Monsieur le président, madame la ministre d'État, mes chers collègues, le projet de loi et la proposition de loi Béteille touchent à des aspects importants de la nécessaire évolution de nos institutions et de nos procédures judiciaires.
L'autorité judiciaire a un poids essentiel dans notre pays. Selon que les professionnels du droit, magistrats, avocats, huissiers, sont plus ou moins compétents et indépendants, l'organisation des procédures peut avoir un impact fondamental sur la vie de nos concitoyens, la paix des familles, la sécurité des transactions, voire l'identité des gens.
Nous savons que, compte tenu des déplacements internationaux, de la construction européenne mais aussi des nouveaux moyens de communication comme internet, nous ne pouvons plus exercer le droit comme nous l'avons fait autrefois. Il faut donc procéder aux actualisations nécessaires afin que les méthodes d'organisation et de travail des juristes soient à la hauteur des besoins de nos concitoyens mais aussi pour que la justice garantisse la paix sociale en prévenant et en réglant au meilleur coût les inévitables litiges qui surviennent dans toute société humaine.
L'ambition est donc grande. Pourquoi faut-il, madame la ministre, que ces textes copieux nous laissent sur notre faim ?
Nous voyons un grand nombre de modifications plus ou moins importantes, de retouches sur des procédures, qui paraissent souvent utiles mais qui donnent une impression de fouillis, comme un catalogue de grand magasin par correspondance, voire un inventaire à la Prévert.
Pour la plupart des mesures, ce n'est pas le détail qui nous dérange. Certaines d'entre elles peuvent sembler de bon aloi, comme celle qui réaffirme le rôle des notaires pour ce qui concerne le droit de propriété, les transactions immobilières ou les actes relatifs à la famille. Vous proposez aussi des solutions pour des difficultés pratiques que peuvent rencontrer les huissiers, en facilitant par exemple l'obtention de renseignements sur les comptes des débiteurs. On évoque même les enlèvements internationaux d'enfants. Bref, il y a un peu de tout dans ces textes, et des choses qui ne sont pas désagréables.
Ce qui manque, c'est une vision d'ensemble sur ce que seront demain les professions juridiques et judiciaires. Vu la crainte du modèle anglo-saxon, comme l'ont souligné nos amis communistes, il aurait sans doute été préférable d'avoir une telle vision.
Il n'y a pas d'arbitrage très clair entre deux possibilités, une grande profession du droit où chacun pourrait tout faire, ou la spécialisation de chacun sur ce qu'il sait faire, avec un développement de l'interprofessionnalité. Vous parlez de l'interprofessionnalité et, dans l'intérêt des justiciables, il est effectivement nécessaire d'améliorer les liens entre les professions du droit, ce qui permettra aux professionnels de faire des économies de fonctionnement et aux usagers d'avoir une approche plus globale de leurs problèmes, mais vous n'allez pas au bout de la démarche esquissée.
L'acte avocat est une piste intéressante pour renforcer la sécurité juridique de certains actes. La loi du 31 décembre 1971 avait énuméré les professionnels habilités à pratiquer le conseil juridique, mais les professionnels se sont diversifiés. Certains d'entre eux qui faisaient du conseil à titre accessoire en ont fait quasiment une activité première, et la lisibilité du système au quotidien en est un peu affectée. De surcroît, de nombreux actes sont rédigés par des officines n'offrant aucune garantie de compétence au justiciable. Il est donc nécessaire de mettre un peu d'ordre dans tout cela.
Réaffirmer que la rédaction d'un acte juridique nécessite une compétence et doit être le fait d'un professionnel qualifié ayant une pratique rigoureuse me paraît normal. Actuellement, en dehors des actes authentiques établis par les notaires et les huissiers dans certains domaines, la plupart des actes concernant les baux, les transactions ou les fonds de commerce sont rédigés par les anciens conseils juridiques devenus avocats. La création de cet acte ne modifiera donc pas significativement la pratique et donnera un peu plus de sécurité aux particuliers pour rechercher la responsabilité du professionnel. En fait, cela ne changera pas fondamentalement la situation.
Il y a aussi un problème de méthode : nous n'avons été consultés et informés qu'à la marge. Nous n'avons pas participé à la plupart des discussions et nous nous rendons bien compte que de nombreuses négociations ont lieu non pas au Parlement mais à côté. Pour la fusion avec les conseils en propriété industrielle, par exemple, on nous a proposé un texte en nous disant de ne pas trop discuter car tout avait été vu avec les professionnels concernés. Nous avons ensuite appris que, finalement, ces derniers n'étaient pas si d'accord que cela, et on nous propose aujourd'hui de tout supprimer. Ce n'est pas très satisfaisant pour le Parlement de procéder de la sorte.
Par ailleurs, comme vous avez créé cet acte d'avocat sans qu'il y ait une frontière très nette entre pratique du droit à titre principal et pratique à titre accessoire, cela a entraîné une surenchère entre les professions.
Des répartitions ont certainement été décidées entre elles, sans être forcément le résultat d'un processus transparent et logique. Les tractations à l'arrière-plan ne nous paraissent pas des plus claires.
En compensation pour l'acte d'avocat, vous avez ainsi proposé un certain nombre de compétences à d'autres professions, huissiers de justice et notaires. Pourquoi pas ? Nous ne mettons nullement en cause la compétence de ces professions ; cela pose cependant quelques problèmes.
Il y en a tout d'abord un qui est pour nous un problème de principe et qui tient au PACS. Vous accordez aux notaires la possibilité de rédiger ces actes. Nous souhaitons quant à nous qu'ils continuent d'être passés devant les officiers d'état civil, car le PACS n'est pas seulement un contrat mais aussi un engagement humain. La plupart des associations que nous connaissons ne sont pas favorables à cette nouveauté. À gauche, nous souhaitons que les PACS soient célébrés dans les mairies. (Murmures sur les bancs du groupe UMP.)
Par ailleurs, il y aura des unions à deux vitesses : ceux qui peuvent payer un notaire bénéficieront d'un contrat plus sécurisé et plus rapide. Nous trouvons cela regrettable.
En outre, il nous semblerait important que les PACS soient indiqués sur les actes de décès, ce qui n'est pas le cas actuellement, avec cette conséquence que les droits du partenaire ne sont pas garantis.
S'agissant des huissiers de justice, un certain nombre de dispositions visent à leur faciliter la vie. Encore une fois, pourquoi pas ? Ce qui nous gêne, toutefois, c'est que vous avez dû transférer ces attributions à des professionnels parce que vous avez d'abord supprimé un certain nombre de tribunaux d'instance et que vous vous êtes rendu compte que les fonctions que ces derniers remplissaient devenaient dans certains cas d'un accès trop difficile, car trop distant, pour les justiciables. Vous avez donc souhaité corriger le tir.
Par ailleurs, depuis la réforme de la carte judiciaire et la stagnation des budgets – hors budget pénitentiaire –, les tribunaux sont submergés, et vous avez donc été obligés de transférer à des professionnels, qui devront être, très légitimement, rémunérés, des fonctions qui étaient précédemment remplies par des fonctionnaires. Nous estimons que c'est de nature à creuser les inégalités sociales dans l'accès au droit, alors que vous avez déjà creusé les inégalités géographiques.
Ce qui nous gêne surtout, c'est ce qui manque dans ce projet. Celui-ci règle certaines difficultés entre professionnels du droit pour des clientèles solvables mais il ne prend pas en considération ce qui nous semble l'essentiel, à savoir le problème de l'accès à un conseil juridique de qualité pour les gens modestes. Pour cela, il faudrait développer le réseau des maisons de justice et du droit, les points d'accès au droit, l'aide juridictionnelle, notamment le conseil juridique. Nous en sommes encore loin.
Enfin, nous souhaitons le développement de l'action de groupe, car ce serait une bonne manière d'aider les consommateurs à se prémunir contre les agissements de certaines sociétés qui abusent de leurs clients. Malheureusement, une proposition de loi en ce sens déposée par notre groupe a été rejetée.
En conclusion, ce texte comporte certaines avancées, il comble des lacunes – dont plusieurs, cependant, sont de la responsabilité de votre prédécesseur –, il va clarifier plusieurs points, mais il ne prend pas suffisamment en considération les difficultés du justiciable moderne ainsi que la question de la sécurité du conseil sur internet. C'est pourquoi ce texte ne nous enthousiasme pas outre mesure. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)