Je vous remercie.
Étant précisé que mes propos ne sauraient bien sûr engager le Conseil constitutionnel, juge de la conformité des lois organiques à la Constitution, je m'efforcerai en effet d'apporter successivement des éléments de réponse aux deux séries de questions que vous m'avez posées, l'une portant sur la procédure devant les deux ordres de juridiction, l'autre sur la procédure devant le Conseil constitutionnel.
La première appelle d'abord un jugement d'ensemble sur les premiers mois de fonctionnement de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC). Malgré les difficultés sur lesquelles nous reviendrons, il me semble que l'expérience justifie le mécanisme voulu par le constituant et précisé par le législateur organique pour mettre en oeuvre ce droit nouveau. Ce dispositif se fonde sur deux principes : la préservation de notre organisation juridictionnelle et la spécialisation des juges.
S'agissant du premier, je rappelle que notre organisation juridictionnelle est fondée sur deux ordres de juridiction – administratif et judiciaire – ayant à leur sommet deux cours suprêmes, le Conseil d'État et la Cour de cassation. Cette organisation n'est pas modifiée : c'est le sens du double filtre, devant le juge a quo puis devant les cours suprêmes. Pour parler très clairement, le Conseil constitutionnel n'est pas une cour suprême au-dessus du Conseil d'État et de la Cour de cassation.
S'agissant du second principe, je précise que, si le Conseil constitutionnel est l'unique juge de la constitutionnalité des lois, conforté dans ce rôle par la création du contrôle a posteriori, il n'est pas juge de leur conventionalité : celle-ci relève du Conseil d'État, de la Cour de cassation ainsi que de leur ordre de juridiction. Cette spécialisation des juges fonde la priorité de la QPC.
Ces deux principes voulus par le Parlement ont été confortés, au cours des premiers mois de fonctionnement de la QPC, tant par les jurisprudences du Conseil constitutionnel et du Conseil d'État que par celle de la Cour de justice de l'Union européenne. Le Conseil constitutionnel a ainsi jugé, dès sa décision n° 2009-595 DC du 3 décembre 2009 sur la loi organique, que la priorité d'examen de la QPC avait pour seul effet d'imposer l'ordre d'examen des moyens présentés par les parties. Elle ne restreint en rien, notamment, l'office ultérieur du juge de la conventionalité comme l'a confirmé le Conseil dans sa décision « Jeux en ligne » n° 2010-605 DC du 12 mai 2010. Le même Conseil a rappelé que, depuis la décision IVG de 1975, il n'est pas juge de la conventionalité des lois.
En outre, Conseil constitutionnel et Conseil d'État ont retenu la même interprétation de l'articulation de la QPC avec le droit communautaire dans leurs décisions respectives des 12 et 14 mai 2010 – je n'y reviendrai pas, monsieur le président, puisqu'il en a été grandement question dans les auditions de la matinée, pas plus que je ne m'attarderai sur l'arrêt Melki du 22 juin 2010 par lequel la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a jugé que l'article 267 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) ne s'oppose pas à une législation nationale qui instaure une procédure de contrôle de constitutionnalité des lois nationales, sous réserve des trois conditions qui vous ont été également exposées ce matin – il aurait tout de même été paradoxal que nous ne puissions pas mettre en place des procédures de contrôle de constitutionnalité alors qu'elles existent depuis longtemps chez nos voisins ! Je précise, tout de même, que cette décision Melki reprend précisément les conditions posées par le Parlement français, elles-mêmes reprises par le Conseil constitutionnel ainsi que par le Conseil d'État. J'ajoute, enfin, qu'elle souligne la pleine compatibilité de la loi que vous avez élaborée avec le droit de l'Union.
Vous me demandez, monsieur le président, s'il serait nécessaire de permettre aux juridictions suprêmes de prendre des mesures provisoires ou conservatoires lorsqu'elles sont saisies d'une QPC – il s'agit d'ailleurs là d'une référence à l'une des conditions posées par la Cour de justice de l'Union européenne. Sans le contexte que nous connaissons, je me serais permis de vous dire que je comprends mal cette question. En premier lieu, aucun juge de cassation n'a jamais pris de mesures provisoires ou conservatoires car tel n'est pas son office ; de telles mesures peuvent être nécessaires, mais, dans ce cas, c'est vers le juge des référés qu'il faut se tourner.
En deuxième lieu, la CJUE ne s'y est pas trompée en jugeant seulement que « les juridictions nationales » devaient pouvoir prendre des mesures provisoires – elle n'a pas exigé qu'il en soit ainsi pour chacune. Ainsi, comme c'est le cas depuis toujours, il suffit au regard du droit de l'Union européenne d'aller devant le juge des référés lorsqu'une affaire est pendante devant un juge de cassation et que des mesures provisoires sont nécessaires.
En troisième lieu, enfin, cela correspond bien au jugement du Conseil d'État dans sa décision Rujovic du 14 mai visant « le juge administratif » en général.
Si je crois donc que le législateur organique avait de bonnes raisons juridiques de rédiger l'article 23-5 de l'ordonnance organique comme il l'a fait, il peut cependant sembler utile d'ajouter à ce dernier que le juge des référés ou le juge de cassation peuvent être saisis pour prendre des mesures conservatoires ou provisoires.
Ce point renvoie à votre question relative à la modification des critères du filtre. Je ne crois pas qu'une telle mesure résoudra en elle-même les difficultés existantes : pour ceux qui « jouent le jeu » de la réforme, elle n'est pas nécessaire ; pour ceux qui ne le joueraient pas, elle n'est pas suffisante. Il est avant tout impératif, aujourd'hui, que la réforme soit appliquée car les justiciables ont le droit constitutionnel de voir examinée la QPC qu'ils posent – rien ne peut les en priver et notamment pas le traitement au fond de leur affaire sur la base d'un autre moyen.
Pour que ce droit vive effectivement – je sais que telle est votre volonté –, il convient que les textes soient appliqués en l'état ou qu'ils soient modifiés pour prévoir que des QPC non renvoyées puissent être réexaminées à la demande des parties ou à l'instigation du Conseil constitutionnel. Il serait clair qu'un tel mécanisme serait l'exception. Suite à vos échanges de la matinée, j'ai compris que trois dispositifs différents étaient évoqués : appel des parties, évocation, nouvelle délibération sur la base des deux premiers critères. En tout état de cause, cette procédure devrait être encadrée dans un très bref délai et pourrait nécessiter, selon les modalités que vous envisageriez, la mise en place de sections au sein du Conseil.
Je vais maintenant m'efforcer de répondre, notamment sur un plan statistique, aux questions que vous avez posées s'agissant de la QPC devant le Conseil constitutionnel – je vous communiquerai d'ailleurs des tableaux statistiques ainsi que la copie de toutes les décisions du Conseil d'État et de tous les arrêts de la Cour de cassation transmis au Conseil, qu'ils concluent dans le sens du renvoi ou du non-renvoi.
En premier lieu, vous m'interrogez sur le nombre de décisions de renvoi et de non-renvoi. Le Conseil constitutionnel a enregistré 222 décisions transmises par le Conseil d'État et la Cour de cassation : 163 décisions de non-renvoi – soit 68 % – et 58 décisions de renvoi – soit 32 %. Pour ces dernières, 30 proviennent du Conseil d'État, 28 de la Cour de cassation. Pourquoi ces chiffres ne correspondent-ils que partiellement à ceux que vous ont donnés les cours suprêmes ?
D'une part, en raison des décisions qui sont ou non transmises au Conseil constitutionnel. L'ordonnance organique dispose en son article 23-7 que doivent être transmises au Conseil les décisions par lesquelles le Conseil d'État ou la Cour de cassation décident de ne pas le saisir d'une QPC ; or, si les décisions d'irrecevabilité et de non-lieu ne sont théoriquement pas transmises au Conseil, les pratiques sont parfois diverses. Ainsi le Conseil a-t-il reçu communication, sur le même article L. 16 B du livre des procédures fiscales, de décisions de non-renvoi et a-t-il appris qu'il existait aussi des décisions de non-lieu qui ne lui avaient pas été adressées. J'ajoute que certaines décisions sont classées comme des décisions de non-lieu alors qu'elles sont prises pour absence de caractère sérieux, et ne sont pas dès lors transmises au Conseil constitutionnel. Tout cela étant assez paradoxal, sans doute serait-il plus simple que l'article 23-7 impose la transmission de la totalité des décisions de non-saisine du Conseil mais que ces dernières soient classées sur le fondement juridique idoine.
D'autre part, il existe une seconde difficulté statistique tenant aux séries. Les cours suprêmes ont ainsi parfois adressé plusieurs QPC identiques au Conseil qui les a enregistrées sous un seul numéro. Deux exemples : en ce qui concerne la garde à vue, la Cour de cassation a dans un premier temps regroupé 36 QPC et, par deux décisions, saisi le Conseil constitutionnel de questions y figurant. La Cour de cassation compte 36 QPC dans ses statistiques ; nous avons quant à nous enregistré les deux décisions de renvoi ; dans le cas, cette fois, des tribunaux maritimes commerciaux, la Cour de cassation nous a renvoyé neuf fois le même jour la même QPC : elle compte donc neuf renvois quand nous n'en dénombrons qu'un seul, ces transmissions répétées étant évidemment sans objet ; en effet, dès lors qu'il est saisi une fois d'une disposition, le Conseil constitutionnel devra examiner l'ensemble des questions de constitutionnalité posées par ladite disposition.
Quoi qu'il en soit, on ne peut pas faire grief à la Cour de cassation des renvois réitérés de la même QPC car il existe une malfaçon dans le décret n° 2010-148 du 16 février 2010. Celui-ci comprend, pour le Conseil d'État, l'article R. 771-18 du code de justice administrative qui dispose : « Le Conseil d'État n'est pas tenu de renvoyer au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité mettant en cause, par les mêmes motifs, une disposition législative dont le Conseil constitutionnel est déjà saisi. En cas d'absence de transmission pour cette raison, il diffère sa décision jusqu'à l'intervention de la décision du Conseil constitutionnel. » Or, cette disposition n'a pas son pendant dans la partie du décret relative à la Cour de cassation alors qu'elle y serait utile en permettant notamment de revenir sur ces légers différends statistiques qui, sinon, n'ont guère de portée.
Quelle appréciation porter sur ces précisions statistiques ?
Je note que tous les renvois étaient justifiés, y compris parfois pour que le Conseil constitutionnel fixe sa jurisprudence dans des décisions de conformité à la Constitution. J'y insiste : nous ne sommes pas guettés par un risque de renvois excessifs.
J'ajoute que le Conseil constitutionnel a déjà jugé qu'il ne lui appartenait pas d'évaluer l'appréciation faite par le Conseil d'État ou la Cour de cassation de l'applicabilité au litige de la disposition législative – l'une des trois conditions fixées dans la loi organique. Il s'agit là d'une appréciation souveraine des cours suprêmes, le Conseil ayant ainsi voulu souligner qu'il n'est juge que de la loi. Pour que cela soit bien clair et rassure tout le monde, il a d'ailleurs expressément jugé que ne devaient lui être transmis que les mémoires distincts et motivés sur la QPC : le Conseil constitutionnel, je le répète, n'est pas juge de l'affaire.
Diverses décisions de non-renvoi ont en revanche porté sur des questions importantes, sur lesquelles le Conseil constitutionnel n'a donc pas pu se prononcer. Si je ne souhaite évidemment pas, dans le contexte actuel, commenter les décisions de la Cour de cassation devant vous, je ferai toutefois deux observations.
D'une part, les articles 23-2 et 23-4 de l'ordonnance organique confient aux cours suprêmes une compétence pour apprécier le caractère sérieux des questions posées, et non pour apprécier la constitutionnalité des dispositions lorsque la question est sérieuse. De ce point de vue, il est utile d'indiquer que les trois quarts des décisions de non-renvoi sont fondées sur ce troisième critère. Il convient également de souligner que 13 décisions de non-renvoi sont quant à elles fondées sur le fait que la QPC porte sur l'interprétation de la disposition législative. Le Conseil d'État a déjà jugé que ce motif ne peut évidemment justifier un non-renvoi, la disposition législative n'étant pas séparable de l'interprétation que le juge en donne – sinon, le contrôle de constitutionnalité s'imposerait au Parlement et à la loi, mais pas au juge et à son interprétation de la loi. D'ailleurs, à propos de l'article 365 du code civil – que le Conseil constitutionnel examinera prochainement sur saisine de la Cour de cassation –, le problème de constitutionnalité qui est posé quant à l'adoption d'enfants par des couples homosexuels ne peut se comprendre qu'à la lumière de la jurisprudence de la Cour de cassation. En tout état de cause, le Conseil constitutionnel devra trancher cette question dans les semaines à venir et sa décision s'imposera à tous en vertu de l'article 62 de la Constitution.
Par ailleurs, 17 décisions de non-renvoi sont fondées sur le fait que la disposition est déjà abrogée mais toujours applicable. Là encore, un tel motif ne peut justifier un non-renvoi. C'est ainsi qu'en ont déjà jugé le Conseil constitutionnel et le Conseil d'État s'agissant des dispositions déjà abrogées dans la décision sur les organismes de gestion agréés – n° 2010-16 QPC du 23 juillet 2010. Par définition, la disposition déjà abrogée mais toujours applicable – laquelle peut, potentiellement, porter atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit – s'applique au justiciable qui soulève son inconstitutionnalité devant le juge. Pour ces affaires, le dispositif de la QPC n'a donc pas pu fonctionner et la France sera à nouveau sujette à la Cour européenne des droits de l'homme sans qu'elle ait pu régler préalablement ces éventuelles difficultés juridiques.
D'autre part, contrairement à la volonté du Parlement, ces non-renvois privent les justiciables de leur droit constitutionnel de voir examinée la conformité à la Constitution de la disposition législative contestée.
Vous m'avez également demandé des informations sur les observations produites.
D'une part, le Premier ministre a produit dans toutes les affaires et il l'a fait avec la grande compétence qui est celle du Secrétariat général du Gouvernement.
D'autre part, le Président de l'Assemblée nationale a produit pour les cinq premières QPC enregistrées au Conseil constitutionnel.
Pour leur part, les parties ont quasiment toujours eu recours à des avocats – exception faite de deux QPC. Pour les QPC déjà jugées, nous avons 23 dossiers avec avocats au Conseil d'État et à la Cour de cassation – soit 62 % - et 14 dossiers avec avocats à la cour, soit 38 %. À notre connaissance, aucune décision du Conseil constitutionnel n'a été rendue alors que l'instance principale était close.
Le Conseil constitutionnel a rendu 22 décisions de QPC. Parmi celles-ci, on dénombre dix décisions de conformité totale – soit 45 % -, une de conformité sous réserve, cinq de non-conformité totale, dont une avec effet différé, et deux de non-conformité partielle. Si l'on veut constituer de grands « blocs », on aboutit à 50 % de conformité, 30 % de non-conformité partielle ou totale et 20 % de non-lieu.
De ces premières décisions du Conseil se dégagent trois idées.
La première est qu'en cas d'inconstitutionnalité, la décision rendue par le Conseil doit logiquement bénéficier au requérant à la QPC et à tous ceux qui avaient également un contentieux en cours. Tel est le sens des décisions nos 2010-1 QPC, 2010-67 QPC et 2010-10 QPC. Par exemple, dans cette dernière affaire, le Conseil a veillé à rappeler le caractère rétroactif de sa décision au bénéfice des requérants : la disparition de la composition inconstitutionnelle des tribunaux maritimes commerciaux « est applicable à toutes les infractions non jugées définitivement au jour de la publication de la décision ». À la suite de la décision n° 2010-67 QPC, relative à l'article L. 7 du code électoral, la Cour de cassation ne s'y est pas trompée et a, au visa de l'article 62 de la Constitution, tiré immédiatement les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel – je renvoie à la décision de la Chambre criminelle du 16 juin 2010.
La deuxième idée est qu'en cas d'inconstitutionnalité, le Conseil constitutionnel ne peut se substituer au Parlement quant aux différentes options susceptibles d'être retenues pour y remédier. Il est des cas où la décision de non-conformité se suffit à elle-même. Ainsi, à la suite de la décision 2010-67 QPC, disparaissent l'article L. 7 du code électoral et la peine automatique qu'il instituait, d'interdiction d'inscription sur les listes électorales. Pour autant, demeure l'article 131-26 du code pénal qui permet déjà au juge de prononcer cette sanction. Dès lors, le Parlement n'avait pas à reprendre la main. En revanche, il en allait très différemment à la suite de la décision n° 2010-1 QPC : il revient au Parlement de faire des choix à la suite de cette décision du Conseil sur la « décristallisation » des pensions, notamment s'agissant de son niveau et de son application. Le Conseil constitutionnel a donc reporté dans le temps les effets de l'inconstitutionnalité prononcée. Il en va de même dans la décision n° 2010-1422 QPC sur la garde à vue.
La troisième idée est l'avantage du contrôle de constitutionnalité par rapport au contrôle de conventionalité au regard de la sécurité juridique : d'une part, la QPC a, en cas de non-conformité à la Constitution, un effet erga omnes – la norme disparaît, et ce au bénéfice de tous. Il n'y a pas de distinction entre le traitement de la procédure dans laquelle la QPC a été posée et les autres procédures.
D'autre part, grâce à la rédaction que le Parlement a retenue de l'article 62 de la Constitution, le Conseil est investi, lorsqu'il constate cette inconstitutionnalité, du pouvoir de déterminer des règles transitoires dans l'attente de l'adoption d'une éventuelle réforme destinée à remédier à l'inconstitutionnalité. Par exemple, il ne s'est pas borné à abroger la composition des tribunaux maritimes commerciaux, il a indiqué que ceux-ci siégeront, dans l'attente d'une éventuelle loi, dans la composition des juridictions pénales de droit commun. Ainsi tout vide juridique a-t-il été évité.
Le délai moyen de jugement des QPC a quant à lui été légèrement inférieur à deux mois au Conseil mais cela est néanmoins trompeur : avec l'été, les QPC jugées entre mi-septembre et mi-octobre le seront en trois mois, délai semble-t-il adapté ; j'ajoute que les délais minimal et maximal ont été respectivement de 23 et 91 jours.
Je précise, enfin, que le Conseil constitutionnel a fait face sans difficulté aux QPC qui lui ont été transmises en accroissant notamment les effectifs du service juridique et de documentation. Si le nombre de QPC devait augmenter, il continuerait de faire front en poursuivant son adaptation. Si cet accroissement devait être très sensible, il serait toutefois nécessaire de transposer la disposition prévoyant la constitution de sections au sein du Conseil en matière électorale.
Je conclurai par l'expression d'un double sentiment.
Le premier est très positif, mêlant reconnaissance et satisfaction à l'égard des pouvoirs exécutif et législatif qui ont conçu et voté cette réforme ambitieuse, mais aussi de toute la communauté juridique − avocats, professeurs, juridictions administratives et judiciaires − qui la met en oeuvre et, enfin, du Conseil constitutionnel qui a su s'adapter. Au total, la QPC remplit d'ores et déjà son office : remédier au bénéfice du citoyen aux angles morts de notre ordonnancement juridique sans bouleverser celui-ci.
Le second sentiment est ambivalent : cette réforme se suffirait à elle-même si elle était appliquée telle que le constituant et le législateur organique l'ont voulue mais, comme chacun sait, ce n'est pas encore partout le cas. Face à cela, en fonction des tempéraments, les réactions peuvent être différentes : certains s'en accommoderont en estimant qu'il faut espérer et laisser du temps au temps ; d'autres considèreront qu'il convient de remédier aux difficultés en cours. Le plus étonnant, voire le plus grave, est que certains n'aient pas compris qu'en cas de mauvaise application de la réforme, la seule autre branche de l'alternative pour que le justiciable puisse bénéficier de ses droits constitutionnels consisterait – ce que nul n'a voulu – à ériger le Conseil constitutionnel en cour suprême sur le modèle espagnol, allemand ou italien, ce qui ne serait pas conforme à notre tradition riche de l'oeuvre jurisprudentielle du Conseil d'État et de la Cour de cassation.