Comme un peu trop souvent lorsque nous parvenons à la fin d'un projet de loi, nous retrouvons des dispositions autorisant le Gouvernement à prendre des ordonnances pour traiter des questions économiques et, en l'espèce, au développement agricole.
Je m'exprime devant un ancien secrétaire d'État chargé de l'outre-mer, Yves Jégo, qui connaît parfaitement ces questions et sait quelle est l'ampleur des problématiques et des enjeux en la matière.
Lors de la discussion générale, nous avons entendu plusieurs parlementaires d'outre-mer évoquer très clairement la situation. Je tiens à indiquer à M. le ministre et à M. le rapporteur Michel Raison que nous ne nous plaçons pas sur une espèce de registre de complainte éternelle ou de demande toujours renouvelée de subsides. Nous ne revendiquons pas non plus une communautarisation fermée de la politique agricole et du développement économique de nos pays. Ceux-ci ont d'ailleurs surtout donné des exemples de dynamiques de développement impliquant leur environnement propre et s'inscrivant dans des relations essentielles – nées dans des circonstances sur lesquelles on ne reviendra pas – avec la France et l'Europe.
Tout au long de ce débat, j'ai indiqué que les questions que cet article 24 autorise à traiter par voie d'ordonnances ne sont qu'en nombre limité.
La première est celle du « rôle et [d]es missions des chambres d'agriculture afin de leur permettre une meilleure intervention dans le cadre du développement agricole et forestier ». Il s'agira donc d'accomplir un acte d'ordre purement structurel, organique, administratif.
Il s'agit en deuxième lieu d'assurer la préservation du foncier agricole. C'est déjà un enjeu important, que vous vous êtes engagé, monsieur le ministre, à examiner avec une attention particulière.
Il s'agit en troisième lieu d'adapter la composition et les compétences de la commission mentionnée à l'article 12, c'est-à-dire la commission départementale de la consommation des espaces agricoles. Je conteste déjà le terme de consommation. Que l'on nous épargne d'être « consommés » !
Il s'agit en quatrième lieu d'instituer une procédure de contrôle du morcellement des terres agricoles.
Il s'agit enfin d'adapter les dispositions des articles 19 à 21. Cela mérite peut-être davantage notre considération, même si je suis contre le principe des ordonnances. La question traitée est ici un peu plus large, puisque sont visés les articles relatifs à la politique de la pêche. Je me demande cependant pourquoi l'article 18 n'est pas retenu : c'est pourtant par lui que s'ouvre le chapitre du projet de loi relatif à la pêche.
J'aimerais que l'on me donne quelques explications.
Nous savons bien comment se passent les choses : ce n'est qu'à la fin d'un texte que le Gouvernement glisse les dispositions qui lui permettront de légiférer par ordonnances. Ainsi, on n'y voit que du feu ; il n'y a pas de débat et aucune dynamique ne se crée.
Vous me répondrez, comme tout à l'heure, monsieur le ministre, que tout le texte s'applique à l'outre-mer. Cependant, si tout le texte s'applique à l'outre-mer et que toute la partie du texte qui excède les points susceptibles d'être réglés par voie d'ordonnances est inadaptée à la réalité, comment voulez-vous que le texte s'applique à l'outre-mer ? Voilà qui est absurde ! Il existe en effet des domaines dans lesquels les dispositions de ce projet de loi sont inapplicables ou dans lesquels leur application ne saurait se faire sans incohérences.
Considérez-vous vraiment que la politique d'alimentation ait exactement la même valeur et le même sens outre-mer ? Ce serait faire fi des différences de climat, de culture de production, d'environnement qui existent entre le Languedoc et la Martinique. Je pense, au contraire, qu'une telle richesse, une telle diversité doivent être promues, et que la politique de l'alimentation ne peut être la même en outre-mer.
Pour ce qui est de la politique de sécurité climatique et sanitaire, un ancien ministre, M. Jean-Pierre Soisson, était présent au cours de ce débat. On lui doit l'une des dérogations qui ont permis l'emploi du képone, devenu par la suite chlordécone. La responsabilité d'une telle politique est donc tout de même relativement importante.
S'agissant des contrats, pour le dire franchement, je trouve que le dispositif retenu est une très bonne initiative. Il faudrait aller le plus loin possible dans cette direction, car il permettra certainement aux grandes firmes d'être en relation directe avec les producteurs. Cependant, il convient d'organiser en même temps des filières de production. Or croyez-vous que l'organisation de filières de production sur une île de 400 000 habitants se déroule de la même manière qu'ailleurs ? Ce n'est pas possible.
Une politique foncière adaptée sera nécessairement différente.
De même, la politique de la pêche doit tenir compte du fait que la pêche se caractérise en outre-mer par des schémas et des tailles de bateaux complètement différents de ceux caractéristiques de l'Europe. Surtout, ne produisant que 40 % à 50 % de ce que nous consommons, nous ne connaissons pas de situation de surproduction.
Une autre question est liée à la problématique globale concurrence. Vous avez vu ce qui s'est passé avec les accords andins : la France et l'Europe ont cautionné la signature d'accords avec deux pays d'Amérique du Sud, dont la Colombie. Cela a eu des conséquences graves, et pas seulement sur la banane, même si le lobbying de ce secteur tend à faire accroire que ces accords n'affectent que l'écoulement de la banane. De mon point de vue, ils affecteront toutes les productions martiniquaises, qui ont besoin de diversification.
Si la promotion de l'agriculture est essentielle, ce n'est pas seulement dans une perspective d'autosuffisance alimentaire, expression dont je suis d'ailleurs surpris, croyant qu'elle était tout à fait circonscrite idéologiquement, de constater le retour et l'emploi courant. Il s'agit non seulement de pouvoir consommer des produits autochtones mais aussi de donner à des productions diversifiées des moyens de recherche appliquée et des financements pour développer l'agroalimentaire, favoriser l'innovation et rechercher la performance.
En ce sens, un lien étroit doit être établi entre aménagement du territoire et promotion du développement touristique. Nous avons d'ailleurs beaucoup parlé de labels de qualité en matière de restauration.
Bref, il s'agit d'un vrai chantier.
Je vous demande simplement, si vous voulez donner un signe fort, à défaut d'une loi d'orientation traitant du développement de l'agriculture et de la pêche en outre-mer – j'ai bien noté que vous ne vouliez pas vous engager de la sorte, et je peux le comprendre –, d'adopter l'amendement n° 166 . Il vise à faire en sorte que le Gouvernement dépose sur le bureau des assemblées parlementaires un rapport déterminant les grandes orientations d'un projet de loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche spécifique à l'outre-mer. Cela permettrait de préparer une dynamique législative en faveur de ces pays, qui ne sont pas que des sites géopolitiques et qui, grâce à leur histoire, leur géographie, leur culture, leur richesse, peuvent s'assumer très directement.