Madame Langlade, le Gouvernement est aussi attentif que vous l'êtes au taux d'emploi des seniors, mais il faut pour commencer faire des comparaisons probantes. Choisir pour référence le taux d'emploi des seniors âgés de 55 à 64 ans n'a pas grand sens puisque, d'évidence, la fixation de l'âge de la retraite à 60 ans fait qu'à partir de cet âge, ce taux est très inférieur en France à ce qu'il est dans les autres pays. Mais, à 59 ans, il est égal ou supérieur à la moyenne de ce qui est observé dans les pays de l'Union européenne – ce qui n'est toutefois pas assez, je vous l'accorde.
L'augmentation de l'âge de la retraite doit susciter un changement culturel tel que la société française s'habitue à conserver les seniors en entreprise. Cela signifie aussi qu'il faudra, en effet, adapter les carrières. C'est plus facile pour les grandes sociétés, Rhodia par exemple, qui servent de laboratoires, car leurs pratiques se diffusent dans les PME auxquelles elles sous-traitent. Il nous faut parvenir à employer massivement les seniors, ce qui ne se fera pas au détriment de l'emploi des jeunes – ce n'est pas parce qu'un salarié prend sa retraite qu'un jeune est nécessairement embauché, vous ne l'ignorez pas. Le projet met l'accent sur le tutorat, mais nous avons aussi prévu d'autres mesures, tel le recentrage sur les chômeurs âgés de l'exonération de charges prévue pour l'embauche d'un salarié par une très petite entreprise. Nous donnons ainsi un coup de pouce aux entreprises qui veulent employer des salariés âgés de plus de 55 ans. Il y faudra du temps, et nous devrons être vigilants.
Monsieur Muzeau, vous jugez le projet inacceptable ; c'est votre droit. Vous dites par ailleurs que l'on ne peut mêler carrières longues et pénibilité. Or, ceux qui ont commencé à travailler tôt ont souvent été exposés à des facteurs de pénibilité. Les populations considérées ne sont pas exactement les mêmes, mais elles peuvent être associées à certains égards. Cela représente 100 000 personnes sur 700 000 dont l'âge de retraite ne sera pas 62 ans mais 60 ans ou moins, car avoir commencé à travailler jeune est une des formes de la pénibilité.
Madame Delaunay, toute réforme des retraites est un temps majeur du débat politique. Il faut faire évoluer notre régime de retraite car, actuellement, il n'est pas financé. Les options que nous avons choisies sont incontournables. Voyez ce qui se passe dans les autres pays de l'Union européenne : leurs gouvernements seraient-ils atteints d'idiotie collective ? Nous sommes tous contraints de trouver une solution au problème qui se pose à nous tous et la réponse, nécessairement d'ordre démographique, passe par le report de l'âge de la retraite, mais aussi par d'autres mesures, qui figurent dans le projet.
Les petites pensions reflètent des carrières fragmentées et partielles. Pour corriger cette situation, il faut des minima, et nous en avons : minimum vieillesse, minimum garanti, minimum contributif. Leur montant n'est pas très élevé, soit, mais ils sont le plus souvent assortis d'allocations telles que l'aide personnalisée au logement. Un socle minimum de solidarité existe bel et bien, ce qui n'est pas le cas partout. Incidemment, je n'ai pas souvenir d'avoir entendu le Parti socialiste nous féliciter d'avoir augmenté le minimum vieillesse comme le Président de la République en avait pris l'engagement.
S'agissant de longévité, la mesure des facteurs de risque professionnel suppose la réalisation de matrices emploi-exposition. Il en existe, mais par pour tous les cas, il s'en faut de beaucoup. Pour aller plus loin en matière de pénibilité, il y a plusieurs manières de faire, dont l'une est de réfléchir aux effets différés de l'exposition au risque. Il faudra donc davantage de ces matrices – qui sont réalisées par des scientifiques et non par des politiques –, mais il faut ensuite faire le lien précis entre population exposée à un risque et facteurs de déclenchement de ce risque.
La pénibilité est une question compliquée. Nous aurions pu refuser d'aborder la question et en rester à l'incapacité, à l'invalidité ; nous acceptons d'entrer dans ce débat parce que nous considérons qu'il est juste… Les 10 000 personnes dont nous parlons sont celles qui justifieront d'un taux d'incapacité égal ou supérieur à 20 % ayant donné lieu à l'attribution d'une rente pour maladie professionnelle ou pour accident du travail – non par les médecins du travail mais par les médecins de la branche accidents du travail-maladie professionnelle de la CNAMTS.