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Intervention de Victorin Lurel

Réunion du 30 juin 2010 à 21h30
Modernisation de l'agriculture et de la pêche — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaVictorin Lurel :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j'ai été directeur de chambre d'agriculture pendant une quinzaine d'années : c'était en 1980. Trente ans plus tard revient la même ritournelle, la même antienne : une loi d'orientation spécifique aux outre-mer est indispensable. Ce projet de loi dit de « modernisation agricole » repose, je l'avoue, sur de bons principes et sur un constat apparemment incontestable ; il affirme aussi une ambition légitime.

Le constat, c'est celui d'une agriculture française qui ne peut plus ignorer son environnement, qui doit s'adapter aux contraintes de la mondialisation et prendre en compte les exigences et les promesses de l'innovation scientifique et technologique, la compétition commerciale et les changements des goûts et des modes de consommation. Prendre une conscience renouvelée de ces changements et de ces contraintes est de bonne politique et participe même du réalisme qui doit nécessairement présider à l'exercice du pouvoir. Le projet de loi affirme une ambition légitime en ce qu'il tente d'adapter nos textes à une réalité mouvante, à anticiper des évolutions et à rénover notre modèle agricole. Il y aurait pourtant beaucoup à dire sur les écarts entre les promesses et les ambitions, et sur le rendu qui est fait de ce projet, qui reste en effet très largement en deçà des attentes des élus et des milieux socioprofessionnels.

Mais là où la déception et la lassitude sont grandes, c'est précisément dans les outre-mer. Je le répète, cela fait trente ans que nous attendons, trente ans, à chaque fois que nous évoquons nos réalités, que l'on nous renvoie à des ordonnances qui ne viennent jamais. À l'instar de la soeur Anne dans ce conte de Perrault que j'avais appris dans ma jeunesse, cela fait trente ans que nous scrutons l'horizon politique et agricole, et que ne voyons rien venir. Ce texte est un déni, et même une sorte de péché contre l'esprit de nos institutions. Une fois de plus, vous revenez devant la représentation nationale en renvoyant à des ordonnances. Il y a là un impensé gouvernemental qui montre que vous ne connaissez pas nos réalités, ou que vos services n'ont pas fait l'effort de formaliser ce qu'ils en savent pour répondre à nos attentes et à nos aspirations.

Vous pardonnerez à l'ancien directeur de chambre d'agriculture, aujourd'hui président de région, de le dire : je ne comprends pas cette méthode qui consiste à renvoyer à des ordonnances, lesquelles porteront d'ailleurs sur quatre petits sujets. Croyez-vous vraiment, monsieur le ministre, que le développement agricole de nos régions dépendra de l'organisation interne des chambres d'agriculture, que vous entendez réformer ? Croyez-vous, de même, que notre modèle de développement et notre avenir agricole dépendront de cette commission chargée de statuer sur la destination des terres agricoles déclassées, même s'il s'agit d'une demande que nous faisons depuis longtemps ? Je n'oublierai jamais que l'on voulait adapter à nos réalités le modèle d'exploitation agricole à responsabilité familiale à deux unités de travail humain. Tout ce corpus, que dis-je, ce massif, ce monument politique, juridique et réglementaire conçu pour des pays à hivers, vous entendez, moyennant quelques ajustements marginaux, l'adapter à des pays au climat tropical…

Votre prédécesseur, M. Bussereau, m'avait personnellement demandé de faire preuve de patience, me promettant une future loi d'orientation agricole. On nous a bassinés, passez-moi l'expression, avec la loi Pisani dans les années soixante et, plus récemment avec la loi de 2006 : attendez, soyez patients, nous formaliserons tous ces problèmes, nous a-t-on promis. Mais rien n'est venu, sinon ces quatre petites propositions reléguées à la fin de votre texte, sur l'aquaculture, la pêche marine, l'organisation des chambres d'agriculture et la transmission des terres agricoles. Tout cela n'est pas sérieux, monsieur le ministre.

Je crois sincèrement en votre bonne volonté ; je trouve que vous défendez bien les intérêts de la France dans le monde, et en particulier à Bruxelles ; mais vous oubliez que nous aussi sommes des territoires de la République, qui ont besoin de textes adaptés. En d'autres termes, il faut une loi d'orientation agricole, un modèle spécifique pour nos pays sans hiver. Vous avez la possibilité, aujourd'hui, de vous engager solennellement à installer, dans les six mois qui viennent, une mission de codification des milliers de textes dispersés dans le code de l'environnement, le code rural, le code forestier ou le code de l'urbanisme. Cette codification pourrait se faire à droit constant ; ce serait déjà une avancée considérable. Faites-le ! Nous avons par ailleurs engrangé suffisamment d'idées pour concevoir une loi d'orientation agricole spécifique : demandez à toutes les professions ! Je vous le dis depuis longtemps.

Je conclurai en évoquant deux défis majeurs, parmi tant d'autres évoqués par Louis-Joseph Manscour, Huguette Bello et plusieurs orateurs de notre groupe comme de la majorité. Le premier défi concerne le chlordécone, au sujet duquel une étude vient d'être publiée après des années de recherche. Le président Ollier, qui me regarde, a écrit un rapport pragmatique, assorti de propositions. Un deuxième plan pour 2010-2013 est par ailleurs attendu, mais ce n'est pas suffisant. On a même rogné sur les crédits – les 36 millions d'euros sur trois ans… Or l'étude du professeur Multigner et du professeur Blanchet vient d'être publiée : elle affirme qu'il existe un lien fort entre la présence de chlordécone dans le sang et le cancer de la prostate. On a aussi découvert que nos compatriotes ayant vécu en métropole, lorsqu'ils rentrent au pays, sont plus exposés que les populations ayant conservé un mode d'alimentation traditionnel. Vous le voyez, lorsque l'alimentation traditionnelle est remise en cause, c'est tout un pan d'une culture qui s'en va. Je vous demande, monsieur le ministre, d'en tenir compte, et de ne pas renvoyer à des mesures un peu cosmétiques qui ne répondent pas aux attentes des professionnels.

J'en viens au second défi, et je vous remercie du courrier que vous avez adressé aux députés d'outre-mer qui vous ont écrit, comme je remercie, d'ailleurs, le Président de la République, qui a parlé de mesures de compensation. Quel sens y a-t-il à baisser la garde devant les multinationales américaines et la banane dollar, et à passer des accords bilatéraux avec la Colombie et le Pérou, ouvrant ainsi le marché au détriment de toutes nos productions – et de celles de l'agriculture hexagonale –, pour d'hypothétiques profits qui résulteraient de nos exportations industrielles en Amérique latine ? Du fait de cette ouverture, nos économies sont désormais exposées. Et les compensations ? Nous les attendons, et présenterons plusieurs amendements en ce sens. Elles ont été promises par le Président de la République aux députés de l'outre-mer, et d'ailleurs à d'autres députés de la nation ; j'espère donc qu'elles verront le jour, car elles ne figurent pas dans votre projet de loi.

Ce n'est pas un opposant qui vous parle, mais un homme qui éprouve de l'amertume, et qui attend de votre part des engagements encore plus forts, des engagements tenus. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

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