La question se pose avec beaucoup plus d'acuité outre-mer. Comme vous le savez, l'agriculture de ces régions souffre de nombreux handicaps – sécheresses répétées, cyclones fréquents, pollution à la chlordécone, qui a eu des conséquences incommensurables sur la santé de nos populations – et surtout d'un important retard de développement. Or elle se trouve une fois de plus reléguée à quelques allusions générales en fin de texte, et c'est vraiment dommage. Vous me direz que l'agriculture ultramarine fait partie de l'agriculture française et que les mesures nationales s'appliquent aux départements d'outre-mer. Certes, mais cette agriculture a également des spécificités importantes, dont il convient de tenir compte et qui nécessitent des mesures particulières.
D'ailleurs, l'un de vos prédécesseurs, M. Dominique Bussereau, s'était engagé à élaborer une loi d'orientation agricole spécifique à l'outre-mer ; six ans après, nous l'attendons toujours ! Vous avez affirmé vouloir faire de l'agriculture l'un des temps forts des états généraux de l'outre-mer. Le Président de la République s'est également engagé à faire en sorte que cette agriculture retrouve toute sa place, notamment par le biais de la diversification. Des propositions ont été formulées par les acteurs des différentes filières.
En dépit de vos bonnes intentions, il n'y a rien dans le texte qui tienne compte de ces engagements et qui soit de nature à répondre aux spécificités de l'agriculture outre-mer. Rien de ce que vous proposez ne permet l'émergence d'une agriculture durable. Bien plus, votre gouvernement prévoit de traiter les problématiques relatives à l'outre-mer par voie d'ordonnance, à l'écart de tout débat parlementaire, comme c'est le cas aujourd'hui. L'agriculture ultramarine, me semble-t-il, mérite mieux.
Je souhaite attirer brièvement votre attention sur quelques points qui me paraissent importants si nous voulons une agriculture performante qui permette aux agriculteurs de vivre décemment de leur production.
Il s'agit, tout d'abord, du foncier agricole. Ce problème n'est certes pas propre à l'outre-mer, je le conçois. Mais il est décuplé dans nos départements du fait de l'étroitesse de leurs territoires et de leur insularité.
L'agriculture de nos régions, qui a prospéré par le passé, n'arrive pas à sortir du modèle agro-exportateur. L'urbanisation de nos territoires exerce une pression croissante sur les espaces agricoles. Pour la seule Martinique, la surface agricole utile est ainsi passée de 51 000 hectares en 1970 à 26 000 en 2007.
La traditionnelle filière canne-sucre-rhum n'est pas épargnée. Les difficultés climatiques, environnementales et sociales, ajoutées au système de versement inefficace de « l'aide à la balance » tripartite, État-région-département, n'en font pas un secteur dynamique et attractif pour nos jeunes planteurs. Les rendements agricoles baissent de près de 10 %. Et si la production de rhum parvient à se maintenir, son développement est bloqué par le système contingentaire.
Le vieillissement de la population agricole martiniquaise s'accentue. Il est donc nécessaire de mettre en place des mesures favorisant l'installation de nouveaux agriculteurs issus de centres de formation.
Je pourrais également évoquer la question de l'accompagnement financier pour le montage des CUMA dans l'agriculture vivrière, celle de l'aide au désenclavement, les difficultés de la filière pêche, largement développées par notre collègue Annick Le Loch, ou encore l'élevage, victime d'une importation croissante. Tous ces aspects ne trouvent pas, dans votre projet de loi de modernisation, les réponses attendues.
Je souhaite enfin évoquer l'accord de libre-échange entre l'Union européenne, la Colombie et le Pérou, qui porte sur des produits particulièrement sensibles pour l'avenir des régions d'outre-mer, tels que la banane, le sucre et le rhum. Cet accord est un nouveau coup dur porté à notre agriculture, pourtant déjà si fragilisée, et notamment à la banane antillaise, qui a déjà dû se relever du passage du cyclone Dean. Face à cette décision de la Commission européenne, l'outre-mer éprouve comme un sentiment d'abandon.
En conclusion, monsieur le ministre, je dirai que votre projet de loi est loin de cette véritable révolution pour gagner en compétitivité dont vous nous parlez. Vous comprendrez donc que nous appelions toujours de nos voeux une loi d'orientation spécifique aux outre-mer, seule capable de relever les défis qui se présentent à nous. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)