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Intervention de Jean Picq

Réunion du 22 juin 2010 à 18h00
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Jean Picq, président de la troisième chambre de la Cour des comptes :

Je suis sensible au fait que vous ayez souhaité m'entendre en présence de M. le ministre. Même si l'accueil réservé à notre rapport a été favorable, les changements ne seront possibles que si les pouvoirs publics s'engagent à les mener à bien, chantier qui exigera temps, vigilance et persévérance.

Notre travail d'évaluation n'aurait pas été possible sans la loi organique de 2001, qui nous a permis de nous saisir d'une politique déclinée en objectifs et en indicateurs constituant autant de points de repère, ni sans la loi de 2005, qui a fixé au système éducatif des objectifs clairs et quantifiés – 100 % de jeunes diplômés ou qualifiés en fin de scolarité obligatoire, 80 % d'une classe d'âge au baccalauréat, 50 % de jeunes diplômés du premier cycle de l'enseignement supérieur –, ni enfin sans la comparaison internationale fournie par l'OCDE, puisqu'il est essentiel d'évaluer sur des bases incontestables le système scolaire français par rapport aux autres. Notre pays toujours prompt à invoquer l'exception française doit comprendre pourquoi, sur tel ou tel point, il connaît une avance ou un retard.

Les constats de la Cour sont connus : non seulement, dans son organisation actuelle, l'école n'atteint pas les objectifs que lui assigne la loi, mais elle n'est pas en mesure de réduire les inégalités de départ entre enfants de catégories sociales différentes. Il arrive même qu'elle les aggrave.

L'échec scolaire – la sortie de l'enseignement scolaire sans qualification ni diplôme – concerne chaque année 130 000 jeunes, soit près d'un sur cinq. La proportion d'élèves éprouvant en lecture des difficultés sérieuses n'a cessé d'augmenter depuis 2000 pour atteindre aujourd'hui 21 %. Au vu des enquêtes de l'OCDE, qui portent sur trois cycles d'études, l'écart de résultats entre les élèves qui suivent une scolarité normale, soit 60 % de la population scolaire, et les élèves en difficulté, soit 40 % de cette population, ne cesse de progresser depuis dix ans. De même, près de 250 000 élèves au sein de chaque classe d'âge, soit quatre élèves sur dix, ont déjà redoublé au moins une fois, ce qui constitue un record au sein de l'OCDE. Pourtant, de l'avis même du ministère, le redoublement, dont le coût est évalué à 2 milliards d'euros, n'est pas efficace. Le ministre a d'ailleurs fait de la diminution du nombre de redoublements un des indicateurs permettant d'apprécier les politiques éducatives.

La France est le pays de l'OCDE où les résultats sont le plus fortement corrélés aux origines sociales, puisque 78,4 %, soit plus des trois quarts des élèves, provenant de catégories sociales favorisées, obtiennent un baccalauréat général, contre moins d'un cinquième parmi ceux d'origine défavorisée.

Enfin, l'objectif d'avoir 50 % d'une classe d'âge diplômés de l'enseignement supérieur nous semble important. Aujourd'hui, ce taux n'est que de 41 %, et seulement de 27 % si l'on considère ceux qui parviennent à bac + 3. À l'heure où la mondialisation des économies exige d'accroître les capacités d'intelligence collective, ce chiffre doit nous faire réfléchir sur l'effort qui reste à conduire. Ces constats connus, qui reprennent les études de la direction de l'Évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP), révèlent que notre pays ne s'est pas mis assez en situation de traiter la difficulté scolaire, et que le système scolaire doit être repensé.

En premier lieu, il ne semble pas que la question du niveau global des moyens doive être posée, puisque le budget de l'éducation, à 3,9 % du PIB, est dans la moyenne de l'OCDE. En revanche, il faut songer à allouer autrement et plus efficacement des moyens gérés aujourd'hui selon une logique où prévaut le principe de répartition indifférenciée, comme si l'offre devait être uniforme sur tout le territoire.

En outre, le ministère ne connaît pas suffisamment le coût des politiques éducatives : celui de la lutte contre l'échec scolaire, celui des établissements d'enseignement ou encore celui de l'offre de formation, par exemple. C'est qu'il raisonne non en euros, mais en heures d'enseignement et en postes, ce qui apparaît comme une lacune regrettable. Même s'il est difficile de gérer l'affectation des enseignants sur d'autres bases que celles qu'il utilise actuellement, il doit impérativement travailler à mieux cerner ce coût : faute de le connaître, il ne pourra procéder à des arbitrages politiques ni se donner les moyens d'accroître l'effort en faveur du premier cycle d'enseignement, où naît la difficulté scolaire.

En second lieu, la Cour a souligné que l'organisation du service des enseignants est inadaptée aux besoins des élèves. Comment en serait-il autrement, puisque leurs obligations réglementaires de service remontent à 1950, c'est-à-dire à l'époque où à peine 7 % d'une classe d'âge accédait au baccalauréat, soit dix fois moins qu'aujourd'hui ? La loi sur l'école rappelle que les missions des enseignants doivent intégrer, au-delà de la transmission des savoirs, l'accompagnement personnalisé des élèves, l'aide à l'orientation, le suivi des parcours et le travail en équipe pédagogique tel qu'il se pratique à l'étranger, notamment en Espagne ou en Écosse.

Enfin, parce qu'il est le fruit d'une succession d'appréciations indépendantes les unes des autres, le parcours des élèves manque de cohérence. Ainsi, la rupture entre l'école primaire et le collège compromet leur suivi, alors même que l'appréciation individuelle du socle commun est un élément décisif pour déterminer leurs besoins et leurs capacités.

Nous avons également souligné que, s'ils sont nombreux, les efforts consentis pour développer les dispositifs d'accompagnement n'ont donné lieu à aucune évaluation. En outre, ils sont limités : les programmes personnalisés de réussite éducative, qui devraient contribuer à limiter le nombre des redoublements, touchent actuellement moins de 10 % des collégiens, alors que l'échec scolaire en concernera 20 % en fin de troisième.

La Cour a eu le souci de vérifier que son analyse était partagée. Ayant auditionné pendant près de soixante heures des acteurs du système et mis en oeuvre avec le ministère les procédures contradictoires habituelles, il lui est apparu qu'elle devait formuler des recommandations. Celles qui figurent à la fin du rapport ont été testées au fil des auditions.

Puisque, pour améliorer le système, la question de la difficulté scolaire est centrale, il faut faire de la réussite de tous les élèves un objectif essentiel de la politique de l'éducation nationale. Plusieurs réformes visant à personnaliser l'organisation de l'enseignement ont été engagées, mais elles ont toujours été conçues pour être appliquées à l'ensemble des établissements sans distinction, alors que les besoins des élèves diffèrent fondamentalement d'un lycée à l'autre. Il faut renoncer à la logique qui conduit à diffuser sur tout le territoire des dispositifs sans évaluation préalable des besoins, et concentrer l'effort là où il est nécessaire. Faut-il rappeler que, sur quatre élèves relevant de l'éducation prioritaire, un seul bénéficie aujourd'hui de mesures d'accompagnement éducatif ? Alors que les pays étrangers qui réussissent mieux que nous font du traitement de la difficulté scolaire leur première priorité, la France cède à la tentation d'étendre l'offre de formation – je pense en particulier à la prolifération, coûteuse, des options destinées à attirer les élèves dans les établissements.

J'insisterai particulièrement sur six recommandations de la Cour.

Il est impératif de quantifier précisément les besoins d'accompagnement personnalisé des élèves, dans le cadre de l'enseignement habituel ou de dispositifs d'accompagnement supplémentaires, pour fixer les moyens qui seront affectés aux établissements.

Quand on doit procéder à des arbitrages entre les moyens disponibles, et renoncer à financer des pratiques dont l'efficacité n'est pas démontrée, comme le redoublement, il faut entrer dans une logique différenciée de l'allocation des moyens, tout en veillant à garantir à tous le socle commun de connaissances et de compétences. L'attribution des volumes d'heures de cours et les taux d'encadrement doivent être définis en fonction des besoins des élèves.

La Cour estime également que le système scolaire ne peut progresser qu'au prix d'une plus grande autonomie des enseignants et des responsables d'établissement, qui semblent être les mieux placés pour évaluer les besoins et proposer les arbitrages nécessaires entre les heures de cours, les dispositifs de soutien et les heures consacrées au suivi ou à la méthodologie. Elle préconise par conséquent que la communauté éducative, c'est-à-dire la communauté des responsables d'établissement et des enseignants, soit désormais chargée, sous le contrôle des recteurs et des inspecteurs d'académie, de répartir les moyens d'enseignement affectés à l'établissement. C'est à cette condition qu'il pourra être procédé à une meilleure régulation du système scolaire, même si cette refonte des responsabilités exigera du temps.

La contrepartie de l'autonomie des équipes éducatives et des établissements est la nécessaire évaluation des établissements. Il n'est pas question de les classer, mais on doit apprécier de manière systématique leur performance dans le traitement de la difficulté scolaire et dans la mise en place des dispositifs éducatifs.

Nous avons relevé la faiblesse actuelle des données et des études conduites par le ministère sur l'enseignement privé, alors même que les programmes de la LOLF prévoient le renseignement de ces indicateurs. L'absence de ces informations est regrettable, car des comparaisons nourriraient utilement la réflexion collective.

Enfin, le traitement de la difficulté scolaire dans les zones les plus difficiles exige des moyens exceptionnels. La stabilité des équipes éducatives, ainsi que l'affectation d'enseignants formés et expérimentés, sont les conditions d'une action massive et durable.

Je terminerai par deux remarques.

En rendant public ce rapport, la Cour a souhaité éclairer le débat au moyen de constats partagés et de recommandations appropriées. Sa responsabilité s'arrête là. C'est à présent aux responsables politiques d'apprécier leur pertinence et leur éventuelle mise en oeuvre. Je l'ai souligné lors de mon audition devant la commission des Affaires culturelles et de l'éducation.

Nos recommandations les plus importantes sont l'aboutissement logique des deux mesures phares de la loi de 2005 : le socle commun de connaissances et de compétences, et le programme personnalisé de réussite éducative. La définition du socle commun vise à ce que chacun puisse obtenir une qualification, ce qui relègue au second plan le respect du programme, horizon traditionnel de l'enseignement, qui conduisait souvent à privilégier la sélection sans apporter une attention suffisante aux élèves qui décrochent. L'objet du programme personnalisé de réussite éducative est précisément de prévenir un tel risque. Le redoublement n'a plus de sens dès lors que l'attention des professeurs se concentre en priorité sur les élèves en difficulté dans les classes hétérogènes, où les meilleurs tirent les plus faibles vers le haut. Une telle évolution des conditions d'enseignement ne pourra se faire sans un changement profond du système et des représentations. La diversité des besoins et des réponses à apporter à la demande en fonction des territoires, des établissements et des classes interdit de persister dans une logique d'offre décidée à Paris et appliquée de manière uniforme. L'égalité des chances plaide pour une logique de réponse à la demande, grâce à une gestion décentralisée, au plus près des besoins, par les chefs d'établissement, sous le contrôle des recteurs et des inspecteurs d'académie.

Si bon nombre de pays obtiennent de meilleurs résultats que la France en termes d'acquisition de compétences à quinze ans ou de proportion d'une classe d'âge accédant à un diplôme de l'enseignement supérieur, ce n'est pas parce que les jeunes Français ont moins d'aptitudes, mais parce que l'organisation de notre système éducatif date de cinquante ans. Le faire évoluer est donc une nécessité. Cela exigera du temps, du doigté, de la pédagogie, ainsi que l'adhésion de tous les acteurs, mais les auditions auxquelles nous avons procédé nous ont convaincus que les esprits y sont prêts.

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