Découvrez vos députés de la 14ème législature !

Intervention de Jean-Yves Le Bouillonnec

Réunion du 23 juin 2010 à 21h30
Modernisation des professions judiciaires et juridiques réglementées — Discussion générale commune

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Yves Le Bouillonnec :

Monsieur le président, madame la ministre d'État, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, chers collègues, depuis plusieurs années, la représentation nationale a été appelée à se prononcer sur une multitude de textes dont bon nombre prétendent avoir vocation à améliorer le fonctionnement de l'institution judiciaire, la qualité et l'efficacité de la justice.

Je ne saurais prétendre aujourd'hui dresser un bilan de l'action des gouvernements successifs en la matière, mais il me semblait indispensable, à l'occasion de l'examen du projet de loi sur la modernisation des professions judiciaires et juridiques, d'approfondir l'une des bonnes questions qui sous-tendent l'efficience du service public de la justice.

Lorsqu'on évoque cette notion, on doit s'interroger sur la situation de l'usager de ce service, et naturellement sur l'accès au droit.

L'évolution que peuvent et doivent connaître toutes les professions du droit, du conseil et de l'aide au justiciable ne peut être envisagée sans s'interroger sur l'effet qu'elle induit pour lui, ce qu'elle lui apporte vraiment.

Ce projet de loi fait suite au rapport Darrois, mais il ne visite qu'une hypothèse de modernisation des professions judiciaires et juridiques réglementées. Le rapport Darrois présentait aussi des préconisations pour « mieux satisfaire les besoins des justiciables » et garantir l'accès au droit.

Avec ce projet de loi, je regrette que le justiciable ne soit appréhendé que sous l'aspect réducteur de sujet des prestations rendues par les professionnels du droit. Est-ce cet enjeu fondamental d'accès au droit que vous avez voulu évoquer pour le renforcer ? J'en doute.

La durée de mon intervention étant limitée, je souhaite prendre l'exemple du contreseing de l'avocat. Quelle question avons-nous voulu régler ?Celle du devoir de conseil et d'information de l'avocat à l'égard de son client qui, tout à coup, serait prescrit par la loi ? Mais ce devoir, chers collègues, c'est le fondement de la profession : « Je jure, comme avocat, d'exercer la défense et le conseil avec conscience, dignité, indépendance et humanité. »

Alors pourquoi faire dire par la loi, à l'alinéa 4 de l'article 1er, qu'en contresignant un acte sous seing privé l'avocat atteste avoir éclairé pleinement la ou les parties qu'il conseille sur les conséquences juridiques de cet acte ? Mais, mes chers collègues, c'est son travail !

S'agit-il de rappeler l'exigence de compétence qu'il doit assumer ? Mais cette exigence est elle aussi inhérente à l'exercice de la profession d'avocat ! Elle est d'ailleurs bien plus qu'une exigence, comme l'a souvent rappelé Robert Badinter, qui évoquait « une morale de la compétence et du travail bien fait », dont il disait même qu'elle pouvait être une « morale du renoncement » – nous sommes évidemment bien loin du texte.

En outre, l'article 9 du décret du 12 juillet 2005 prescrit que « l'avocat rédacteur d'un acte juridique assure la validité et la pleine efficacité de l'acte, selon la prévision des parties ». Pourquoi, alors, dans l'exposé des motifs du projet de loi, prétendre que, « par son contreseing, l'avocat reconnaîtra qu'il a bien exécuté cette obligation et engagera sa responsabilité » ? Pourquoi ajouter qu'« associé à la préparation de l'acte, attentif à sa rédaction et à la vérification de l'identité des parties, l'avocat pourra, par son contreseing, attester de l'origine de l'acte » ? Cela fait des décennies, madame la ministre d'État, que les avocats ont l'impérieuse obligation morale d'exercer une telle compétence, qui relève d'ailleurs de la responsabilité ordinale et engage même leur responsabilité civile en cas de manquement. Bref, toutes les obligations dont vous considérez qu'elles résultent du contreseing sont déjà contenues dans la mission de l'avocat et engagent déjà sa pleine et entière responsabilité.

Je suis donc au regret de vous dire que, contrairement à ce que vous indiquez, le contreseing n'apportera pas davantage de sécurité juridique. Il ne provoquera même pas la réduction escomptée des actions en justice, car il n'empêchera évidemment ni les erreurs, ni les incompétences – d'ailleurs nombreuses dans la profession d'avocat –, ni l'habileté d'un autre plaideur. Une plus grande difficulté à contester la validité d'un acte contresigné au moyen de la procédure d'inscription de faux n'altérera pas la volonté du justiciable convaincu d'avoir été mal conseillé ou d'avoir vu traduire imparfaitement ses droits ou ses volontés.

Qui plus est, la responsabilité de l'avocat, y compris dans son cadre assurantiel, n'en sera pas plus renforcée, ni plus accessible pour le justiciable. Peut-être même cette réforme provoquera-t-elle un surcoût que le même justiciable devra en définitive supporter.

À quoi vise-t-elle donc ? Voulez-vous protéger les avocats sur le sujet de la rédaction des actes, tâche dont tant d'autres s'acquittent si mal ? En ce cas, interdisez la rédaction des actes à toute autre profession qu'aux avocats ! Choisissez ce chemin, mais gardez-vous de faire ce pas, qui n'est pas anodin, vers l'acte authentique. Celui-ci émane en effet d'un officier ministériel, à qui la République donne une mission précise.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion