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Intervention de Alfred Marie-Jeanne

Réunion du 30 juin 2010 à 15h00
Modernisation de l'agriculture et de la pêche — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAlfred Marie-Jeanne :

Monsieur le le ministre, les récentes émeutes de la faim dans le monde, la dilapidation du foncier agricole, l'arrachage des plantes alimentaires de subsistance et leur remplacement par des productions spéculatives, l'exploitation intensive des ressources halieutiques, la déforestation inconsidérée sont les preuves patentes d'un productivisme outrancier. Il est temps de corriger le tir.

Le projet de loi sur la modernisation de l'agriculture et de la pêche, pour louable qu'il soit, apporte-t-il les réponses appropriées ? En ce qui concerne la Martinique, je pense que nous sommes loin du compte. Pour être viable, la modernisation ne saurait se cantonner à ces deux secteurs tant les choses sont compartimentées, tant les obstacles à surmonter sont nombreux, tant les remises en cause sont nécessaires.

J'en veux pour preuve que la Martinique est devenue de plus en plus dépendante de l'extérieur pour ses moindres approvisionnements – sans doute par un fait exprès. En un mot, c'est l'import qui domine et qui étouffe en grande partie l'embryon de développement endogène, malgré les efforts persistants déployés par ailleurs en ce domaine. C'est une lutte sans merci pour atteindre les objectifs fixés. Les chiffres parlent d'eux-mêmes. La Martinique, qui regorge de fruits, en importe plus de 75 %. Ce taux d'importation est de plus de 80 % pour la viande porcine et bovine, plus de 90 % pour la volaille, plus de 95 % pour la viande ovine et caprine, au moins 50 % pour les produits de la pêche. Cet énoncé non exhaustif démontre qu'il y a largement place pour un développement endogène de qualité, générateur d'emplois pérennes.

Encore faut-il se décider à l'enclencher très hardiment et à le poursuivre sans relâche, car la cohérence et la synergie requises en la matière ont été volontairement et profondément mises à mal par tous ceux qui n'y trouvaient pas intérêt immédiat. En effet, les cultures vivrières et maraîchères sont loin de couvrir les besoins, et la part de ces cultures va encore en diminuant du fait de la pollution des sols. L'import ne peut que sortir renforcé d'une telle situation. Pourquoi ne pas prévoir une aide substantielle en faveur des petits exploitants pour la culture hors sol ?

La transformation des produits à valeur ajoutée est plutôt marginale jusqu'à présent, alors que la matière première ne manque pas. C'est l'import qui en sortira renforcé.

La surface agricole utile, dite SAU, se rétrécit d'année en année, nous éloignant de plus en plus du seuil requis pour une autosuffisance optimale. De 80 000 hectares en 1960, elle n'est plus que de 25 000 hectares aujourd'hui. La déperdition, qui s'est accélérée au cours des dernières années, handicape assurément un développement conséquent. C'est l'import qui en sortira renforcé.

Quant à l'élevage, il est insuffisamment développé, au point que l'abattoir départemental n'atteint pas son quota d'abattage, ce qui l'a conduit au bord du dépôt de bilan. Là encore, c'est l'import qui sortira renforcé.

Une anomalie vient encore aggraver la situation, je veux parler du fameux plan de prévention des risques, qui interdit carrément la pratique agricole sur des superficies autrefois largement exploitées. C'est du jamais vu, et c'est complètement incompréhensible ! En tout cas, au bout du compte, c'est l'import qui en sortira renforcé. L'un des corollaires de cette situation déplorable est que les superficies de friches augmentent. La conséquence inéluctable est de voir, à terme, ces surfaces classées en zones intouchables, ce qui entraînera une réduction des possibilités et des activités. C'est l'import qui en sortira renforcé.

La SAFER, quant à elle, par un manque cruel de moyens, a perdu de facto l'exercice de son droit de préemption. Elle, dont la mission de service public est de protéger le foncier agricole, se trouve démunie. Qui plus est, son action est jugée illégale lorsqu'elle intervient en cas de vente avec réserve d'usufruit ou de nue-propriété. Alors que cette pratique revient à contourner et à détourner le droit de la SAFER, rien n'est fait pour l'interdire jusqu'à présent, bien que j'aie interpellé le Gouvernement à ce sujet en février 2008. Le démembrement de la surface agricole utile continuera à prévaloir au détriment de la production et, in fine, c'est encore l'import qui sortira renforcé.

Pour ce qui est de la pollution des sols agricoles par le chlordécone, c'est le coup de grâce donné à bon nombre de petits paysans. Quel gâchis ! La nocivité notoire de ce produit est telle que les nombreux arrêtés d'interdiction de planter ici, de pêcher là, pleuvent sans cesse, tandis que les découragés, les nouveaux précarisés pleurent sur le sort qui leur est tristement réservé. C'est l'import qui en sortira encore renforcé.

Dans le même ordre d'idée, une directive européenne a prévu l'interdiction de l'épandage aérien. À cet égard, ôtez-moi d'un doute : il paraît qu'une dérogation a déjà été demandée, comme ce fut le cas en son temps pour le chlordécone, cette molécule qui n'en finit pas de produire ses effets mortifères. Saurez-vous éviter les mêmes errements, pour ne pas reproduire les mêmes effets désastreux ?

Pour parfaire ce cycle infernal, au prétexte de voler aux secours des énergies renouvelables – certes indispensables –, on empiète allègrement sur la surface agricole utile par centaines d'hectares, en déployant au sol des panneaux photovoltaïques. Comme si l'un des moyens de se moderniser passait obligatoirement par le bradage des terres d'un pays d'étendue réduite et vulnérable ! Parallèlement, l'un des effets pernicieux de la défiscalisation a été de « bouffer » une partie des terres agricoles et de faire flamber les prix du foncier.

En ce qui concerne la pêche, les directives européennes nous sont appliquées le plus souvent de façon draconienne et sans discernement. Or, la plupart des embarcations concernées pratiquent la pêche côtière. Leur longueur moyenne est de sept mètres en moyenne, et n'excède jamais douze mètres.

Ai-je besoin de plaider plus avant ? On a complexifié à outrance et les freins sont partout ! Quelle logique dans tout cela, sinon celle du pourrissement, qui fait son oeuvre de déstabilisation ? C'est le système de l'exclusif de Colbert, revisité et réaménagé à l'aune des temps présents.

Je viens de vous décrire l'univers dans lequel le développement endogène devra se frayer un chemin hélas chaotique. En tout cas, existent les potentialités ; existent les hommes en qualité et en quantité ; existent les moyens et les marges de manoeuvre. Mais si l'on veut relever ce défi, conserver le savoir, amplifier le savoir-faire, conquérir le pouvoir-faire, exit la spéculation et l'usage exclusif des ordonnances ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

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