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Intervention de Jean-Yves le Borgne

Réunion du 1er septembre 2010 à 9h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la république

Jean-Yves le Borgne, vice-bâtonnier de Paris :

Il me semble que les juridictions de tête de ligne que sont la Cour de cassation et le Conseil d'État craignent de passer au second plan dans l'organisation de la justice. Cependant, une telle crainte ne me paraît pas justifiée dans la mesure où le Conseil constitutionnel est le juge de la loi, pas le juge de l'affaire. Les préconisations qui peuvent résulter de sa décision ont une influence sur les affaires en général, mais elles n'en ont que peu sur le cas qui a suscité cette décision. Il s'agit donc d'un système, si ce n'est platonique, du moins d'après-coup : la juridiction saisie au fond a la possibilité – et elle ne s'en prive pas – de trancher l'affaire, quitte à renvoyer le problème soulevé sur le terrain constitutionnel devant la Cour de cassation ou le Conseil d'État et, le cas échéant, si la question lui est transmise, devant le Conseil constitutionnel. La décision prise par le Conseil au sujet de la garde à vue est à cet égard significative : il juge inconstitutionnels les principaux textes qui la régissent, mais précise que ce constat n'aura pas d'effet sur les affaires en cours. La loi devra être modifiée avant le 1er juillet 2011 et cette modification n'aura d'effets que pour l'avenir. Je ne crois donc pas qu'il faille craindre une concurrence entre le Conseil constitutionnel et la Cour de cassation, même si je n'aurai pas la naïveté de penser qu'une telle perspective n'existe pas dans les esprits, car le Conseil comme la Cour ont le souci de conserver un certain leadership dans le système.

C'est donc là que se pose la question de l'opportunité du système actuel. Faut-il maintenir, dans l'ordre judiciaire comme dans l'ordre administratif, le pouvoir souverain de transmettre ou de ne pas transmettre ? Jusqu'à présent – mais nous ne parlons que d'une très courte période –, on n'a pas observé d'élément particulièrement significatif trahissant une réticence à appliquer la réforme. On peut cependant interpréter l'arrêt du 16 avril 2010 de la Cour de cassation, par lequel celle-ci saisissait la Cour de justice de l'Union européenne de la conformité de la loi organique au droit européen, comme une façon de mettre des bâtons dans les roues de la question prioritaire de constitutionnalité. En effet, la Cour de cassation n'a pas toujours défendu avec autant de passion le principe de la suprématie du droit européen sur le droit national…

Quelque chose n'est donc pas satisfaisant dans l'organisation du filtrage, même si celui-ci est nécessaire dans un système pyramidal tel que le nôtre : il faut en effet éviter que les questions prioritaires de constitutionnalité ne se déversent sur le bureau du Conseil constitutionnel. Mais faut-il vraiment que ce tri soit effectué par ceux qui pourraient voir dans la transmission de la question une façon biaisée d'imposer une décision, voire un changement de jurisprudence, c'est-à-dire un moyen de les déposséder de leurs pouvoirs naturels ? Pour l'instant, on ne peut que suspecter un tel état d'esprit, sans véritablement l'observer. Je me méfie de la suspicion, qui conduit à tirer de faits anodins des conclusions épouvantables. Mais un vrai problème pourrait se poser à l'avenir. Il ne serait sans doute pas absurde de prévoir la possibilité, pour le Conseil constitutionnel, d'être informé de toutes les questions prioritaires de constitutionnalité dont une juridiction initiale serait saisie, et de lui permettre, si d'aventure la Cour de cassation ou le Conseil d'État ne transmettait pas cette question, de s'en saisir d'autorité. C'est à ce prix que le contrôle de constitutionnalité prendra un véritable sens.

Faut-il craindre une domination jurisprudentielle d'un Conseil constitutionnel constitué en cour suprême, en lieu et place de la Cour de cassation et du Conseil d'État ? Je ne le crois pas. Ainsi, si la décision relative à la garde à vue entraîne, à terme, l'abrogation d'un certain nombre de textes, on peut observer – avec, pour certains, une pointe de déception – que le Conseil est resté très prudent dans les indications qu'il donnait au législateur. Il y a là une forme de sagesse : la construction de la loi appartient au législateur, mais sa sanction relève du Conseil constitutionnel. Il serait donc regrettable que la liberté nouvelle qu'incarne la question prioritaire de constitutionnalité soit entravée par la mauvaise humeur de la Cour de cassation ou du Conseil d'État, ou par leur volonté de conserver un pouvoir qui fut un jour souverain. Si d'aventure une question opportune, intéressante, mettant en jeu des problèmes fondamentaux, venait à être écartée pour des motifs dont je ne peux préjuger, et si le Conseil constitutionnel était amené à considérer comme une anomalie l'absence de transmission de cette question, il serait souhaitable qu'il puisse s'en emparer de lui-même. Même si l'hypothèse est par nature marginale, et si nous n'avons pas observé une telle situation depuis six mois, il convient de prévoir le moyen de surmonter le blocage que pourrait entraîner je ne sais quelle situation psycho-juridique.

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