sont de 4 mois devant l'OFPRA en première instance et de 15 mois devant la Cour nationale du droit d'asile. L'action du Parlement nous a permis de donner des moyens supplémentaires à cette juridiction, qui dispose depuis septembre 2009 de 10 juges supplémentaires, avec un plan de renforcement pour la séquence 2011-2013. Quant à l'OFPRA, il bénéficie de 30 vacataires supplémentaires. Je reviendrai dans les jours et les semaines qui viennent sur la situation de l'asile en France.
Monsieur Aeschlimann, votre première question doit être satisfaite avec la modification de l'article L. 622-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile par le projet de loi, afin de bien préciser que les membres des associations qui secourent les étrangers en situation irrégulière – sans être, bien évidemment, en relation avec des passeurs, et dans un cadre très précis – sont protégés par la loi. Je reviendrai sur la directive relative aux passeurs.
Monsieur Dufau, les termes d'« intégration » et d'« assimilation » sont tous deux employés par la loi. Il est ainsi question de l'« entretien d'assimilation préalable à l'acquisition de la nationalité française ». L'idéal républicain suppose donc l'intégration des étrangers et leur assimilation lors de l'accession à la nationalité française. Bien que ce ne soit pas mon avis, je sais que certains, dans toutes les familles politiques, ont des scrupules à utiliser le terme d'« assimilation », au motif qu'il nierait les origines de la personne qui entre dans la nationalité française. Le terme est pourtant, je le répète, celui qu'utilise le code de la nationalité.
Vous avez rendu hommage à la « prudence » du Gouvernement. C'est, après celui de Mme Mazetier, un deuxième hommage inattendu dont je me félicite. Cette prudence ne sera pas un frein à l'action. Cependant, en touchant à des concepts essentiels comme ceux de nationalité, de droit du sol et de droit du sang, il est normal que nous prenions le temps de discuter et de nous concerter avant d'aller plus loin. La création d'une commission n'a pas pour objet d'enterrer cette démarche. Le Président de la République a souhaité que, dans des délais relativement brefs, la personnalité qui sera nommée rende son rapport et ses propositions. J'espère que la clarté sera faite lorsque le texte viendra devant votre assemblée.
Le Gouvernement n'a pas le droit de demander l'avis préalable du Conseil constitutionnel. Monsieur Tardy, notre texte n'a cependant, en l'état, fait l'objet d'aucune réserve de la part du Conseil d'État, ce qui est déjà une étape importante compte tenu de ses enjeux.
Quant à l'impact de la déchéance de la nationalité telle que le Gouvernement vous la soumettra par amendement, je souhaite qu'il soit très limité – c'est-à-dire que peu d'étrangers ayant acquis récemment la nationalité française tuent des policiers, des gendarmes, des préfets ou des magistrats. Je souhaite même que cet impact soit nul. Il s'agit néanmoins d'un symbole lourd : celui qui a souscrit au pacte républicain lors de sa naturalisation respecte-t-il les engagements de ce pacte en tuant, quelques mois ou quelques années plus tard – dans un délai maximal de 10 ans –, une personne représentant l'autorité de l'État ? Il ne s'agit pas, en effet, d'un simple meurtre, mais de l'assassinat d'une personne dépositaire de l'autorité publique. Cette mesure nous semble donc être en adéquation avec la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
Monsieur Caresche, gardez-vous d'abuser des citations du président du parti libéral européen à Bruxelles, dont les déclarations systématiquement antifrançaises, depuis plusieurs mois, devraient heurter la représentation nationale, quelles que soient vos sensibilités.
Je n'étais pas à Strasbourg hier, mais j'ai lu la dépêche suivante de l'AFP : « Mme Reding s'est également déclarée satisfaite des garanties données par le gouvernement français ». Qu'un certain nombre de parlementaires européens, notamment socialistes et verts, aient critiqué l'action de la France, c'est bien normal en démocratie. Cependant, pour avoir assisté à la discussion avec les commissaires européens, permettez-moi de vous dire sans forfanterie que Pierre Lellouche et moi n'avons été gênés par aucune de leurs questions. La France a respecté scrupuleusement le droit communautaire et le droit français. Il n'y a jamais eu d'expulsions collectives et les démantèlements de camps ont été opérés sur décision de justice, à la demande notamment – mais pas seulement – de municipalités de gauche. Par ailleurs, les retours, volontaires ou forcés, ont toujours eu lieu sous le contrôle sourcilleux du juge. Il n'y a aucun problème de ce point de vue.
Bien évidemment, nous n'avons pas suspendu les procédures de reconduite. Pourquoi le ferions-nous ? L'année dernière, nous avons reconduit 11 000 Roumains ou Bulgares en situation irrégulière, et les reconduites se poursuivaient depuis le début de l'année.
Chaque pays de l'Union européenne est amené à reconduire vers d'autres pays de l'Union des ressortissants en situation irrégulière. La France l'a fait l'année dernière pour 580 ressortissants communautaires non-Roumains ou non-Bulgares. Elle accueille aussi tous les mois des Français reconduits dans leur pays d'origine par la Grande-Bretagne, l'Allemagne, les Pays-Bas, l'Italie ou l'Espagne. L'Union européenne n'a jamais été synonyme de liberté totale d'installation et il n'a jamais été dit que chacun de nos pays pouvait laisser aux autres ses ressortissants en situation de précarité. Pourquoi s'étonner que la France applique le droit européen qui nous est appliqué dans l'autre sens par d'autres pays européens ?
Madame Karamanli, au même titre que vous espérez que la discussion permettra au Gouvernement de corriger le tir, j'espère qu'elle vous permettra de corriger le vôtre. Pouvoir dire, après un peu plus de deux siècles de mise en oeuvre des principes républicains, qu'il n'y aurait en France que des droits et pas de devoirs, et s'étonner que le texte évoque un équilibre des droits et devoirs me semble totalement contraire à notre tradition républicaine et aux attentes des Français. J'aurai sans doute l'occasion de répondre à vos autres questions dans un autre contexte.
Monsieur Goasguen, nous serons plus avares d'adverbes « évidemment », et travaillerons ensemble à l'amélioration de la rédaction du texte.
Pour ce qui est de la déchéance de la nationalité, tant les textes européens que les principes du Conseil constitutionnel français interdisent de créer des apatrides. Cette mesure intervenant après naturalisation, la personne visée gardera donc sa nationalité d'origine. J'ajoute, répondant ainsi à plusieurs députés, que la déchéance pourrait être prononcée dès la condamnation rendue effective, sans attendre la fin de la peine. L'octroi ou la déchéance de la nationalité doivent par ailleurs rester une prérogative régalienne et il serait dangereux, et peut-être contradictoire en termes de jurisprudence, de céder cette prérogative. Nous ne créerons cependant jamais d'apatrides.
En matière d'asile, le taux d'octroi, de l'ordre de 30 %, signifie à la fois que la France est généreuse et que 70 % des demandeurs se voient refuser la protection internationale. C'est toute la difficulté de l'ajustement d'un droit qui doit être protecteur et bienveillant pour les « vrais » demandeurs d'asile sans devenir une source d'attractivité pour ceux qui utilisent l'asile pour détourner les lois de régulation de l'immigration. Le curseur est-il bien placé ? Nous aurons peut-être l'occasion d'en discuter.
Monsieur Diard, je vous transmettrai la liste exacte des durées de la rétention administrative dans les différents pays européens. Elle est de 60 jours en Espagne et en Italie, mais n'est pas fixée en Estonie, en Suède, en Finlande et au Royaume-Uni. Elle est de 6 mois en Hongrie et aux Pays-Bas, de 18 mois en Allemagne et de 20 mois en Lettonie.
Je vous ai trouvé injuste, monsieur Dray, lorsque vous avez parlé de « politique du chiffre » – mais je ne reviendrai pas sur l'affirmation de Mme Mazetier selon laquelle la gauche faisait mieux en la matière. Si vous êtes objectif, il faudrait parler de la politique des chiffres, en évoquant les 108 000 naturalisations par an ou le nombre de labels diversité obtenus par les entreprises s'engageant à lutter contre les discriminations. Le chiffre des reconduites à la frontière est certes l'un des éléments du tableau de bord du ministère dont j'ai la responsabilité, mais ce n'est pas le seul.
Quant aux interpellations, je rappelle qu'elles sont, pour l'essentiel, incidentes, c'est-à-dire qu'elles interviennent à l'occasion de contrôles routiers ou d'actes de délinquance.