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Intervention de Bruno Lasserre

Réunion du 23 juin 2010 à 10h00
Commission des affaires économiques

Bruno Lasserre, président de l'Autorité de la concurrence :

La diversité des questions soulevées montre la variété des domaines dans lesquels nous intervenons. Je remercie Madame Coutelle pour avoir fait remarquer que la composition du collège de l'Autorité de la concurrence respecte le principe de parité.

Concernant d'abord la question posée par Monsieur Fasquelle sur la durée des procédures, il est vrai que celles-ci sont longues. Mais il faut faire remarquer, d'abord, l'asymétrie des forces en présence. Il m'est arrivé de passer des nuits à rédiger seul des décisions alors qu'en face, une entreprise mobilisait plus de vingt avocats. Il faut ensuite rappeler que pour que des sanctions importantes puissent être prononcées, il est indispensable que la procédure soit irréprochable, qu'elle respecte le contradictoire et toutes les formes obligatoires. Enfin, dans son arrêt « Ravon » de 2008, la Cour de justice des communautés européennes a obligé les États membres à permettre la contestation en appel des décisions du juge des libertés en matière de perquisition, tandis que la loi qui a permis de satisfaire cette obligation a permis l'application de cette faculté aux anciennes procédures, ce qui fait qu'aujourd'hui ce sont plus de 80 procédures qui sont engagées à ce titre et nous empêchent de nous prononcer au fond. Notre objectif est bien sûr de rester en phase avec le temps économique dans la mesure où cela ne nuit pas à la robustesse de nos procédures.

Concernant la politique de clémence, je ne partage pas le point de vue exprimé par Monsieur Fasquelle. Il est clair que ce programme a réussi. Il a été calqué sur le programme type européen.

Concernant les sanctions, évoqués par MM. Fasquelle, Brottes, Gaubert et d'autres députés, si la sanction doit être prévisible, elle ne doit pas l'être entièrement pour garder son caractère dissuasif. Si les entreprises savent exactement à quelle sanction elles s'exposent, elles se livreront à un calcul rationnel et optimiseront leur comportement en conséquence. La sanction doit donc conserver une part de mystère. Ceci dit, nous avons besoin de plus de prévisibilité et j'ai indiqué que nous étions prêts à travailler à des lignes directrices pour déterminer précisément le mode de calcul des sanctions en fonction des critères suivants : gravité de l'infraction, importance du dommage, réitération, situation de l'entreprise.

Concernant la question de la publicité, soulevée par Monsieur Brottes, l'Autorité de la concurrence produit de nombreux communiqués de presse et s'efforce de sensibiliser les journalistes aux enjeux liés aux affaires que nous traitons. Nous travaillons beaucoup sur le pourquoi de la sanction, parce qu'il est important de faire saisir les effets néfastes des pratiques anticoncurrentielles. Depuis l'affaire de la téléphonie mobile en 2006, la couverture médiatique des décisions de l'Autorité de la concurrence s'est d'ailleurs sensiblement améliorée. Je précise que la plupart du temps, l'Autorité prévoit la publication de ses décisions dans des journaux d'importance nationale ou locale selon l'importance de l'affaire.

Concernant l'agriculture, évoquée par Madame Marcel, Monsieur Dumas et d'autres, et plus précisément la filière laitière, l'Autorité de la concurrence estime que la fixation des prix au niveau interprofessionnel n'est pas la solution. D'une part, nous vivons dans un monde ouvert et les accords interprofessionnels n'empêchent pas les transformateurs de s'approvisionner à l'étranger lorsque les prix sont plus avantageux ; les accords interprofessionnels n'ont d'ailleurs jamais interdit ces importations. D'autre part, le pouvoir de marché est du côté des industriels et si les prix fixés par l'accord interprofessionnel ne leur conviennent pas, ils le dénonceront. Le vrai problème se trouve dans l'asymétrie entre des producteurs atomisés qui n'ont pas de pouvoir de marché et les distributeurs de grande taille. D'où, premièrement, l'idée que nous avons proposée et dont s'inspire le projet de loi de modernisation de l'agriculture, d'accroître la contractualisation, en l'absence de laquelle le transformateur fixe directement le prix sans discussion. Deuxièmement, l'Autorité de la concurrence estime qu'à côté des coopératives agricoles permettant le regroupement des structures ou des productions, une solution qui pourrait être intéressante est celle du mandataire unique, auquel les exploitants demanderaient collectivement de négocier la vente de leur production tout en restant propriétaires de celle-ci, ce qui reviendrait à regrouper les seules politiques commerciales. Troisièmement, il est important que les interprofessions puissent diffuser des indicateurs de tendance, objectifs et stables.

Concernant les technologies de l'information et de la communication (TIC), évoquées par Madame de La Raudière, Madame Ehrel, Monsieur Suguenot et d'autres, le premier sujet est celui de la fibre optique. L'Autorité de la concurrence croit à la fibre optique et souscrit pleinement à l'objectif politique de l'apporter à tous les Français. Il y a un objectif d'intérêt général évident à ce que tous les territoires aient accès aux nouveaux services. Le problème qui se pose est celui des moyens permettant de réduire la fracture numérique. Il faut noter à ce sujet la différence de situation entre le cuivre et la fibre, le réseau de cuivre étant déjà déployé et largement amorti, alors que pour la fibre les investissements sont à faire, ce qui implique que la régulation soit incitative pour les investissements. L'Autorité estime qu'il faut tirer parti de l'opportunité qu'offre la fibre d'ouvrir durablement à la concurrence la boucle locale sans reconstituer de monopole. C'est la raison pour laquelle dans son avis sur la montée en débit, elle a noté que si des financements publics sont mobilisés pour la montée en débit, l'incitation à investir dans la fibre demain risque de diminuer. La montée en débit devrait donc être réservée aux zones qui n'ont presque aucune chance de susciter l'intérêt économique des opérateurs privés pour déployer la fibre.

La seconde question en lien avec les TIC concerne les salles de cinéma. Dans l'avis transmis au CNC, l'Autorité de la concurrence souligne la confusion des genres qu'implique la gestion directe par le régulateur d'un fonds. Le CNC serait alors à la fois régulateur et acteur de marché. La proposition de loi aujourd'hui en discussion permet d'ailleurs d'atteindre l'objectif affiché d'aide à la numérisation des salles de cinéma sans mélange des genres, via une taxe qui n'est pas une taxe sur la copie privée.

La troisième question concerne le livre numérique. La loi Lang a été une bonne loi qui a permis d'éviter la vente à prix cassé de best-sellers dans les supermarchés, qui aurait réduit la diversité et tué les librairies de quartiers. La loi Lang et le prix unique du livre doivent-ils être transposés tels quels au livre électronique ? Il ne le semble pas. Premièrement, l'avenir du livre numérique n'est pas à une économie de biens mais de services, avec des offres complexes – abonnements aux dix livres les plus lus, à des extraits concernant un thème bien définis, etc. Va-t-on réguler toutes les offres qui apparaîtront ? Deuxièmement, comment fera-t-on pour s'assurer du respect du prix unique sur les plates-formes situées à l'étranger ? Plutôt que le prix unique, il me semble qu'il faut trouver des moyens pour inciter les éditeurs à investir dans des plates-formes de qualité, qui leur permettront de concurrencer les Google, Amazon et autres. Il s'agit donc plus d'un problème de moyens que d'objectifs.

S'agissant de l'énergie, Monsieur Gaubert a évoqué le problème des relations entre EDF et les artisans. Lors d'une affaire récente sur ce thème, nous avons enjoint à EDF de dissocier la communication auprès de ses clients au tarif réglementé et celle vis-à-vis de ses filiales sur les marchés concurrentiels, notamment l'électricité solaire, de manière à ce que, d'une part, les consommateurs soient clairement informés et, d'autre part, que la notoriété d'EDF ne soit pas utilisée pour distordre la concurrence sur le marché de l'installation électrique auquel participent les artisans.

Nous avons rendu un avis dans lequel nous considérons que le projet de loi portant nouvelle organisation du marché de l'électricité répond à un vrai besoin. Obliger EDF à vendre à des opérateurs concurrents et à des tarifs régulés une partie de sa production, c'est mettre en place une véritable économie administrée. C'est sans doute un moyen utile d'amorcer la concurrence dans le secteur de l'électricité ; toutefois, à terme, la concurrence doit se faire entre des opérateurs qui puissent se reposer sur leur propre production d'électricité. Ainsi, la loi NOME ne doit être que transitoire : il faut garder une incitation à l'investissement pour les opérateurs, qui ne doivent pas bénéficier ad vitam aeternam de la rente d'EDF. Nous sommes donc favorables à ce que la quantité d'électricité régulée diminue progressivement, pour que les opérateurs soient forcés de sortir, à terme, de la régulation et de s'appuyer sur des capacités de production indépendantes.

Concernant le secteur du BTP, je comprends votre agacement sur le maintien de pratiques anticoncurrentielles dans les marchés publics. Je tiens toutefois à souligner que la situation s'est améliorée. Nous faisons face à un nombre de saisines moindre. Nous pensons que la politique de dissuasion très forte que nous avons menée est en train de porter ses fruits, notamment l'élévation du plafond des sanctions. Ainsi, nous n'avons pas hésité à aller jusqu'à infliger des sanctions allant jusqu'à 5% du chiffre d'affaires des entreprises concernées, le seuil maximum prévu par les textes. Les groupes mettent par ailleurs en place des programmes de conformité pour sensibiliser leurs cadres aux problèmes de concurrence.

Toutefois, il est vrai que, parfois, les normes qui s'appliquent aux commandes publiques sont plus exigeantes. Nous travaillons d'ailleurs actuellement sur un dossier relatif aux conditions d'élaboration des normes et à l'influence des groupes dominants du BTP sur cette élaboration.

La trop forte opacité des tarifs bancaires ne fait pas de doutes. Les consommateurs ne comprennent pas ce qui leur est facturé, si bien que certains « packages » sont moins avantageux que les services qu'il contient pris séparément ! En conséquence, le coût de la mobilité est trop important, compte tenu de l'impossibilité de comparer les tarifs pratiqués par les différentes banques.

La décision que nous rendrons en septembre est très attendue ; il s'agit de statuer sur la gestion automatisée du chèque et sur la licéité d'une commission uniforme créée par l'ensemble des banques françaises lors de l'automatisation du chèque. Nous sommes également saisis de la question plus générale des moyens de paiement. Nous avons par exemple lancé une enquête sur les commissions interbancaires sur les moyens de paiement comme les cartes bancaires.

Enfin, vous avez évoqué à de nombreuses reprises la question des centrales d'achat. Nous n'avons pas bien abordé, par le passé, lorsque l'Autorité n'existait pas encore, le contrôle des concentrations dans ce secteur. Après avoir entendu vos propos sur le sujet je crois qu'il serait utile de lancer une enquête sur le sujet, de notre propre initiative. Je suis d'accord avec vous : c'est un secteur excessivement concentré et qui créé de ce fait une uniformité des prix en aval.

Je ne suis pas sûr qu'il faille interdire le management catégoriel. Je pense qu'il serait préférable de publier au préalable des enquêtes sur le sujet et d'en discuter ultérieurement. Cette pratique pose le problème plus général de l'interdiction par voie législative : des stratégies commerciales innovantes parviennent toujours à la prendre de vitesse et à la contourner.

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