Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes tous très inquiets pour l'avenir du monde agricole. Cette inquiétude tient d'abord à l'extrême incertitude de beaucoup d'agriculteurs quant à l'avenir de leurs exploitations, compte tenu, en premier lieu, de la disparition de mécanismes de régulation, de la grande volatilité des prix – notamment depuis deux ans –, du poids des charges résultant, en particulier pour les jeunes exploitants, des investissements liés à l'éco-conditionnalité et dont la rentabilisation devient très difficile.
Le deuxième facteur est la dispersion accélérée de certaines catégories de producteurs. Il est beaucoup question, dans le texte, des organisations de producteurs et des interprofessions ; de fait, les situations sont très contrastées. Je suis élu dans un département où tous les types de production agricole sont représentés. Si la viticulture ou l'élevage de volailles, par exemple, sont par nature des secteurs très organisés, pour d'autres, la dispersion s'aggrave dramatiquement : je pense notamment aux producteurs de lait et à certains éleveurs, confrontés à une grande distribution dont on n'a jamais réussi à maîtriser la puissance, en particulier dans les rapports inégaux qu'elle entretient avec les producteurs.
Troisième facteur : la banalisation des filières. Autrefois, des exploitants compensaient les difficultés d'une filière par la réussite d'autres filières, traditionnellement plus fortes. Aujourd'hui, avec la dérégulation, toutes les filières sont dans des situations à peu près comparables.
Une telle situation est paradoxale au regard des besoins alimentaires du monde, des exigences de sécurité s'agissant de l'origine et de la qualité des produits, des atouts de l'Europe dans une compétition internationale en perpétuelle évolution, et de ce que devrait être le caractère stratégique de l'agriculture pour l'Union européenne.
Que pouviez-vous faire dans ce contexte, monsieur le ministre ? Votre texte a un mérite : complété par un certain nombre d'amendements parlementaires, il va aussi loin qu'il est possible dans le sens où nous souhaiterions que s'oriente demain l'Union européenne. Telle est, me semble-t-il, la démarche de fond qui vous a inspiré et que l'on retrouve dans l'accent mis sur la contractualisation, le renforcement des interprofessions avec les indices de tendances de marché – modestes substituts aux éléments de prix –, le regroupement des producteurs et la gestion des aléas. Mais l'on voit aussi les limites de ce projet de loi : sur la question des prix, il faut sans doute regretter l'intervention de la direction générale de la concurrence – c'est elle qui, il y a quelques mois, a contribué à aggraver les difficultés de la filière laitière. Je pense aussi aux coûts de main-d'oeuvre, sur lesquels nous ne sommes plus seulement concurrencés par les pays du Sud, mais aussi, par exemple, par l'Allemagne, en particulier pour les fruits et légumes. L'Allemagne respecte-t-elle vraiment les règles ? La question mérite tout de même d'être posée. Ne faudrait-il pas reconsidérer l'assiette de nos cotisations sociales, au moins pour certaines catégories de production ? Cela dit, je sais bien que ces questions dépassent de loin le champ du projet de loi.
Vous me permettrez aussi d'évoquer, car c'est un sujet auquel vous fûtes sensible en d'autres temps, la question des retraites agricoles : si elle ne dépend plus de votre ministère, elle reste un élément de contexte du projet de loi.
La vraie question est en réalité de savoir quelle sera la réponse de l'Europe sur tous ces sujets, sur lesquels vous vous efforcez, monsieur le ministre, de progresser. Ce texte, d'une certaine façon, traduit une prise de position avant les futures négociations sur la PAC en 2013.
Il faut souhaiter que, lors de la négociation de la PAC et de son avenir, vous alliez bien au-delà des positions qu'exprime ce texte. En effet, dans cette nouvelle PAC, il faudra évidemment s'orienter vers une simplification bien plus poussée, notamment par la remise en cause des droits historiques.
Si nous voulons conserver une agriculture en Europe, nous devons continuer de défendre la préférence communautaire, c'est-à-dire à la fois l'indépendance alimentaire et une répartition équilibrée, sur tout le territoire, des activités agricoles. Nous devons également parvenir à préserver une part minimale de négociation et, au moins, des mécanismes d'intervention.
Monsieur le ministre, pourriez-vous nous indiquer – car c'est le plus important – dans quel esprit et avec quels espoirs vous abordez cette négociation de l'après-PAC, prévue en 2013, et quelles sont vos chances de voir alors se concrétiser les jalons que vous posez aujourd'hui par l'intermédiaire de ce projet de loi ?
Je souhaite enfin évoquer brièvement un sujet à propos duquel j'ai déposé des amendements sur lesquels nous reviendrons, mais que je sais imparfaits. Il s'agit du problème des conflits de voisinage, récurrent dans plusieurs régions.
Dans notre nouveau monde rural, les agriculteurs sont tout à fait minoritaires ; ils partagent du reste de plus en plus souvent les aspirations et les préoccupations de ceux que l'on appelle les néo-ruraux. Cependant, nous devons absolument trouver un dispositif qui protège les exploitants agricoles des recours dont ils font régulièrement l'objet de la part de personnes venues s'installer alors qu'ils pratiquaient déjà une activité de culture ou d'élevage.
La solution pourrait venir soit du code civil, soit de chartes de territoire auxquelles devraient adhérer les nouveaux arrivants, soit de conventions conclues devant un notaire. On limiterait ainsi, autant que possible, ce type de contentieux, qui empoisonne la vie des agriculteurs et entrave le développement des activités dans le monde rural.
Telles sont les observations dont je voulais vous faire part. Monsieur le ministre, ce projet est une tentative pour aller de l'avant, mais il n'aura de sens que si les pistes que vous y ouvrez sont confirmées par nos discussions sur l'avenir de la PAC au niveau de l'Union européenne.