Cet acte fera donc « pleine foi », expression que l'article 1319 du code civil applique précisément à l'acte authentique. Un contemporain du code civil écrivait, je cite : « En disant qu'il fait pleine foi, la loi dit au juge et au magistrat : vous aurez une entière confiance dans les actes authentiques, vous tiendrez pour véritables les faits qu 'ils attestent. »
Je comprends que beaucoup d'entre nous puissent estimer que la réforme est technique et que, a priori, elle apportera une garantie supplémentaire aux justiciables. L'objectif avéré n'est-il pas d'ailleurs de les inciter à faire appel aux avocats pour davantage d'actes de la vie courante, qui bénéficieront ainsi du concours d'un professionnel du droit ?
Cependant, en conclusion du seul colloque consacré à cette question à l'initiative de la Cour de cassation, donc d'une autorité par hypothèse neutre et experte en la matière, le président de chambre Jean-Louis Gallet concluait que le sujet n'était « pas encore parvenu à maturité ». Si je rappelle ce qu'affirmait M. Gallet en conclusion de son rapport, c'est parce qu'il exprime beaucoup mieux que quiconque, et dans un langage clair, les interrogations qui sont les miennes : « En définitive, on peut se demander si la proximité incontestable de l'acte authentique et de l'acte d'avocat ne traduit pas plus un conflit de champs d'activité entre deux professions qu'une compétition entre les avantages respectifs des actes en question. Y a-t-il l'arrière-plan que l'acte authentique est obsolète ? En ce cas, ne vaut-il pas mieux le dire expressément, mais avec la précaution fondamentale d'en vérifier préalablement la pertinence et les enjeux ? Si tel n'est pas le cas, il apparaît indispensable de définir et d'évaluer le réel besoin, pour les membres de la société civile, de cet acte intermédiaire, en ayant à l'esprit qu'à l'identité de prestations doit sans doute correspondre une identité de déontologie, d'obligations professionnelles, de contraintes et de contrôles. »
J'ai bien conscience que la Chancellerie, dans son projet de loi, nie qu'il y ait identité de prestation. Pour elle, l'acte contresigné par avocat a une portée probatoire limitée ; il n'a aucunement pour objectif de concurrencer l'acte authentique, ni même de porter atteinte à son autorité dans la hiérarchie des normes. Mais je suis désolé de dire que les arguments déployés ne sont pas pertinents.
Peut-on indiquer que l'acte contresigné reste indiscutablement dans la catégorie des actes sous seing privé ? Un alinéa, et j'y reviendrai lors de la discussion de l'article 1er, lui donne la foi de l'acte authentique et restreint de fait considérablement le droit de contestation des contractants devant le juge.
Peut-on mettre en exergue l'autorité de l'acte authentique en disant qu'il ne peut être contesté que par la procédure de l'inscription de faux, alors que l'on va parallèlement supprimer, pour l'acte contresigné, la procédure de vérification de signature prévue à l'article 287 du code de procédure civile et obliger le contestataire à prouver le faux ?
La signature de l'avocat, qui peut se limiter à la signature d'un seul avocat pour l'ensemble des parties, aura, au regard de notre droit civil, la même conséquence que la reconnaissance d'une partie sur la portée de son engagement – en clair, de son aveu.
Je veux, toujours dans la lignée de la réflexion à laquelle nous invite la Cour de cassation, mettre en cause cette affirmation que l'on entend trop souvent dans le débat, selon laquelle l'acte authentique serait un acte lourd, qui devrait être réservé à des situations extrêmes expressément prévues par la loi, alors que l'acte contresigné serait réservé à des situations de la vie courante. C'est totalement inexact.
L'acte authentique n'a aucune autre lourdeur que les formalités liées au respect de procédures protectrices pour l'ensemble des citoyens, donc pour l'intérêt général. Cela peut passer par des contraintes, mais ces contraintes sont la contrepartie de la sécurité juridique ; et quelle meilleure contrepartie, pour les actes solennels auxquels notre société reconnaît une importance particulière dans la vie des personnes, que d'être rémunérés selon un tarif fixé par les pouvoirs publics ?
Dans les actes de la vie courante, le contreseing peut sembler offrir une plus grande sécurité. Mais il est aussi facteur de risque si une partie ou les parties peuvent se faire piéger par l'institution d'une force probatoire non contrôlée. Le particulier qui sollicitera de son banquier un prêt à la consommation – sujet sur lequel nous venons de voter un texte pour lutter contre les abus de position dominante – sera-t-il protégé parce que l'avocat de la banque, qui sera naturellement seul, contresignera le prêt, alors que toute mention manuscrite sera supprimée ? Je ne le pense pas.