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Intervention de Bruno Lasserre

Réunion du 23 juin 2010 à 10h00
Commission des affaires économiques

Bruno Lasserre, président de l'Autorité de la concurrence :

Merci pour votre accueil. Je me souviens effectivement de mon audition en janvier 2009, alors que je n'étais que candidat à la présidence de cette nouvelle institution, et vous m'aviez encouragé à mener une action vigoureuse. Voilà l'heure d'un premier bilan, alors que notre rendez-vous annuel est désormais prévu par la loi. Je vous remets le premier rapport d'activité de la nouvelle Autorité de la concurrence.

Il faut d'abord souligner que sa mise en place a été rapide. La loi de modernisation de l'économie, du 4 août 2008, a été complétée par une ordonnance en novembre, puis par une dizaine de décrets. L'Autorité a été mise en place le 2 mars 2009, au lieu du 15 janvier initialement prévu, à cause de retard dans les nominations des membres du collège. Elle a adopté le même jour son règlement intérieur ainsi qu'une charte déontologique. La nomination du conseiller auditeur en juillet a permis d'effectuer les notifications de griefs. L'Autorité fonctionne donc à plein régime depuis la fin du mois de juillet 2009.

Cette nouvelle institution dispose de nouvelles équipes, issues notamment de la direction nationale des enquêtes de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), mais aussi de recrutements variés. Les effectifs des services sont ainsi passés de 130 à 180 personnes. Pour ne pas maintenir de duplication entre les enquêtes de terrain et l'instruction des dossiers, jugée inefficace, un seul statut de rapporteur a été défini, chargé du dossier de A à Z. Chacun a donc dû apprendre un nouveau métier. Les anciens rapporteurs du Conseil de la concurrence participent désormais à la collecte de preuves, au relevé des prix, à des perquisitions, tandis que les anciens enquêteurs de la DGCCRF contribuent désormais à la construction de l'instruction. L'intégration culturelle est ainsi facilitée.

S'agissant du bilan de fond, j'aborderai trois points : l'activité consultative, le contrôle des concentrations, et la surveillance des pratiques anticoncurrentielles.

L'Autorité de la concurrence a rendu 20 avis en 2007, 40 en 2008 et 62 en 2009, destinés au Gouvernement, aux commissions parlementaires, aux organisations professionnelles, ou résultant d'auto-saisines. La France se caractérise par une faible culture de la concurrence. Il est donc important de guider les acteurs en leur donnant un point de vue indépendant sur les questions structurantes de l'économie.

Nous avons par exemple rendu des avis très approfondis sur l'outre-mer, qu'il s'agisse du secteur des carburants ou de la grande distribution, ou sur la crise laitière. Sur cette dernière question, comme sur le projet de loi portant nouvelle organisation du marché de l'électricité, nous avons eu le dialogue avec le Parlement prévu par la loi de modernisation de l'économie. Nos recommandations ont discutées dans le cadre des états généraux de l'outre-mer, et ont fait l'objet de très vifs débats. Nous avons contribué à révéler des problèmes, notamment les positions acquises par certains grands acteurs du pétrole ou de la grande distribution.

Nous pouvons également influer sur les règles européennes, comme lors de la crise du lait, lors de laquelle nous nous sommes efforcés de faire changer le regard de la Commission européenne sur le regroupement des agriculteurs pour peser dans les négociations avec leurs partenaires.

Le bilan de cette activité consultative est donc très positif, et contribue à prévenir les contentieux et améliorer la sécurité juridique.

La loi de modernisation a transféré la responsabilité du contrôle des concentrations du ministre de l'économie à l'Autorité de la concurrence, qui s'est donné trois objectifs : accélérer les délais de traitement des dossiers, pour correspondre au rythme de l'activité économique, faciliter le dialogue et la résolution des affaires grâce au développement des engagements, et accroître la transparence avec la publication de lignes directrices. Nous avons rendu 94 décisions en 2009, dont 39 portant sur le commerce de détail. La baisse du seuil de notification des concentrations à l'occasion de la loi de modernisation de l'économie explique ces chiffres. Les principaux secteurs concernés sont l'agroalimentaire, les banques et assurances, le commerce de gros et le transport et la logistique. Sur cinquante opérations examinées, l'Autorité n'a eu aucun refus à formuler, mais huit opérations ont donné lieu à la négociation de remèdes, notamment le rachat par TF1 de deux entreprises de télévision numérique.

La surveillance des pratiques anticoncurrentielles constitue le coeur de métier de l'Autorité de la concurrence. Sur ce point, la loi de modernisation de l'économie n'a pas créé de nouveaux outils, et le plafond des sanctions est fixé depuis la loi relative aux nouvelles régulations économiques du 15 mai 2001. Toutefois, nous faisons face à des remises en cause de notre politique, à l'encontre du message formulé en 2008 par votre commission, qui nous incitait à ne pas faiblir. Plusieurs voix posent la question d'un assouplissement de nos exigences, que la crise économique rendrait nécessaire. Alors que nous avions très sévèrement sanctionné un cartel de l'acier en 2008, la cour d'appel de Paris a divisé par huit les sanctions, le 19 janvier dernier. Onze entreprises, dont des filiales très importantes d'Arcelor Mittal avaient mis le secteur en coupe réglée, mettant, grâce à des accords secrets, onze régions sous surveillance, instituant une commission chargée de fixer l'ensemble des prix et de répartir les clients. Il existait même un « code de déontologie » du cartel. Les PME, en aval, avaient subi des hausses de prix de plus de 25%. Les sanctions ont atteint un montant exceptionnel de 574 millions d'euros, mais les preuves étaient accablantes. La cour d'appel de Paris, en janvier 2010, a réduit ce montant à 74 millions, ce qui est peu de choses pour les entreprises condamnées, et justifié sa décision par le contexte de crise économique et le dommage à l'économie jugé modéré. Je regrette que le ministre de l'économie ait refusé le pourvoi en cassation, mettant simplement en place une commission de réflexion sur la prévisibilité des sanctions, qui rendra son rapport dans quelques semaines.

Souvenez-vous des nombreuses affaires de marchés publics truqués dans le secteur du BTP, au détriment des contribuables. Nous nous étions autosaisis dans l'affaire du cartel des lycées d'Ile de France ou du logiciel « drapeau ». Cette politique de lutte résolue a porté ses fruits : ces pratiques ont très nettement diminué aujourd'hui. Il ne faudrait pas que le message s'affaiblisse, devant le prétexte commode de la crise. Ce sont les PME les plus exposées qui en subiraient les conséquences. Nous tenons compte dans la détermination des sanctions des capacités contributives des entreprises.

S'agissant de la grande distribution, la loi de modernisation de l'économie nous a apporté trois outils nouveaux.

Le seuil d'examen des concentrations est passé de cinquante à quinze millions d'euros, ce qui nous a permis d'examiner les rachats d'enseignes au niveau local. Quarante affaires ont été examinées dans ce cadre en 2009. Quatre principales enseignes contrôlent l'essentiel du marché. Nous sommes très vigilants sur les opérations à l'intérieur des réseaux, sans changement d'enseigne, mais nous n'avons pas relevé de problèmes particuliers.

L'Autorité de la concurrence peut désormais prononcer des injonctions structurelles, outre les sanctions pécuniaires, et imposer la revente de surfaces à une enseigne qui commettrait un abus de position dominante.

Compte tenu du délai moyen de dix-huit mois pour l'examen des affaires, il est un peu tôt pour faire le bilan de ces innovations.

Enfin, l'Autorité de la concurrence peut désormais s'autosaisir, ce qu'elle a fait sur trois sujets :

– une enquête est en cours sur la gestion du foncier commercial : il y a trop de cas de préemption abusive pour empêcher l'installation de concurrents ;

– une autre porte sur les relations entre les grandes enseignes et les magasins indépendants qui leur sont liés par affiliation ou franchise. Qui sait qu'aujourd'hui à Paris les diverses enseignes se rattachent à deux groupes seulement ? Certaines clauses contractuelles interdisent de quitter un réseau pour un autre.

– la troisième concerne le management catégoriel, pratique qui se développe désormais en France après les Etats-Unis : on désigne ainsi la gestion de linéaires confiée à un fournisseur, par exemple Danone pour le rayon laitier. Cela peut poser des problèmes aux PME et crée un risque d'harmonisation des prix. Nous échangeons sur ce sujet avec la Commission d'examen des pratiques commerciales présidée par Madame Vautrin.

Il reste encore de nombreux sujets à aborder, mais gardons les pour les questions.

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