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Intervention de Jean-Pierre Jouyet

Réunion du 13 juillet 2010 à 11h00
Commission des affaires étrangères

Jean-Pierre Jouyet :

Certes, mais on ne se serait pas interrogé, il y a un an, sur la fin de l'euro, sur la façon dont l'Europe économique doit être gouvernée et sur les autres difficultés que vous avez évoquées, monsieur le président. On se disait alors que l'Europe capitaliserait sur de nombreux atouts : un nouveau traité, des présidences allemande puis française réussies, avoir été le moteur des premiers G20.

Aujourd'hui, l'état des lieux de la zone euro n'est guère réjouissant même si certains espèrent que le plus dur est derrière nous. Que le pire de la crise soit passé ou non, il est urgent que la maison Europe se remette en ordre. Enfin, que peut faire l'Europe sur le plan de la méthode comme sur le fond, qu'il s'agisse d'opacité, de régulation ou de taxation ?

L'état des lieux de la zone euro n'est pas très réjouissant. Les données macro-économiques sont claires et fournissent la mesure des tensions qui l'affectent : la crise a ébranlé son système institutionnel, politique et économique.

Les marchés restent très volatiles. Depuis le début du mois de juin, alternent des périodes de relative accalmie, avec des envolées ou des plongées brutales des marchés. Au total, depuis le 1er janvier, le CAC a perdu environ 13 %. Les indices boursiers mondiaux font apparaître une baisse de 11 %. Plus préoccupant pour le régulateur : la valorisation de près d'un tiers des sociétés du CAC 40 est aujourd'hui inférieure à leurs fonds propres.

Les marchés craignaient que la timide reprise économique ne soit étouffée par l'excès d'endettement public ou privé dans certains pays d'Europe. Il est vrai que les prévisions de croissance de la zone euro pour l'année 2010 restent très modestes par comparaison avec des pays tels que la Chine, qui avoisine les 12 %, ou même le Japon, qui n'est pas réputé bénéficier d'une croissance très forte, mais où elle atteint cependant 4,9 %, voire les États-Unis, qui sont autour de 3 % de croissance. Fin juin, la prime de risque sur les Credit Default Swap (CDS) grecs souverains à cinq ans avait atteint des niveaux jamais égalés, et, fait nouveau, le risque pays est désormais pris en compte par les investisseurs qui souscrivent les emprunts des entreprises et des banques européennes. Vous avez donc maintenant une corrélation entre le taux demandé sur les dettes souveraines et le taux sur les dettes d'entreprises.

Face à cette situation, des mesures d'austérité budgétaires sont intervenues, notamment en Allemagne et au Royaume-Uni. Elles reposent sur des bases pluriannuelles, ce qui offre une certaine visibilité.

Le fait que les autorités grecques aient réduit leur déficit budgétaire a également favorisé une certaine détente sur les taux et sur les CDS depuis le début du mois de juillet.

La Banque centrale européenne a mis en oeuvre des mesures de transparence qui me paraissent justes, telles que les stress tests, même s'ils sont intervenus avec retard en Europe.

Par ailleurs, les interventions de la Banque centrale européenne qui totalisent 132 milliards d'euros, permettent de soutenir les perspectives bancaires. Il est important de noter que ces concours sont moins élevés que prévus, ce qui traduit une phase d'amélioration.

Toutefois, il faut se garder d'un trop grand optimisme car la volatilité de la situation actuelle ne permet pas d'écarter les scenarii en W, alternant hausses et baisses des cours, et considérés comme les plus vraisemblables par les experts.

L'euro se situe aujourd'hui à 1,26 dollar, soit une hausse de 6 % par rapport à son point le plus bas qui était de 1,19 dollar, observé le 7 juin dernier. Je rappelle qu'il était de 1,60 dollar il y a un an. Les craintes autour de l'euro sont paradoxales car celui-ci est un formidable amortisseur de la crise financière. C'est, en effet, une devise qui reste très attractive : sa part représente encore entre 25 et 30 % des réserves internationales. Les statistiques du FMI du premier trimestre montrent que les gérants des réserves de change n'ont pas cherché à se défaire de leurs euros pour acheter des dollars.

Je ne suis donc pas inquiet sur l'évolution de l'euro. Toutefois, c'est aussi une monnaie sans Etat et qui, faute d'intégration politique, pâtit d'un manque de gouvernance économique et monétaire, que l'urgence a trop souvent suppléé. Rien n'était prévu dans les traités pour assumer autour de la Banque centrale européenne (BCE) une supervision financière susceptible de prévenir les risques systémiques. Il n'existait pas non plus de réel mécanisme de solidarité visant à aider les États en quasi faillite. Ce défaut de gouvernance a immanquablement provoqué une nouvelle confrontation entre les pays les plus vertueux, comme l'Allemagne, l'Autriche, les Pays-Bas et les pays scandinaves, et ceux souhaitant poursuivre une politique plus active de relance publique. De là ont résulté des tensions assez fortes sur la zone euro, aggravées par le fait que les différents pays d'Europe connaissent des situations différentes : celle de la Grèce n'est pas celle de l'Espagne, qui est elle, caractérisée par une prédominance de l'endettement privé. En Allemagne, c'est la situation des banques régionales qui inquiète…

Un certain « retard à l'allumage » de la part des gouvernements de la zone euro, notamment de l'Allemagne, a fait le jeu des anticipations à la baisse des marchés, qui ont ainsi profité du manque prolongé de coordination politique des États. J'en donnerai trois exemples.

Premièrement, nous n'avons toujours pas trouvé d'accord sur le traitement des hedge funds ayant des activités off shore dans le cadre de la négociation de la directive sur les hedge funds. De ce fait, ceux-ci ne sont toujours pas régulés par une directive européenne.

Deuxièmement, voilà plus d'un an que Jacques de Larosière a proposé un « paquet » sur la supervision financière, adopté en juin 2009 par les chefs d'États et de gouvernements. Or nous ne disposons toujours pas d'une agence de supervision européenne pour la banque, pas plus qu'il en existe une pour l'assurance ou pour les marchés ; il n'y en aura pas avant 2011 alors qu'un accord politique s'était dégagé il y a deux ans.

Troisièmement, enfin, des mesures unilatérales sont intervenues. Ainsi, le fait que les Allemands aient interdit de façon unilatérale les ventes à découvert pose un problème. Ce n'est pas une bonne mesure sur le plan technique car ces mêmes ventes s'opéreront sur d'autres places internationales que les places allemandes. C'est aussi un très mauvais signal politique car ce type de mesure doit être pris au niveau européen ou, à tout le moins, dans la zone euro, voire au niveau franco-allemand.

En bref, le résultat de ces flottements et de ces atermoiements est que nous sommes arrivés au G20 de Toronto avec l'image d'une Europe unie sur les moyens – la taxation des activités de marchés quelles qu'en soient les modalités – mais pas sur les objectifs d'organisation et de régulation des marchés. Au même moment, le Congrès américain se mettait d'accord sur un paquet historique – dont on peut certes contester la portée car elle n'est pas celle qu'avait annoncée le président des États-Unis – de refonte de la régulation financière, donnant à ce pays un avantage important pour prendre le leadership en la matière. Le G20 de Toronto l'a montré, l'Europe a pris du retard et a perdu de l'influence : ses idées de taxation n'ont pas été suivies par ses partenaires, américain et asiatiques notamment.

L'Europe doit donc remettre vite en ordre sa maison, et ce pour deux raisons.

D'abord, nous assistons à un déplacement formidable du centre de gravité des richesses, des pouvoirs et des activités au profit de l'Inde, du Brésil et de la Russie, qui représentent ensemble 25 % des terres habitables, 40 % de la population, 15 % du produit intérieur brut mondial et 40 % des réserves monétaires. Ils sont aussi les principaux financeurs de notre dette – il faut en avoir conscience. Mais pour eux, l'Europe n'incarne pas encore une réalité. Or, ils attendent beaucoup de la politique et de la coordination européennes car une partie de leur développement est liée à cette zone qui reste un très grand bassin d'épargne, possède une forte solvabilité et a un pouvoir d'achat élevé. Ces pays veulent une Europe non seulement plus lisible, mais aussi plus coordonnée et mieux structurée. Paradoxalement, tout se passe comme si ces pays nourrissaient plus d'ambition pour l'Europe que l'Europe n'en a pour elle-même.

Ce rééquilibrage de la planète pose un problème à l'Europe car, jusqu'à présent, elle avait réduit, dans les G7 puis les G8, ses relations à un tête-à-tête avec les États-Unis. Or, avec l'apparition des grands pays émergents dans le G20, l'Europe doit s'adapter à un nouvel environnement idéologique car, depuis la crise financière, nous n'avons plus de leçons de capitalisme à donner, notamment aux pays asiatiques. Elle doit aussi s'adapter sur le plan psychologique car nous ne pouvons plus nous définir exclusivement par rapport aux États-Unis ; les grands pays émergents, très heureux désormais de faire partie du club dont ils ont payé le droit d'entrée politique, sont assez indifférents aux règles que l'on peut fixer dans le domaine financier. Enfin, il nous faut nous organiser sur le plan pratique afin de répondre à une demande simple de nos partenaires tiers : qui est responsable pour l'Europe ? Quel est l'interlocuteur européen ? Nous avons besoin d'une plus grande unité de décision.

Nous devons également nous montrer plus réactifs parce que les marchés financiers sont devenus les juges de paix de la zone euro et, plus largement, de l'Union européenne – et c'est la deuxième raison pour laquelle nous devons réagir. Si l'on fait exception de la « re-régulation » qui a suivi la faillite de Lehman Brothers, les marchés gagnent en influence dans tous les pays. Le fait qu'ils soient fragmentés n'érode en rien leur capacité d'intervention transnationale et même globale. En revanche, leur opacité n'a en rien diminué depuis deux ans, ce qui pose un défi supplémentaire aux États qui peinent à interpréter les mouvements de ces marchés et, a fortiori, à encadrer ces derniers.

Deux phénomènes jouent à cet égard. Le premier tient à nous-mêmes : le marché unique européen nous soumet davantage aux pressions commerciales et financières, d'où qu'elles viennent. C'est le jeu de la compétition et de la libre circulation des capitaux. Les États sont aujourd'hui en partie tributaires des décisions de fonds de pensions ou de fonds souverains. Le second phénomène est lié à la part croissante dans la richesse nationale de l'industrie financière : les produits financiers représentent 12 % du PIB au Royaume-Uni, 6 à 7 % en France, soit davantage que notre valeur ajoutée agricole. La France est maintenant devenue une puissance bancaire et financière supérieure à l'Allemagne.

La montée en puissance des marchés est également liée à celles de l'endettement et des déficits publics. C'est pourquoi, il faut les réduire. Plus vous êtes endetté, moins vous disposez de marges et plus vous êtes dépendant des prêteurs, c'est-à-dire des marchés, sachant que les fonds dont vous allez disposer sont d'origine essentiellement étrangère. De plus, à un certain moment, vous êtes confronté à une limite qui vous empêche d'emprunter davantage.

Si nous avons besoin de plus d'Europe économique et financière, c'est parce que nous devons répondre aux interrogations des marchés sur la « soutenabilité » de la zone euro, mais aussi pour mieux nous armer dans le rapport de force qu'ils nous imposent. Il suffit de dire quand, comment, à quel rythme, nous allons réduire nos déficits, comme l'ont fait nos partenaires anglais et allemand. Les marchés sont attachés à ce que nous fixions, pour cela, un cadre prévisionnel et pluriannuel.

Que peut-on donc faire, sur la forme comme sur le fond ?

Nous devons d'abord partir du postulat qu'il n'y aura pas de relance de la dynamique européenne sans le moteur franco-allemand. Bien sûr, France et Allemagne, Français et Allemands, en dépit du traité de l'Elysée, restent très différents dans leur organisation politique et dans leur psychologie collective. Mais, malgré tout ce qui nous sépare, force est de constater que la France et l'Allemagne ont un intérêt objectif à travailler ensemble à la consolidation de l'espace économique et monétaire européen. Nos deux économies représentent ensemble 50 % du PIB de la zone euro. Elles reposent l'une et l'autre sur un socle industriel assez fort, ce qui les distingue d'autres pays européens, notamment du Royaume-Uni. L'Allemagne a besoin du marché intérieur européen, et c'est grâce à l'euro qu'elle jouit d'un environnement économique stable. Quant à la France, elle a besoin de l'Europe et de l'euro pour garder l'influence politique qu'elle a toujours ambitionnée en Europe et au dehors ; elle lie donc son sort à une Europe forte, qui n'a pas de sens que si l'Allemagne y prête son concours. Enfin, nos deux pays ont une même vision d'une économie régulée, sociale de marché, qui s'oppose à une vision plus « anglo-saxonne ». Il faut donc une volonté partagée, une intimité forgée, des projets communs, une confiance retrouvée dans les domaines économique, budgétaire et financier, laquelle fait encore aujourd'hui défaut, dès que les tête-à-tête entre le Président et la Chancelière sont achevés – je suis moins inquiet par ce qui est dit du tempérament de l'un et de l'autre que par le fait que tout remonte à leur niveau, y compris une question comme celle du régime des ventes à découvert, ce qui pose le problème de la concertation technique qu'il nous faut entretenir avec l'Allemagne et qui doit dépasser le cadre de la coopération traditionnelle.

Au-delà de la nécessité du moteur franco-allemand, il faut capitaliser sur les progrès enregistrés ces derniers mois pour consolider l'Union économique et monétaire. L'idée d'une forme de fonds monétaire européen est une bonne chose. Il est important, à la suite de l'accord trouvé le 9 mai sur la création d'un Fonds européen de stabilité financière, d'activer ce mécanisme. Je suis heureux d'entendre dire qu'il pourrait servir à soutenir les banques – il ne s'agit pas d'aider les banquiers, mais si nous ne répondez pas aux interrogations des marchés sur la recapitalisation de certaines banques, vous entretenez l'idée de possibles risques systémiques dans le cadre de la zone euro.

Il faut aussi conserver les méthodes d'intervention des banques centrales, notamment de la BCE.

Enfin, il convient d'introduire de nouveaux modes de gouvernance. Des progrès en matière de surveillance budgétaire ont été actés lors du Conseil européen du 17 juin. Les États devront présenter, à partir de 2011, des programmes de stabilité et de convergence pour les années suivantes, dans le cadre d'un « semestre européen ». S'agissant de la coordination économique, les Vingt-sept ont souhaité qu'un tableau de bord permette de mieux évaluer l'évolution et les déséquilibres en matière de compétitivité et de déceler rapidement les tendances non viables ou dangereuses. De même, un cadre de surveillance efficace qui tienne compte de la situation particulière des États membres de la zone euro devra être mis en oeuvre.

Cette nouvelle gouvernance aurait tout intérêt à se développer d'abord dans la zone euro. Toutefois, l'essentiel de ce qui a trait à la régulation financière ne peut être réalisé que dans le cadre de l'Union à vingt-sept, car vous ne pouvez en discuter sans les Britanniques, qui représentent la première puissance financière en Europe. Sur ce débat des Seize et des Vingt-sept, je dirai, en reprenant une formule fameuse, que la Chancelière a sans doute juridiquement raison…

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