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Intervention de Claire Bazy-Malaurie

Réunion du 31 août 2010 à 15h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la république

Claire Bazy-Malaurie :

C'est toujours un exercice délicat que de se présenter. Je m'y livrerai le plus simplement possible en vous disant ce que j'ai pu retirer de mon expérience en matière de réflexion sur la vie publique.

Ma formation est des plus classiques pour un fonctionnaire généraliste. Je suis diplômée de Sciences-Po et de la faculté de droit. Je suis également licenciée de russe et c'est là ce qui a orienté les débuts de ma carrière professionnelle. En effet, après quelques mois passés au service juridique d'une grande entreprise nationale, j'ai été recrutée en tant que contractuelle au service de l'expansion économique de l'ambassade de France en Union soviétique. Les quatre ans et demi que j'y ai passés furent très enrichissants pour moi. Sur le plan professionnel tout d'abord. Toutes les négociations commerciales avec l'URSS, dont la France était alors le premier fournisseur de biens d'équipement, passaient alors par l'ambassade. Mais le plus marquant, pour la jeune femme que j'étais, fut de vivre plusieurs années dans ce pays, alors dirigé par Leonid Brejnev, au moment d'une lutte sans merci contre tous les dissidents. C'est en 1974 qu'Alexandre Soljenitsyne fut expulsé d'Union soviétique, et beaucoup d'autres à sa suite. Cette période fut difficile à vivre pour moi qui, Française mais parlant russe, connaissais beaucoup de gens sur place. Certes, ma vie de diplomate était facile, mais il aurait fallu être aveugle et sourde pour ne pas réfléchir, durant le temps où j'ai habité ce pays, à son organisation sociale et politique comme aux relations existant entre l'État et les individus. Trente-cinq ans plus tard, je n'en ai rien oublié et cette expérience m'a marquée.

Revenue à Paris, j'ai passé le concours de l'ENA et ai été affectée, à l'issue de ma scolarité, à la Cour des comptes. Je n'y ai toutefois pas effectué tout le reste de ma carrière professionnelle. Comme beaucoup de conseillers, j'ai effectué diverses missions, certaines de réflexion, d'autres plus opérationnelles. Je citerai, entre autres, le travail de réflexion sollicité par Pierre Bérégovoy sur la rénovation de l'assiette des cotisations sociales, la réorganisation de la Fondation nationale de transfusion sanguine, profondément éprouvée après l'affaire du sang contaminé, ou plus récemment, la médiation qui m'a été confiée, en tant que présidente du comité de suivi de la loi LRU, dans le conflit des enseignants-chercheurs. J'ai toujours, à l'extérieur de la Cour, exercé en administration centrale et n'ai jamais été membre de cabinet ministériel, m'étant toujours jugée plus apte à organiser des réflexions d'ordre stratégique sur des politiques publiques et à participer à leur mise en oeuvre aux côtés des équipes nécessaires.

Cela m'a ainsi conduit à la fin des années 80 à la DATAR, chargée à cette époque de négocier les contrats de plan État-région après les transferts de compétences opérés par les lois de décentralisation. C'était aussi l'époque où la DATAR apportait un important soutien aux acteurs de terrain des régions les plus touchées par les reconversions industrielles, comme le Nord-Pas-de-Calais, la Lorraine ou encore le bassin de Decazeville. Ce fut, pour la Parisienne que j'étais, l'occasion de prendre conscience de ce qu'était « le territoire ». Dans un contexte marqué par la décentralisation et les problèmes économiques et sociaux que rencontrait alors le pays, ce fut l'occasion de m'ouvrir à une connaissance nouvelle qui me fut très utile quelques années plus tard, lorsque, après un très bref passage à la direction des affaires financières du ministère de l'équipement, je fus nommée en 1995 directeur des hôpitaux.

L'heure était à une réforme de l'hôpital. En dépit d'une certaine rationalisation enclenchée par la loi de 1991, notre système hospitalier demeurait pléthorique et dispendieux. Déjà, le déficit de la Sécurité sociale, bien que six fois moindre qu'il ne l'est aujourd'hui, inquiétait. Les ordonnances de 1996 ont apporté plusieurs solutions, dont certaines sont toujours en vigueur. C'est là qu'est née la loi de financement de la sécurité sociale. Il s'agissait déjà d'essayer de concilier au mieux contrainte financière et qualité du service rendu, de ralentir la croissance des dépenses hospitalières, tout en améliorant la qualité des soins. Cette équation reste d'actualité.

Je suis revenue en 1998 à la Cour des comptes où j'occupe depuis huit ans les fonctions de rapporteur général, travaillant directement auprès du Premier président et des présidents de chambre et exerçant une mission transversale allant de la programmation des travaux à l'accompagnement des publications.

J'aurai donc passé vingt ans, en trois périodes, à la Cour des comptes. J'y suis chaque fois retournée avec grand plaisir, d'autant plus que le champ de compétences de l'institution s'est considérablement élargi, à l'instigation notamment du Parlement : la Cour peut désormais enquêter jusque dans des entreprises privées pour s'y assurer du bon usage des exonérations fiscales. Ses missions ont beaucoup évolué ces dernières années, avec l'adoption des lois organiques relatives aux lois de finances et aux lois de financement de la sécurité sociale puis la révision constitutionnelle de 2008. La Cour des comptes est devenue un acteur majeur de la vie publique. L'importance croissante accordée au contrôle de l'action publique ainsi qu'à l'évaluation des politiques publiques, et le rôle que lui reconnaît désormais la Constitution dans l'information des citoyens la placent au coeur des problématiques de l'époque. Elle n'a cessé, au cours de ces dernières années, d'exprimer le souci de la maîtrise des finances publiques, tant dans ses programmes de travail que dans les orientations stratégiques qu'elle se fixe périodiquement. Elle pourrait reprendre à son compte la devise de son homologue britannique, le NAO, Spend wisely – dépenser avec sagesse. Le Premier président Philippe Seguin parlait, quant à lui, de la fonction de « vigie des finances publiques » exercée par la Cour, en quoi nous nous reconnaissons parfaitement. L'ensemble des missions de la Cour, notamment celle d'assistance au Parlement, sa collaboration avec les chambres régionales, la mettent en position de mener des analyses, pertinentes, je l'espère, en tout cas approfondies, au service du Parlement, du Gouvernement et des citoyens.

Cet objectif de service a toujours été au coeur de mes préoccupations dans l'exercice de mes fonctions à la Cour des comptes. Il le demeurera dans d'autres institutions. Pour le reste, les membres de la Cour des comptes sont des magistrats, indépendants, fiers de leur impartialité, rompus à l'exercice de la collégialité. Ce sont sans doute ces aspects-là, si je rejoins le Conseil constitutionnel, qui me seront les plus familiers. En effet, je n'ai pas la prétention d'être une spécialiste aguerrie de droit constitutionnel. J'espère simplement apporter à l'institution, dans le contexte des évolutions juridiques en cours, mon expérience, ma connaissance de la vie publique, mes propres réflexions sur l'État, au regard notamment de la contrainte financière.

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