Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, une fois n'est pas coutume, je vais d'abord partir de ce qui nous rassemble.
La situation de nos finances publiques est exceptionnellement grave, et il n'y a pas besoin d'accumuler les chiffres, deux ou trois suffisent : notre déficit public dépasse 8 % du PIB, du jamais vu depuis la fin de la guerre ; notre dette publique dépasse 80 % du PIB, processus que chacun imagine éminemment dangereux ; le déficit de l'État atteint 140 milliards, peut-être davantage, et celui de la sécurité sociale sera de 27 milliards en 2010.
Deuxième constat qui pourrait lui aussi nous rassembler : ce déficit n'est pas simplement le produit de la crise. Il l'est pour partie, à l'évidence, pour le tiers, selon la Cour des comptes ; je vous accorde 40 %. Cela signifie que tout le reste est un déficit structurel, qui est essentiellement apparu à partir de 2002, le gouvernement de Lionel Jospin ayant laissé, à la fin de 2001, un déficit à peine supérieur à 2 %.
Troisième constat : nous sommes sous la contrainte extérieure, celle des marchés. Ne le nions pas. Les deux tiers de notre dette sont souscrits par de l'épargne étrangère. Nous subissons donc la pression des marchés, qui, loin de diminuer, s'est encore exacerbée depuis la fin de la crise. Ces marchés que nous voulions les uns et les autres, de bonne foi, réguler sont aujourd'hui plus forts que les États.
Comment juger la politique que vous proposez à l'aune de ce triple constat : déficit, dette, contrainte extérieure ?
Le seul jugement que l'on puisse porter ne concerne pas votre objectif, car chacun ici est conscient qu'il faut réduire le déficit, pour des raisons à la fois de soutenabilité – à défaut de quoi les charges d'intérêt finiront par devenir le premier poste budgétaire du pays – et de souveraineté : nous voyons bien combien la pression des marchés sera forte, quel que soit le président élu en 2012, et peut-être même avant cette date.
Nous sommes également conscients qu'il suffira, même si nous sommes des gens responsables, qu'une agence de notation, un jour, une nuit, avant ou après 2012, dégrade notre note pour que la charge d'intérêts progresse à un rythme supérieur.
Votre plan est-il adapté aux circonstances ?
L'objectif, dites-vous, est un déficit de 3 % du PIB en 2013. Pouvons-nous atteindre cet objectif ? Je prendrai trois critères.
Est-il crédible de fixer 2013 comme année ultime pour que le déficit passe sous la barre des 3 % ? Regardons la croissance telle que vous l'imaginez : 2,5 % en 2011. On voudrait vous croire, y compris sur les bancs de la majorité ! Je veux bien admettre que, comme vous l'affirmez, les économistes de place ne vous contredisent pas, mais qui peut penser que nous attendrons 2,5 % de croissance en 2011 ?
Qui peut imaginer, surtout après les mesures que vous allez prendre, que la consommation des ménages en 2011 augmentera de près de 3 % ? Qui peut croire à une augmentation de l'investissement privé supérieure à 4 %, comme vous l'écrivez dans votre plan ? Qui peut imaginer que la contribution du commerce extérieur sera positive, alors que les deux tiers de nos échanges se font avec les pays de la zone euro et que l'influence de la parité sera donc nulle ?
Est-il crédible de penser limiter la dépense publique à 1 % en volume ? Est-il crédible de vouloir limiter les dépenses sociales de l'ONDAM à moins de 3 % ? Est-il crédible, de même, de penser que la réforme des retraites, sur laquelle nous pouvons avoir nos divergences, produira des effets en 2011 ? Nul ne le croit !
Je le dis donc ici, sans intention de charger encore le fardeau : nous n'atteindrons pas en 2013 l'objectif d'un déficit de 3 % de la richesse nationale.
Seconde question qu'il faut se poser : ce que vous proposez est-il juste ?
Est-il juste de considérer qu'il faudrait « raboter » – c'est le mot à la mode – 10 % des dépenses de fonctionnement et d'intervention ? C'est sans doute la méthode la plus simple, mais est-ce la plus efficace ? Il faudrait plutôt être sélectif, mais peut-être n'en a-t-on pas le temps. Je veux croire, quant à moi, que nous en avons encore la possibilité ; si nous ne sommes pas capables de faire le tri entre les dépenses utiles et celles qui le sont moins, entre les dépenses fiscales qui sont encore nécessaires et celles qui ne le sont plus, comment donner un sens, une cohérence à la politique que nous suivons ?
Vous envisagez de réduire les niches fiscales, et c'est tant mieux. Tant de niches ont été créées, notamment depuis 2002 : on en compte plus de 400, représentant 73 milliards ou 74 milliards d'euros, nul ne le sait. Or si vous rabotez les niches fiscales, annoncez aussi que vous allez augmenter les impôts. Cela se traduira en effet par davantage d'impôt sur le revenu pour nos concitoyens. Vous augmenterez donc l'impôt sur le revenu en 2011. Je ne vous en fais pas le reproche ; c'est la réalité.
Sur ces questions de fiscalité, vous êtes devant deux contradictions.
La première : au-delà de l'idéologie, comment expliquer à nos concitoyens qui bénéficient de niches fiscales que les seuls qui ne supporteront aucune conséquence de la diminution de ces niches, sont ceux qui sont abrités par le bouclier fiscal ? C'est impossible. Cela constitue un exercice que vous ne pourrez jamais faire, au plan pédagogique.
La seconde – mesure très difficile à assumer pour vous – c'est la baisse de la TVA à 5,5 % dans la restauration. Le ministre du budget a affirmé que l'on regarderait peut-être en 2012 ce qu'il faudra faire en la matière ainsi que pour d'autres taux réduits. Faites-le tout de suite ! Puisque vous vous apprêtez à demander des efforts, faites au moins en sorte que, sur une niche fiscale contestée, vous soyez en capacité de changer.
Enfin – c'est ma dernière question –, est-ce cohérent ? Ce que vous proposez s'inscrit-il dans une stratégie que chacun puisse comprendre ?
Il a été signalé avant moi que votre plan comporte des subterfuges, en particulier sur le remboursement de la dette sociale. Franchement, porter encore trois ou quatre ans le remboursement de la dette sociale, pour aller jusqu'en 2025, alors que nous avions convenu ici les uns et les autres – nous ne savions pas qui serait au gouvernement en 2007 – que, en cas de déficits, et il y en a, nous augmenterions la CRDS, impôt injuste, impôt sur tous les revenus ! Nous avions convenu de cela pour nous inciter à serrer la gestion de la sécurité sociale. Or que faites-vous ? Vous envoyez le pire des signaux, en renvoyant aux générations futures le soin de payer, non seulement pour leurs dépenses sociales, leurs retraites, leurs maladies, leurs familles, mais aussi pour les nôtres !
Au-delà du subterfuge, y a-t-il une cohérence entre ce qui a été dit en 2007 et ce que vous faites aujourd'hui ?
J'ai entendu M. Copé parler du travail. C'était effectivement le pari de 2007 ; on pouvait le contester mais il avait une certaine signification au moment où le Président de la République se présentait devant les Français. L'hypothèse d'une croissance, d'une activité, d'une offre de travail fortes était encore permise, mais qui peut affirmer aujourd'hui que le travail sera la condition pour sortir de la crise ?
À un certain moment, toujours très douloureux – nous l'avons connu nous aussi –, il faut dire que le monde a changé, que les circonstances ont changé, et il est indispensable de changer de politique. À défaut de quoi l'on n'est pas cru, donc pas suivi. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
En 2012, celui ou celle qui sera appelée aux responsabilités aura en héritage plus de dette et peut-être plus de déficit encore que ceux que nous connaissons aujourd'hui. Je souhaite donc vivement que nous ayons, au-delà de la question des dépenses – qu'il faut sans doute comprimer, et pas uniquement dans le budget de l'État –, un débat essentiel. Ce n'est pas de savoir si certains proposeront des augmentations d'impôts et les autres non, car nous serons de toute manière confrontés à des augmentations d'impôts. Le grand sujet – et c'est un sujet noble – sera de savoir si ces augmentations interviendront sur la TVA ou la CSG, comme certains le proposent au sein de la majorité, ou s'il doit y avoir une réforme des impôts directs.
Je prends donc date. Je considère qu'il n'y aura pas d'acceptation d'un nouveau plan de redressement de nos comptes publics sans réforme fiscale. Et il n'y aura pas de réforme fiscale acceptée par nos concitoyens si elle ne porte pas sur les impôts directs : CSG, impôt sur le revenu. À charge ensuite, pour la gauche et la droite, de se prononcer sur le niveau minimal d'imposition et sur la progressivité.
Un dernier mot : oui, madame la ministre, il faut de la confiance. Un redressement des finances publiques n'est pas possible sans confiance, confiance en l'avenir mais aussi en ceux qui gouvernent. Le problème auquel vous êtes confrontés aujourd'hui, c'est que non seulement les Français n'ont pas confiance dans l'avenir, dans l'environnement dans lequel ils vivent, mais qu'ils n'ont pas non plus confiance dans le Gouvernement. (Applaudissements prolongés sur les bancs du groupe SRC.)