Monsieur le président, monsieur le ministre, une nouvelle fois le monde agricole est en crise, une crise, hélas ! durable, structurelle et généralisée. Les chiffres l'attestent : la baisse des revenus des agriculteurs a atteint en moyenne, toutes filières confondues, 32 %. Nos producteurs se voient offrir aujourd'hui des prix d'achat inférieurs au coût de revient de leurs produits, sans que le consommateur en bénéficie pour autant. Alors que le chiffre d'affaires de l'industrie agroalimentaire a atteint 138 milliards d'euros en 2007, nos exportations ont chuté de 20 %, ce qui représente une perte de trois milliards d'euros. L'Allemagne et certains pays de l'Est récupèrent ces parts de marché.
Dans le même temps, les surfaces cultivées baissent régulièrement : en soixante ans, la France a perdu près de cinq millions d'hectares de surfaces agricoles, soit 8 500 hectares par mois. Dans mon département, l'Eure, si cher à notre ministre, 4 400 hectares ont disparu en quinze ans. Par ailleurs, le secteur agricole emploie aujourd'hui 750 000 personnes, contre deux millions il y a trente ans. La diminution corrélative du nombre des exploitations au niveau national, qui était de 19 300 par an, s'est brutalement accélérée depuis 2005, pour passer à 30 000 disparitions annuelles.
Ce bilan dramatique, qui n'est pas exhaustif, laisse entrevoir la souffrance de nos agriculteurs. Bien entendu, personne n'ignore qu'une partie des réponses relève de l'Union européenne. Mais si l'Europe avait initialement une politique agricole ambitieuse, force est de constater qu'elle s'est peu à peu détournée de cette priorité, en en laissant aux États membres la gestion courante. Il faut donc, et je sais que le ministre s'y emploie quotidiennement, revaloriser l'agriculture au niveau européen et convaincre le Parlement et la Commission des opportunités que peut offrir une agriculture européenne ambitieuse et innovante, face à la concurrence effrénée que lui livrent notamment les pays émergents.
J'en viens au projet de loi lui-même. Fondé sur la notion de politique publique de l'alimentation, il permet de développer une approche suffisamment transversale des problématiques soulevées. Le cap que vous souhaitez donner à l'agriculture française, monsieur le ministre, permettra non seulement de répondre au défi de l'alimentation de la population française, mais également de préparer avenir. En effet, la FAO estime qu'en 2050, si l'hypothèse démographique se vérifie, il faudra augmenter la production agricole mondiale de près de 70 %, pour répondre aux besoins de neuf milliards d'habitants. Nous devons donc assumer le choix d'une agriculture de qualité, laquelle a un coût, auquel doit correspondre un prix juste et rémunérateur.
Le titre Ier du projet de loi permet de définir une véritable politique de l'alimentation en France. Le développement des circuits courts favorisera le rapprochement du producteur et du consommateur, tout en respectant les critères du développement durable. Il faut remettre les agriculteurs au centre du jeu, en mettant en oeuvre les dispositifs nécessaires pour que leur travail puisse leur garantir un revenu stable. Une meilleure organisation des producteurs permettra indéniablement de mieux peser dans les négociations commerciales. Toutefois, il faudra éviter toute sectorisation excessive qui pourrait amoindrir la portée de l'article 3. La mise en place des filières et des contractants n'aura de sens qu'à partir du moment où l'observatoire des prix et des marges pourra travailler dans la plus grande transparence.
La compétitivité des agriculteurs est essentielle dans une économie mondialisée. Le monde agricole a l'habitude de la concurrence. Il faut lui donner les moyens de ses ambitions. À ce propos, le principe de la réassurance de l'agriculture représente un changement extrêmement important : les agriculteurs ne peuvent plus être soumis en permanence aux aléas climatiques, avec pour seul dispositif assurantiel le fonds de garantie des calamités agricoles. Il faudra néanmoins veiller à ce que le niveau de déclenchement de l'intervention de la réassurance publique soit satisfaisant.
Par ailleurs, je tiens à souligner l'importance de la préservation des terres agricoles. La protection du foncier agricole est devenue aujourd'hui un enjeu majeur. Les chiffres sont connus de tous, mais il est toujours bon de rappeler que pas moins de deux cents hectares de terres agricoles disparaissent chaque jour en France, soit l'équivalent d'un département français au cours des dix dernières années. C'est considérable et cela mérite réflexion.
Ce phénomène s'explique par plusieurs facteurs, notamment par l'absence d'une stratégie globale d'aménagement de l'espace. Pourtant, les outils juridiques existent, qu'il s'agisse des SCOT ou des plans départementaux d'aménagement rural. Nous ne pouvons poursuivre cette consommation dramatique des espaces naturels sans réagir. Il faut donc anticiper et faire preuve d'une grande pédagogie.
On peut comprendre le souhait des agriculteurs de vendre leurs terres à bon prix, afin d'améliorer leur retraite, inexistante ou insuffisante. Mais, aujourd'hui, les jeunes qui souhaitent s'installer ne le peuvent pas, en raison de la rareté et du prix du foncier agricole. Il faut donc se féliciter que l'article 13 institue une taxe sur les cessions, dont le produit sera consacré à l'installation des jeunes agriculteurs, même si l'on peut regretter son taux soit fixé à 10 %, car ce sera certainement insuffisant.
Monsieur le ministre, après l'appel de Paris, le 19 décembre dernier, où vous avez exhorté l'Union européenne à rester fidèle aux objectifs de la PAC tels qu'inscrits dans les traités, vous nous proposez un projet de loi ambitieux pour sauver notre agriculture. Nous soutiendrons ce projet, qui devra impérativement redonner à notre agriculture une partie de l'oxygène dont elle a besoin.
N'oublions jamais, mes chers collègues, que notre responsabilité est immense. Nos enfants hériteront de la terre que nous leur laisserons. Les Français aiment leurs agriculteurs et nous le démontrent chaque jour. Montrons-leur une image d'unité nationale pour leur manifester notre soutien. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)