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Intervention de Sébastien Huyghe

Réunion du 23 juin 2010 à 21h30
Modernisation des professions judiciaires et juridiques réglementées — Discussion générale commune

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSébastien Huyghe :

Les avocats ont fréquemment évoqué l'exemple du contrat de bail ou du contrat de prêt, signés le plus souvent sur la base d'une formule type, sans l'intervention d'un professionnel. Une telle pratique a pour contrepartie la possibilité pour chacune des parties de contester ses engagements. Dans ces cas précis de bail ou de prêt, l'intervention d'un avocat, qui pourrait être unique et choisi par une partie avec le consentement plus ou moins tacite de l'autre, facilitera-t-elle la sécurité juridique si elle interdit postérieurement au locataire ou à l'emprunteur de nier le contenu des engagements qu'on lui a fait prendre ? Pour le bail ou pour le prêt, l'acte authentique n'est jamais inaccessible lorsque les parties le souhaitent ; et je note que le texte donne l'apparence de vouloir conforter son domaine d'intervention, notamment pour les actes de vente immobilière et la publicité foncière. Il est vrai que la crise des subprimes a bien montré les limites du tout contractuel, souvent synonyme du « tout est permis » que certains appellent de leurs voeux. La loi que nous votons, mes chers collègues, n'est pas une norme supplétive que l'on appliquerait seulement lorsqu'un contrat bien ficelé par un juriste n'en contourne pas l'application.

L'acte authentique a pour avantage de permettre la prédominance de l'intérêt général comme arbitre et juge de paix entre les prétentions respectives des parties. Il est dressé et reçu par un officier public qui assure un service public s'agissant de la régularité et de la force probante des actes juridiques. L'État répond de ces officiers parce qu'il les nomme, les contrôle et fixe leurs émoluments, alors que l'avocat exerce une profession libérale indépendante. Conférer une force probante supérieure à l'acte sous seing privé en raison de l'intervention d'un avocat risque de brouiller complètement les repères et la sécurité de nos concitoyens, l'État ne pouvant en aucune manière répondre de l'activité des avocats. Cette catégorie intermédiaire d'actes, sans équivalent à l'étranger, risque d'avoir un impact social désastreux car le citoyen va perdre le droit de contester l'acte sans avoir la sécurité qui, seule, justifie cette perte.

En conclusion, je veux rappeler que chaque profession du droit apporte une contribution éminente à la sécurité juridique et, au-delà, à l'efficacité économique comme à l'harmonie sociale de notre pays. Mais si ce texte vise à moderniser les professions concernées, il ne me semble pas à la hauteur de l'ambition affichée. J'aurais tendance à dire que le problème est pris par le petit bout de la lorgnette. L'acte contresigné par avocat, qui figure à l'article 1er, apparaît comme la clef de voûte de tout le reste du dispositif. Il constitue un pilier bien fragile et bien complexe pour éclairer la construction d'ensemble. On tentera ensuite de donner aux autres professions du droit quelques maigres contreparties.

Le législateur – c'est-à-dire nous, parlementaires – sera probablement conduit à vérifier que le texte répond aux résultats d'une négociation menée entre les avocats, les notaires, les experts-comptables ou les huissiers de justice. Plusieurs communiqués pourraient témoigner que des armistices ont été conclus. Mais, déjà, plusieurs déclarations – je pense aux articles ou aux interviews de Paul-Albert Iweins, Jean-Charles Krebs, Thierry Wickers et Christian Charrière-Bournazel –, témoignent que les hostilités pourraient bientôt reprendre. J'en veux pour preuve une affiche élaborée par le bâtonnier de Lille, que j'ai trouvée placardée à la fenêtre d'une mairie de ma circonscription, alors même que le texte n'a pas encore été voté par notre assemblée.

Si les hostilités reprennent, aurons-nous réellement joué notre rôle de législateur ? Aurons-nous eu à notre disposition une étude d'impact précise et impartiale, indispensable dans un tel débat ? La Cour de cassation semblait, à juste titre, répondre par la négative. Je regrette personnellement que nous en soyons aujourd'hui réduits à authentifier, en quelque sorte – ou à contresigner, si vous préférez –, les résultats de négociations interprofessionnelles dont nous ne connaissons ni la portée réelle, ni le degré de liberté qu'elles ont offert à l'expression de chaque profession.

C'est pourquoi il me semble que le Parlement doit pleinement jouer son rôle, et ne pas hésiter à amender un texte qui comporte beaucoup d'ambiguïtés et d'obscurités, au moins pour limiter les risques de certaines de ses dispositions.

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