La création du revenu de solidarité active, le RSA, est parti d'un constat : 7,9 millions de personnes vivent en France sous le seuil de pauvreté monétaire défini comme 60 % du revenu médian, ce qui correspond à 900 euros par mois environ. Il poursuit un double objectif : offrir un moyen d'existence convenable à toute personne privée de ressources et encourager la reprise d'emploi, en permettant que toute heure travaillée se traduise par un accroissement de revenus. Le RSA a été généralisé au 1er janvier dernier et, en ma qualité de Rapporteur spécial, j'ai conduit durant le premier semestre 2010 une évaluation de sa mise en place en me rendant dans quatre départements sélectionnés pour leur hétérogénéité.
Le premier enseignement est la lenteur de la montée en charge. En effet, au 31 décembre 2009, près de 1,7 million de foyers bénéficiaient du RSA, soit 2,6 % de la population, avec 1,2 million de bénéficiaires du RSA « socle », 400 000 foyers bénéficiaires du RSA « activité » seul et 175 000 bénéficiaires du RSA « socle » plus « activité ».
Cependant, les dernières évolutions montrent une accélération de la montée en charge du RSA « activité », avec une progression de 2,7 % en avril à 627 271 foyers bénéficiaires contre une augmentation de seulement 0,5 % du RSA « socle » à 1,149 million de foyers bénéficiaires.
Alors pourquoi cette lente montée en charge ? J'ai identifié un certain nombre de raisons. Tout d'abord, l'effet crise. En effet la crise économique a mécaniquement poussé à la hausse le nombre de bénéficiaires du RSA « socle » et a contrario, freiné la montée en charge du RSA « activité » faute d'offres d'emploi. Le RSA joue donc un rôle de stabilisateur automatique en amortissant la crise en période de récession et en accélérant la baisse du chômage une fois la croissance revenue. Une deuxième raison pourrait se trouver dans la complexité du dispositif, parfois pour un gain minime. Nous remarquons que la tranche haute des bénéficiaires potentiels du RSA ne s'est pas présentée. Il y a donc une réticence à s'inscrire dans une logique de contrôle pour un gain mensuel n'excédant pas 40 à 50 euros. En conséquence, l'absence de cette tranche de population a entraîné mécaniquement un RSA moyen plus élevé que prévu : 160 euros au lieu de 120. La troisième raison serait une volonté de se différencier des bénéficiaires de minima sociaux. La terminologie de « travailleur pauvre » est apparue dissuasive : de nombreux exemples montrent que ceux-ci ne souhaitent pas être assimilés aux bénéficiaires de minima sociaux. En revanche, la communication ne semble pas devoir être mise en cause, je veux sur ce point souligner l'exemplarité des agents des caisses d'allocations familiales qui ont fourni un travail tout à fait remarquable. Pour exemple, la CAF de Bobigny a vu au plus fort de l'année 2009 ses visitesjour culminer à 3 000 et a dû traiter 1,8 million d'appels téléphoniques en 2009 contre 1 million en 2008, ce quasi-doublement étant dû essentiellement au RSA. Cependant, ces contacts aboutissent moins d'une fois sur trois sur une prestation.
Et maintenant, que faire ? Tout d'abord la question s'est posée d'unifier les procédures. En effet, l'instruction des dossiers est souvent confiée à la caisse d'allocations familiales ou à la Mutualité sociale agricole – MSA -, mais aussi parfois au centre communal d'action sociale – CCAS - ou à des maisons de solidarité départementales – MSD - ; quant à l'orientation, elle est souvent du ressort des conseils généraux, mais parfois aussi des CCAS, des MSD ou même de Pôle emploi. Enfin, nous avons vu à Pau tous les acteurs réunis au sein de plateformes RSA. Je propose tout de même d'éviter une charte unifiant les pratiques, car son inconvénient serait de demander à nouveau aux acteurs de modifier leurs pratiques, et aux bénéficiaires potentiels de s'adapter à de nouvelles procédures.
La question s'est également posée de lutter contre la complexité du dispositif ; en effet, la différence entre RSA « socle », RSA « majoré » et RSA « activité » reste difficile à appréhender par les bénéficiaires. J'en veux pour exemple la prime de Noël réservée aux bénéficiaires du RSA « socle » et réclamée tout de même par les autres bénéficiaires. Je rappelle qu'en outre le RSA jeune entrera en vigueur le 1er septembre 2010 et devrait bénéficier à l'issue de la montée en charge à 160 000 personnes dont 120 000 ayant un emploi. Après réflexion il m'est apparu préférable de laisser du temps au temps afin de conserver au dispositif sa cohérence.
Par ailleurs, du point de vue strictement budgétaire, 582 millions d'euros ont été ouverts en loi de finances initiale en 2009 et 136 millions ont été annulés en fin d'exercice. Le produit de la taxe de 1,1 % sur le capital s'étant élevé à 800 millions d'euros – contre 1,3 milliard escompté initialement, cette somme a quasiment suffi à couvrir le service du RSA « activité ». En 2010 ce sont 1,684 milliard d'euros qui ont été ouverts en loi de finances initiale avec un ajustement prévu en fin d'année. Il me semble que l'on doit résister à la tentation de réduire le pic actuel de dépenses afin de permettre une montée en charge conforme à la nature de ce type de dispositif. À titre d'exemple, le RMI a mis presque 20 ans pour passer de 400 000 bénéficiaires en 1989 à 1,2 million en 2008.
Le RSA favorise-t-il la reprise d'emploi ? Moins d'un an après la généralisation et dans un contexte de marché de l'emploi difficile, il est bien trop tôt pour disposer des chiffres confirmant ou infirmant l'efficacité du RSA dans ce domaine. Toutefois, il me semble important d'éviter d'avoir trop systématiquement recours à des travailleurs sociaux pour accompagner les bénéficiaires. Pour s'inscrire dans une dynamique de travail, il serait bénéfique d'associer les chambres de commerce et d'industrie ou des métiers, et d'adapter les programmes de formation professionnelle. À ce titre, si l'on observe des départements très différents tels que les Pyrénées-Atlantiques, le Doubs et la Moselle, la règle des trois tiers est respectée : un tiers des bénéficiaires ont besoin d'un accompagnement strictement social, ce sont les plus éloignés de l'emploi, un bon tiers (40 à 45 %) sont confiés à Pôle emploi pour un accompagnement professionnel, et un petit tiers ont simplement besoin d'une levée des freins à l'emploi.
La question des droits connexes doit également être traitée. Le principe est que toute heure travaillée doit procurer un surcroît de rémunération. Cette règle souffre cependant d'exceptions liées à l'existence et au mode de calcul des droits connexes qui restent encore trop souvent associés à un statut. Il a été envisagé, afin d'éviter les indus et les rappels, de figer le calcul des droits et notamment des droits à l'aide personnalisée au logement sur une durée de 3 mois.
Enfin, une petite question s'est posée, celle de la gestion de l'Aide pour le retour à l'emploi (APRE). Il en existe deux : l'une gérée par Pôle emploi, et l'autre émanant de l'État est gérée tantôt par la préfecture, tantôt par le conseil général. Je propose d'unifier ce dispositif et de le confier à Pôle emploi qui connaît le mieux les publics concernés.
Une dernière grande question est celle des conseils généraux qui doivent faire face à l'effet de ciseaux des dépenses sociales.