La situation est paradoxale, puisqu'une proposition de loi adoptée à l'unanimité à l'Assemblée puis au Sénat risque finalement de ne satisfaire personne. Il est naturel, dans un système bicaméral, de rechercher le compromis entre les deux assemblées, mais ce qui me gêne, c'est que nous sommes dans une « seringue calendaire » : soit nous votons le texte issu du Sénat pour tenir compte des contraintes du calendrier, soit nous le modifions, mais dans ce dernier cas, nous n'aurons aucune assurance de le voir un jour promulgué. La recherche d'un compromis aurait impliqué un examen en deuxième lecture dans les deux chambres, puis au sein d'une commission mixte paritaire. On ne peut donc pas parler de compromis ici, d'autant que si la proposition de loi avait été d'abord examinée au Sénat en première lecture, c'est la version de l'Assemblée nationale qui serait adoptée. Nos collègues sénateurs ont effectué un vrai travail sur ce texte, mais nous ne sommes pas engagés dans une relation de dialogue. Je regrette que nous soyons contraints, uniquement pour des raisons de calendrier, d'adopter conforme, fin juin, un texte transmis fin février au Sénat.
Par ailleurs, si le Gouvernement présente un ou plusieurs amendements en séance publique et trouve une majorité pour les voter, la proposition de loi ne pourra pas être adoptée définitivement à ce stade. Nous aimerions donc savoir à quoi nous en tenir avant de retirer les amendements qui nous tiennent à coeur.
En outre, si nous faisons en sorte que ce texte soit adopté l'année même où la lutte contre les violences faites aux femmes est érigée en Grande cause nationale, il serait bon que l'exécutif prenne des engagements précis s'agissant des moyens à mettre en oeuvre. Je pense en particulier aux dispositions dont l'examen n'avait pu avoir lieu en première lecture en raison de l'application de l'article 40.
Enfin, cette proposition de loi devait s'attaquer aux violences faites aux femmes en tant que telles, quel que soit leur statut, leur âge ou leurs relations. Or, le texte du Sénat se concentre sur les violences au sein du couple, ce qui est très restrictif. Je ne méconnais pas la gravité de la situation dans ce dernier domaine, mais je sais aussi que les filles peuvent se retrouver en difficulté vis-à-vis de leurs pères, les soeurs vis-à-vis de leurs frères et les mères de famille vis-à-vis de leurs enfants. Or, je crains que le texte issu du Sénat ne rende impossible la mise en oeuvre de l'ordonnance de protection dans ces situations. Il s'agit à mes yeux d'un vrai recul.