Je reviendrai d'abord sur les questions relatives à la nationalité et sur la proposition qui vous est faite de réduire à deux ans la durée du stage exigé des étrangers candidats à la naturalisation, lorsque la condition d'assimilation est manifestement réunie. S'agit-il d'une mesure générale visant à réduire le délai nécessaire pour accéder à la nationalité française ? La réponse est très clairement « non » : nous ne visons que des cas exceptionnels.
Ce type de disposition existe déjà en droit français sur proposition tant du ministre de la défense – pour les étrangers engagés dans l'armée française et blessés en mission, soit moins de cinq cas par an – que du ministre des affaires étrangères – pour les étrangers qui contribuent au rayonnement de la France et à la prospérité de ses relations économiques internationales, ce qui représente une douzaine de cas par an. Nous n'avons pas l'intention de dépasser cet ordre de grandeur.
Mais il arrive très régulièrement, souvent sur intervention de députés, que l'on nous demande d'accélérer la procédure de naturalisation par exemple d'un chercheur qui vit en France et qui est détenteur d'un brevet particulièrement important, ou encore de sportifs que leur fédération veut voir participer à des manifestations internationales telles que les Jeux Olympiques ou les championnats du monde. La loi ne le permet pas aujourd'hui et mes services ont du mal à trouver des solutions pour y parvenir. Il vous est donc proposé de bien vouloir accorder au ministre en charge de cette question la possibilité de réduire légalement la durée du stage exigé de certains étrangers, dont le nombre ne saurait excéder la dizaine, voire la vingtaine de cas par an.
Concernant le nombre de personnes concernées par l'alinéa 1erde l'article 21-18 du code civil, je ne suis pas en mesure de vous donner un chiffre précis : d'une part, il n'existe pas de comptabilité spécifique de ces catégories ; d'autre part, dans les faits, la durée de stage est souvent supérieure ou égale à la durée de droit commun de cinq ans. Quoi qu'il en soit, le régime spécial de naturalisation avec réduction de stage à deux ans sur proposition du ministre, pour celui qui a rendu ou qui peut rendre, par ses capacités ou ses talents, des services importants à la France, ne concerne que très peu de personnes par an. Pour autant, si vous le souhaitez, nous sommes disposés à étudier plus précisément les conditions de mise en oeuvre de cette procédure.
Vous vous êtes interrogé sur la cohérence des durées de stage dans les cas de naturalisation ou d'acquisition de la nationalité par déclaration sur le fondement du mariage avec un ressortissant français. J'observe que la durée de quatre ans, exigée des souscripteurs d'une déclaration de nationalité à raison du mariage avec un conjoint de nationalité française, n'est pas un stage, mais une durée visant à vérifier l'effectivité de la communauté de vie qui permet au demandeur d'acquérir la qualité de Français. La communauté de vie est liée à la situation maritale, pas à la résidence en France. Par ailleurs, rien n'interdit à un conjoint de Français de solliciter une naturalisation s'il en remplit les conditions légales. Le fondement de son acquisition de la nationalité ne sera donc pas, dans ce cas, le mariage.
S'agissant du contenu de la charte des droits et des devoirs du citoyen français, celui-ci sera défini par décret en Conseil d'État. J'imagine que nous y reviendrons lors de la discussion en Commission puis dans l'hémicycle, mais je peux d'ores et déjà préciser que, notamment, tant la devise républicaine « Liberté, Égalité, Fraternité » que les notions de laïcité et d'égalité entre les hommes et les femmes ainsi que l'obligation de loyauté de tout citoyen français envers la France y figureront, la personne souhaitant acquérir la nationalité française devant s'engager dans le même temps à respecter les lois et les coutumes propres à la nationalité française.
Vous avez évoqué l'obligation de manifester la volonté d'acquérir la nationalité française. Nous aurons sans doute l'occasion de revenir en particulier sur ce qu'avait institué la loi du 22 juillet 1993. Pour autant, l'obligation d'une manifestation de volonté à seize ans suppose de supprimer la possibilité d'accéder à la nationalité française par déclaration anticipée à l'âge de treize ans. De fait, sur les 30 000 mineurs étrangers qui accèdent chaque année à la nationalité française, 20 000 le font par déclaration anticipée – par l'intermédiaire des parents – entre treize ans et seize ans ; d'autres, 7 000, par déclaration entre seize et dix-huit ans ; les 3 000 autres y accèdent par acquisition automatique à l'âge de dix-huit ans.
Contrairement à ce que l'on entend ici ou là, la manifestation de volonté ne me semble pas, sur le plan des principes, contraire à notre esprit républicain. Que quelqu'un qui veut acquérir la nationalité française dise expressément qu'il le souhaite n'a en soit rien de choquant. Mais comment prendre en compte cette manifestation de volonté sans paraître remettre en cause le droit du sol ? L'équilibre est délicat à trouver. C'est pourquoi le Président de la République nommera prochainement une personnalité qui devrait créer une commission et procéder à des auditions – auxquelles le Parlement sera largement associé. Il lui reviendra de formuler des propositions tenant compte à la fois de votre souhait et des propos tenus à Grenoble par le Président de la République sur la non-acquisition automatique de la nationalité française par des enfants nés de parents étrangers sur le sol français et qui seraient, par hypothèse, des délinquants multirécidivistes. Pour traiter de toutes ces questions, nous avons en effet besoin de recul.
Concernant la déchéance de la nationalité, vous avez rappelé la législation antérieure à 1998. Mais il ne faut pas oublier que nous sommes liés par la décision du 16 juillet 1996 du Conseil constitutionnel, qui a très expressément limité les possibilités de déchéance à des actes dont la nature et la gravité sont particulières.
L'objectif de l'amendement qui vous a été soumis est de lutter contre les atteintes aux intérêts essentiels de l'État. Mais je ne suis pas sûr que l'ensemble des actes qui ont donné lieu à des condamnations et à des peines de plus de cinq années d'emprisonnement puissent tous être considérés aujourd'hui par le juge constitutionnel comme des atteintes aux intérêts fondamentaux de l'État – aussi odieux fussent-ils.
Par ailleurs, selon l'article 7 de la Convention européenne sur la nationalité, adoptée par le Conseil de l'Europe le 6 novembre 1997, signée mais non ratifiée par la France, un État partie peut inscrire dans son droit interne la perte de nationalité de plein droit ou à son initiative dans le cas d'un « comportement portant un préjudice grave [à ses] intérêts essentiels ». La notion d'atteinte aux intérêts essentiels de l'État semble donc fondatrice, aussi bien pour le droit européen que pour la jurisprudence du Conseil constitutionnel, laquelle s'impose à nous.
On aurait en effet pu étendre, comme j'ai été tenté de le faire, le décret d'opposition à l'acquisition automatique de la nationalité aux individus condamnés à des peines de prison avant l'âge de dix-huit ans. Un tel décret est possible pour les conjoints de Français ; le Premier ministre et moi-même en avons signé trois cette année : deux pour des personnes qui, lors de l'entretien d'assimilation, avaient déclaré qu'elles obligeraient leur épouse à porter le voile intégral ; un pour une personne qui avait explicitement dit qu'elle ne reconnaissait pas le principe de laïcité. Je note d'ailleurs que ces décrets n'ont pas été contestés.
En l'espèce, selon la loi française, l'acquisition de nationalité peut être demandée soit par les parents lorsque leur enfant a entre treize et seize ans, soit par ce dernier lorsqu'il a entre seize et dix-huit ans, de sorte que le décret n'aurait concerné que les mineurs n'ayant pas déposé de demande, autrement dit une part marginale. Nous vous proposerons donc une autre solution dans les mois qui viennent.
Vous m'avez également interrogé sur le débarquement de 123 étrangers en Corse du Sud. La meilleure réponse est évidemment la prévention au niveau européen, même si, contrairement à Malte, à Chypre, à la Grèce ou à l'Italie, la France n'est pas en première ligne. Via Frontex et avec nos partenaires, nous allons multiplier les patrouilles et renforcer la protection de nos frontières. Notre future législation nous permettra, je le crois, de traiter dignement les personnes qui se trouveraient dans la même situation que celles débarquées en Corse.
La directive de 2008 relative à l'interdiction d'entrée revêt en effet un caractère obligatoire, mais elle prévoit aussi que « les États membres peuvent s'abstenir d'imposer, peuvent lever ou peuvent suspendre une interdiction d'entrée, dans des cas particuliers, pour des raisons humanitaires ». Elle prévoit également que « les État membres peuvent lever ou suspendre une interdiction d'entrée, dans des cas particuliers ou certaines catégories de cas, pour d'autres raisons. » C'est la voie que nous avons choisie avec l'acceptation du retour volontaire. Nous veillons aussi à la conciliation de cette directive avec notre droit constitutionnel : je pense notamment à l'absence d'automaticité et au principe de proportionnalité. Les conditions de transposition que nous proposons nous paraissent donc respecter scrupuleusement la directive européenne et nos règles constitutionnelles.
S'agissant des procédures d'éloignement, j'ai disséqué les raisons des délais de 48 heures – pour la saisie du juge administratif – et de 72 heures – pour l'intervention du juge des libertés et de la détention. Il y va non seulement de la bonne administration de la justice, les gâchis en temps et en argent étant considérables, mais aussi de l'intérêt des étrangers eux-mêmes. L'avocat de la Cimade, lors du recours que celle-ci a formé contre le projet de partage du « marché de la rétention », a ainsi expliqué au Conseil d'État que seule une association spécialisée pouvait s'engager dans une telle procédure, compte tenu de la complexité du droit des étrangers ; or, selon ce même avocat, cette complexité tient notamment aux contradictions jurisprudentielles entre le juge administratif et le juge judiciaire.
Pour ce qui concerne la lutte contre l'emploi des étrangers sans titre et l'immigration irrégulière, notre outil statistique ne permet pas de donner des chiffres exacts, d'autant que de telles mesures sont matériellement difficiles. Nous avons néanmoins le sentiment que les entrées irrégulières sur notre sol ont diminué, comme l'atteste le nombre d'inscriptions – 215 000 environ – à l'aide médicale d'État à la fin de 2009. Ce n'est certes qu'une indication : Claude Goasguen estime ainsi que le système est parfois détourné ; des travaux sont en cours sur le sujet. En 2009, 3 558 procès-verbaux pour emploi d'étrangers sans autorisation de travail ont été dressés sur l'ensemble du territoire national, et 1 760 au premier semestre de 2010. On comptait par ailleurs 3 204 mises en cause en 2009 et 1 579 au premier semestre de 2010 et, pour les mêmes périodes, respectivement 3 115 et 1 645 étrangers employés sans autorisation de travail.
Nous pourrons aller plus loin sur les sanctions différenciées, mais entendons-nous bien : il ne s'agit pas de sanctionner un chef d'entreprise qui aurait employé un étranger sans titre à son insu, notamment en raison d'une fraude documentaire. Nous n'inversons pas la charge de la preuve : l'employeur est tenu, par la loi du 1er juillet 2008, de mettre à la disposition de l'administration la copie du titre de séjour, mais il ne lui appartient pas de montrer, le cas échéant, que ce document est un faux. Dans le projet de loi qui vous est soumis, tout a été fait pour que le préfet puisse apprécier la bonne foi de l'entrepreneur : la sanction est possible, elle n'est nullement automatique. Cela dit, ne tournons pas autour du pot : une personne qui, sur 100 employés, compte 99 étrangers en situation irrégulière qu'elle a fait venir par ses propres moyens et qu'elle héberge, aura du mal à faire croire à l'administration qu'elle découvre leur situation. Bref, le projet de loi répond à votre préoccupation ; mais si vous estimez que des précisions sont nécessaires, nous pourrons les apporter.