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Intervention de Jean-Ludovic Silicani

Réunion du 3 novembre 2009 à 18h30
Commission des affaires économiques

Jean-Ludovic Silicani, président de l'ARCEP :

L'objectif de la proposition de loi répond à ce qui est une préoccupation de l'ARCEP depuis de nombreux mois. Dans la limite de nos compétences, nous estimons souhaitable que le déploiement des réseaux fixes et mobiles, haut débit et très haut débit, se fasse parallèlement, et non pas successivement selon la densité des zones. Il est inconcevable que la moitié de la population attende son tour. Plusieurs technologies permettent d'atteindre cet objectif : le THD fixe avec la fibre optique, le THD mobile grâce au dividende numérique, qui sera aussi un chantier essentiel pour l'ARCEP, au second semestre 2010. Il faut enfin traiter la question de la montée en débit : comment optimiser le HD lorsqu'il existe, mais plafonne dans certaines zones ?

Je voudrais consacrer cet exposé introductif au déploiement de la fibre optique. Je répondrai bien sûr ensuite à vos questions sur d'autres sujets.

Avec la loi du 4 août 2008 de modernisation de l'économie, le Parlement et le gouvernement ont eu le souci de faciliter et d'accélérer le déploiement des réseaux en fibre optique sur l'ensemble du territoire en assurant la meilleure sécurité juridique pour l'ensemble des acteurs. L'ARCEP partage pleinement cette préoccupation.

Il s'agissait, comme l'ont illustré parfaitement les débats parlementaires, de répondre à deux objectifs :

– coordonner les déploiements de fibre optique, notamment sur la propriété privée, afin de minimiser la gêne pour les copropriétaires et éviter des passages successifs des différents opérateurs comme cela a pu être le cas à l'étranger, notamment aux États-Unis ;

– permettre un accès effectif des différents opérateurs au réseau déployé dans les immeubles, afin de s'assurer que chaque propriétaire ou locataire puisse librement choisir son opérateur de communications électroniques.

C'est dans le cadre de ces principes que se sont inscrits les travaux conduits par l'ARCEP depuis l'automne 2008 (étude préalable, expérimentations sur le terrain par les opérateurs, consultation sur la base d'orientations, …). Ils ont abouti à la présentation d'orientations en avril 2009, puis à la rédaction d'un projet de décision, publié en juin, soumis à consultation, qui a reçu un avis très favorable de l'Autorité de la concurrence, et est actuellement en cours d'examen par la Commission européenne, qui devrait l'avaliser. Ce projet devrait ensuite être adopté par l'ARCEP puis publié après homologation par le Gouvernement d'ici la fin de l'année. Ce projet de décision concerne, à titre principal, le déploiement terminal des réseaux de fibre optique dans les zones les plus denses. L'ARCEP travaille parallèlement, avec les pouvoirs publics, au déploiement de la fibre optique dans les zones moins denses. J'y reviendrai.

Je voudrais rappeler à cette occasion qu'en général la régulation du secteur des communications électroniques est asymétrique, c'est-à-dire qu'elle s'applique à un opérateur désigné « puissant » ou « dominant » : c'est le cas en droit de la concurrence, et c'est également le cas de la régulation sectorielle, effectuée par l'ARCEP, qui ne porte désormais que sur un nombre limité de marchés de gros ; cette régulation asymétrique s'applique à France Télécom, compte tenu de sa position structurelle comme unique opérateur de boucle locale en cuivre.

Nous sommes ici dans un contexte nouveau, celui du déploiement d'une nouvelle boucle locale en fibre optique permettant l'accès au très haut débit. Il ne s'agit pas dans ce contexte, et à ce stade, de mettre en oeuvre une régulation asymétrique, qui pèserait sur un opérateur dominant, mais au contraire une régulation symétrique, c'est-à-dire de fixer ou de rappeler ex ante un corpus minimal de règles du jeu, afin de donner de la visibilité aux acteurs, ce qu'ils demandent.

Je rappellerai que l'on distingue les technologies horizontales, qui permettent de relier les immeubles aux réseaux, et les technologies verticales, pour fibrer les appartements. Ces deux catégories de technologies sont indépendantes les unes des autres.

Au cours des travaux conduits avec les opérateurs, il est apparu que deux architectures peuvent être utilisées pour les déploiements horizontaux : le GPON et le point-à-point. Par ailleurs, deux solutions sont également susceptibles d'être mises en oeuvre pour les déploiements verticaux de la fibre (dans les immeubles) : le monofibre et le multifibres. Les travaux menés ont montré que, pour garantir l'accès effectif des opérateurs tiers, et dans un souci de respecter la neutralité technologique, qui est un principe fondamental du code, il convenait de permettre à tous les opérateurs de déployer leur propre technologie, sur la partie horizontale du réseau bien sûr, mais également sur la partie verticale, à condition qu'ils en financent les coûts. L'ARCEP tient absolument à respecter le principe de la neutralité technologique, et est donc plus nuancée que l'Union internationale des télécommunications (UIT), la Commission européenne, ou l'Autorité de la concurrence, qui préconisent, elles, le développement du multifibre.

Ce qui est essentiel c'est que l'opérateur d'immeuble ne puisse imposer aux opérateurs tiers sa propre technologie : ainsi, Free ne doit pas imposer sa technologie de fibre dédiée à France Télécom, et France Télécom ne doit pas imposer sa technologie de fibre partagée à Free. Il ne s'agit donc pas de prendre position pour ou contre le mono-fibre, ou pour ou contre le multifibres, mais de permettre aux deux principales architectures, qui peuvent chacune avoir leurs avantages et inconvénients, de se déployer : en résumé, le monofibre est un peu moins coûteux à l'investissement mais davantage en fonctionnement ; la pose de fibres surnuméraires est plus souple et plus évolutive en termes d'usage.

Le troisième objectif est la condition même de la réalisation des deux autres : c'est le financement du co-investissement, c'est-à-dire de la mutualisation de l'investissement, qui doit être réalisé dans des conditions à la fois stimulantes et équitables. Afin que ces conditions soient stimulantes, il doit y avoir préfinancement. Rappelons tout d'abord que le projet de cadre juridique de l'ARCEP prévoit que tous les opérateurs intéressés pourront participer au fibrage d'un même immeuble au même moment. Aujourd'hui d'ailleurs, les opérateurs travaillent déjà ensemble, notamment dans le cadre des groupes mis en place par l'ARCEP, pour élaborer leurs offres d'accès. Les conflits entre opérateurs mis en avant par certains sont donc loin d'être avérés : j'ai d'ailleurs moi-même pu constater lors de visites de caves d'immeubles à Paris ou ailleurs que les équipes opérationnelles, qui sont en train de préparer les plans de fibrage d'immeubles, travaillaient ensemble sur le terrain. Les opérateurs se sont mis d'accord sur les technologies - sachant que quels que soient leurs choix, ces technologies sont compatibles - et ils sont en train de préparer ensemble leurs offres d'accès afin de s'assurer qu'elles aboutissent à un partage équitable des coûts, conformément au projet de cadre juridique de l'ARCEP. Un partage équitable des coûts dans le cadre d'un co-investissement implique également un préfinancement (par l'opérateur tiers intéressé au fibrage d'un immeuble en même temps que l'opérateur d'immeuble) des travaux correspondant au choix de la technologie qu'il a fait, par exemple de la fibre surnuméraire ou des boîtiers de brassage dont il souhaite disposer. Ce système repose donc sur un partage des coûts équitable mais aussi sur un préfinancement des surcoûts. On obtient ainsi un effet de catalyseur pour l'investissement, l'opérateur d'immeuble disposant à la fois de son budget d'investissement et du préfinancement des opérateurs tiers. Parallèlement, les coûts sont évidemment partagés selon les principes de causalité, d'efficacité, de non-discrimination et d'équité qui sont pertinents en matière d'accès conformément au code des postes et des communications électroniques.

Pour en arriver là, l'ARCEP a fourni un très gros travail avec les opérateurs et les experts, des discussions ont eu lieu pendant une bonne partie de l'été, notamment avec France Télécom au mois de juillet, afin de tenir compte de ses préoccupations concernant le projet de cadre juridique qui avait été publié en juin. C'est à la suite de ces entretiens que la direction des affaires réglementaires de France Télécom a donné formellement et publiquement son accord fin septembre. Je m'en suis encore entretenu hier encore avec Stéphane Richard et Jean-Yves Larrouturou. Nous sommes donc parvenus à l'élaboration d'un cadre juridique qui semble à la fois bien correspondre à la mise en oeuvre des objectifs de la loi et susciter un consensus le plus large possible des opérateurs qui vont effectivement déployer ce réseau. Sous réserve de l'avis de la Commission européenne, ce projet de cadre juridique pourrait entrer en vigueur en décembre et, dans la foulée, les opérateurs pourraient rendre publiques leurs offres de service dans un cadre juridique rénové, conformément à leurs souhaits.

Ainsi, en janvier, nous devrions disposer d'un cadre juridique clair et opérationnel pour lancer les investissements en zone 1, ce qui permettra d'enclencher le cercle vertueux des investissements en diminuant le coût des commandes passées aux équipementiers. La fibre n'a en effet pas le même coût, si l'on en commande 100 000 ou 1 000 000. On peut donc penser de façon raisonnablement optimiste que 2010 sera l'année du démarrage de la fibre optique en zone 1. En zone 3, la situation est simple puisqu'il s'agit de territoires dans lesquels l'investissement privé n'est pas rentable : il n'y a a priori de place que pour un investissement public, un investissement subventionné par les collectivités territoriales et peut-être demain par l'État si une partie du grand emprunt vient abonder le fonds créé dans la proposition de loi de M. Xavier Pintat. La zone 2 est une zone intermédiaire dans laquelle la situation est plus délicate à appréhender. Il est en effet rentable d'y déployer des réseaux mais de façon mutualisée : plusieurs opérateurs ne peuvent pas déployer des réseaux concurremment car la densité est insuffisante pour que la concurrence par les infrastructures puisse s'exercer complètement. En revanche, la mise en place d'un réseau mutualisé, ouvert à tous et qui puisse être loué par tous les opérateurs dans des conditions non discriminatoires et garantissant un accès équitable, est envisageable. Le Gouvernement s'attache actuellement à convaincre les opérateurs et les collectivités territoriales de participer au financement d'un plan d'investissement en zone 2 qui permette un degré de mutualisation suffisant pour que son coût ne soit pas excessif. Si les travaux initiés par les pouvoirs publics aboutissent dans les prochains mois, nous disposerions, dans le cadre de la proposition de loi de M. Xavier Pintat qui prévoit la création de schémas directeurs et d'un fonds destiné à soutenir les projets dans les zones moins denses, de tous les outils juridiques pour engager, parallèlement, le fibrage en zone 1 et 2, voire en zone 3 grâce au fonds de soutien à l'investissement numérique du territoire.

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